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mercredi 2 janvier 2013

Souvenirs d'enfance (2) Perspectives


Perspectives.

Par quel tour de passe-passe mes parents réussirent-ils à me faire inscrire en quatrième primaire au Lycée de M... ? Ils durent faire preuve d'une fameuse imagination, c'est certain. Plus nulle que moi dans toutes les matières, ce n'était pas courant. La notoriété de mon père dut jouer ainsi que mon âge et il est vrai que j'avais l'âge sinon les connaissances pour être dans cette classe
C'est ainsi qu'un lugubre matin de septembre, je me retrouvai sous le porche humide et sombre de ce Guantanamo de l'enfance, le Lycée M... B.... La fine bruine qui tombait ce jour-là ne mettait pas le moral au beau fixe et j'eus l'impression que ma vie allait être une suite ininterrompue de jours sombres et désespérants. Comme un poulet mouillé, j'attendais sans bouger que la cloche sonnât la fin des arrivées d'élèves, la formation des rangs et la fermeture des lourdes portes cochèrent qui verrait s'envoler tout espoir de fuite.
Une maman se présenta alors tenant une fillette de mon âge par la main. Toutes deux, souriantes, cherchèrent du regard une future compagne vers laquelle se diriger. Ce fut sur moi que leurs regards s'arrêtèrent. Le ciel, malgré son sale petit crachin, venait enfin à mon secours. La dame me demanda mon nom, me présenta sa fille Chantal et proposa que nous nous donnions la main pour aller nous ranger. Un énorme poids venait de s'envoler de ma poitrine et je pus rejoindre la double file des élèves de quatrième année en serrant la main de ma nouvelle amie comme on serre une bouée de sauvetage.
Dès ce premier contact, notre amitié ne cessa d'aller en grandissant. C'était la première fois de ma vie scolaire que j'avais une amie et je n'allais pas la lâcher de si tôt. A la récréation du matin, notre curriculum fut étalé sous le marronnier. Son père possédait une brasserie à Erbisoeul, mon père était professeur de latin et de grec à l'Athénée; le parc qui entourait sa maison était très grand, les bois qui entouraient la mienne étaient immenses; le matin, un chauffeur la conduisait à l'école, je venais en tram car mon père refusait toute idée d'auto; elle avait un professeur de piano... aïe! Je n'avais que la nature comme professeur. Bon, malgré quelques différences, notre entente ne pouvait être que parfaite, nous le sentions l'une comme l'autre.
Le lendemain matin, j'attendis mon amie sous le porche. Elle arriva, m'embrassa et, tout de suite, ouvrit son cartable d'où elle tira un petit cadeau qu'elle m'offrit. Je trouvai l'idée du cadeau merveilleuse et après l'avoir remerciée, lui promis que, le lendemain, ce serait moi qui lui en apporterais un. Ainsi le rituel du cadeau matinal s'instaura entre nous. Oh! c'était deux fois rien. Elle m'apportait un crayon un peu usé, je lui apportais une gomme mordillée; un jour, c'était un joli morceau de papier rose, le lendemain, un bout de guirlande de Noël. Vraiment, deux fois et même trois fois rien mais l'attention que nous apportions l'une comme l'autre à emballer joliment ces petits objets pour créer la surprise ensoleillait toutes mes journées. Un peu de bonheur dans cet univers lugubre du lycée.


En classe, par contre, la différence entre nous fut énorme. Chantal était bonne élève, j'étais le cancre parfait, elle ne ratait aucune dictée, j'avais toujours zéro en orthographe, ses devoirs étaient faits régulièrement, les miens rarement ou pleins d'erreurs.
Notre séparation ne tarda pas. Mon amie se retrouva vite assise à l'avant de la classe alors que je fus placée au dernier banc à côté d'une fillette très aimable mais qui ne devait pas faire plus d'étincelles que moi. C'était peut-être le point de vue de l'époque : «Mettez deux nulles ensemble et priez pour obtenir des cerveaux einsteiniens». Pour ma nouvelle compagne, je ne sais, mais, en tout cas, pour moi, la méthode ne marcha pas.
Notre institutrice était pourtant une bien brave dame, tout enveloppée dans les replis de sa poitrine, de son derrière et de son bedon. Jamais je ne l'entendis crier et c'est toujours gentiment qu'elle m'annonçait mes zéros. Parfois, il y avait l'ombre d'un regret dans sa voix mais c'était très discret. Je crois que, dès les premiers jours, elle avait laissé tomber les bras et mon improbable résurrection scolaire avait déserté ses pensées. Il en allait de même pour moi.

En plus de mon amitié pour Chantal, deux merveilleux souvenirs me restent de mon passage dans cette classe.
Un jour, notre maîtresse arriva, tenant en main un gros ballotin entouré d'un ruban de satin rose. Nul doute, c'était des pralines. Que se passait-il donc ? Quelle était l'occasion ? Pour qui ce cadeau ? Elle ne nous laissa pas languir trop longtemps :
- Aujourd'hui, c'est mon anniversaire, dit-elle, et je vous ai apporté des truffes. Nous les mangerons cet après-midi avant le cours de dessin.
Waouw! Des truffes ! En classe ! Ça, c'était vraiment autre chose qu'une dictée ou des calculs. J'aurais aimé envisager le quotidien de la vie scolaire de cette manière.
L'après-midi arriva, notre enseignante nous mit en cercle autour de son bureau puis elle défit le nœud du ballotin, écarta ses rabats dorés et bascula légèrement la boîte pour nous faire découvrir les petites boules irrégulières couvertes de poudre de cacao. Chacune à notre tour, nous fûmes autorisées à prendre l'une des friandises que, sur ses conseils, nous laissâmes fondre doucement dans notre bouche Il fallait, nous dit-elle, profiter du goût au maximum. Ah, la brave dame, elle n'était pas ronde pour rien ! C'était la première fois que je mangeais une truffe et je fus très satisfaite de cette expérience qui me réconcilia, durant quelques minutes, avec l'école.
Un autre jour, notre institutrice décida de nous apprendre à dessiner une perspective à l'aide de quatre lignes de fuite.
Expliquée en deux mots, la technique n'a l'air de rien mais pour moi, placer un point aux trois quarts d'une feuille, y faire converger quatre droites non parallèles entre lesquelles, prises deux par deux, on pouvait venir esquisser des arbres, des maisons ou des personnages, allant du plus grand au plus petit, ce fut une révélation aussi importante que la découverte d'un nouveau continent pour d'autres. Jamais je n'avais imaginé que quatre droites et un point pouvaient offrir tant de rêves. Je venais de découvrir la fuite sur papier.
A partir de ce jour, des lignes de fuite, j'en dessinai des dizaines et des dizaines. Que m'importait alors l'orthographe et les mathématiques? Par le dessin, l'évasion était totale.
La période de Noël de cette année-là vit sortir de mon crayon et de mes couleurs à l'eau mille paysages enneigés où les sapins fuyaient vers l'infini sans jamais revenir, des dizaines de maisons aux toits alourdis par de grosses couches de gouache neigeuse s'estompèrent dans des brumes lointaines, des rues de villages défilèrent et des oiseaux migrateurs s'envolèrent très loin vers des pays imaginaires. Et que dire des chemins de halage plus bordés de peupliers que ne le furent jamais aucun d'entre eux en Flandre?


Ainsi, la quatrième année primaire ne me laissa pas que de mauvais souvenirs et si elle ne me vit acquérir ni une meilleure orthographe ni une méthode correcte pour calculer au moins m'apprit-elle la fuite par le dessin.





Vu la médiocrité de mon travail durant cette année scolaire, l'institutrice ne put que m'octroyer le grade de plouc en calcul et en orthographe.
                                                                                                                                  ( 4ème primaire, fête de fin d'année scolaire.)

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