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mardi 15 janvier 2013

souvenirs d'enfance (3) Le catéchisme


Le catéchisme.


Dès mes premières participations à la vie scolaire, l'enseignement faillit me faire  mal tourner.
Mes parents m'avaient inscrite à l'école communale de Maisières et mon père avait indiqué   que je ne suivrais pas le cours de religion. A l'époque, aucun dogme religieux n'avait sa grande entrée dans notre famille.
Mon père, sûr de son bon droit et du respect qui serait accordé à sa demande, se désintéressa rapidement du problème.
Ma mère, indifférente à tout ce qui ne concernait pas la santé et la bonne nourriture à fournir à sa petite tribu, ne creusa pas non plus pour savoir ce qu'il adviendrait de moi tous les jours de huit heures trente à neuf heures.
Durant cette demi-heure, chaque matinée de la semaine, un cours de catéchisme était donné dans toutes les classes. La religion, habituellement enseignée par nos institutrices, était parfois supervisée par une grande ombre noire accueillie avec beaucoup de déférence par les deux dames. Le berger venait inspecter ses ouailles et vérifier si le chemin de la rédemption restait bien dégagé. Deux pierres rugueuses gâchaient l'harmonie de cette voie mais elles étaient si petites...
En ce qui me concernait, Madame Emma et Madame Delbart eurent donc à trouver une solution qui permettrait à l'ensemble de la petite classe l'apprentissage du catéchisme tout en soustrayant à cet endoctrinement la seule élève athée du groupe. (Ma sœur, élève de la grande classe, aurait dû être la seconde incroyante de l'école. Cependant, après mûres réflexions enfantines, elle avait choisi la voie de la confession sans en parler à la maison. C'est ainsi que, à la veille des communions, l'église jouxtant notre école la vit entrer, se signer et s'agenouiller parmi ses camarades de classe, dans l'attente de la dénonciation salvatrice de ses mini péchés.)
Les heures de religion se situant en début de matinée dans les deux classes, il était impossible de me faire voyager d'une classe à l'autre durant ce cours.
Madame Emma, mon institutrice, eut l'idée qui lui sembla la plus appropriée : chaque matin, je devrais aller m'asseoir au dernier banc de la classe; de là, les oreilles fermées à toute information religieuse, je ne pourrais rien entendre ni comprendre des mystères de la Sainte Famille et des avatars de leur Grandiose Rejeton. La demi-heure écoulée, agneau noir s'il en fut, je pourrais regagner ma place habituelle au milieu du troupeau de mes compagnes fidèles.
Imaginez une enfant de sept ans à laquelle on intime l'ordre de ne pas écouter et surtout de ne pas entendre ce qui se dit près d'elle pendant une demi-heure, vous comprendrez la suite de l'histoire.
Les tresses plaquées derrière les oreilles, les lobes frémissant d'attention soutenue, mes capacités auditives exacerbées, j'étais tout ouïe durant trente minutes. Il n'y avait que mes mains que je n'osais utiliser pour agrandir mes pavillons roses.
Premières leçons d'hypocrisie obligent, mes yeux ne pouvaient suivre les paroles sur les lèvres de l'enseignante. Je faisais donc semblant de lire un livre de contes ou de revoir un exercice dans mon cahier de brouillon. Pauvres yeux, obligés de rester inactifs pour donner un maximum de chance à leurs commères les oreilles.
De toute ma vie, ce furent sans doute les uniques leçons que j'écoutai avec une telle intensité et, oserais-je dire, avec une telle ferveur.
Pour mon malheur, je ne pouvais poser aucune question quant au surnaturel qui enveloppait très souvent les saints récits ce qui était un handicap grave. A sept ans, on peut tout écouter, on ne peut pas tout comprendre.
Quand j'y pense, quelle gabegie de la mémoire que celle qui survola mes premières années d'études ! Car, en ce qui concerne les tables de multiplication, il me fallut plus de douze ans pour arriver à les mémoriser! Dieu ne fut jamais avec moi dans l'apprentissage des mathématiques. Par contre, pour le catéchisme...
Ah! ce catéchisme. Il y avait bien des éléments que je comprenais et mémorisais parfaitement. A la question : «Où est Dieu ?», j'aurais pu m'introduire dans le chœur de mes compagnes et réciter avec elles et d'une même voix : «Dieu est au ciel, sur la terre et en tous lieux». A force d'entendre chaque matin les mêmes questions et les mêmes réponses, je les avais retenues à la perfection.
Ce genre d'énoncés ne me perturbait pas. Père Noël, le 24 décembre au soir, n'était-il pas, lui aussi, au ciel, sur la terre et en tous lieux? C'était incontestable, à chacune de ses fêtes, les cadeaux arrivaient sous le sapin. Bon! Tant qu'à croire, je croyais en tout, l'aporie n'était pas mon fait.
La question : «Qu'est-ce que Dieu ?» m' allait bien aussi et, mentalement, je répondais : «Dieu est un esprit infiniment parfait, créateur du ciel et de la terre». Oui, il avait  fallu que quelqu'un le crée ce ciel si beau, nuageux, bleu, limpide ou menaçant. L'immensité de l'univers ne faisait pas encore partie de mes connaissances. Mon univers personnel avait ses limites peintes en bleu et cette terre sur laquelle je marchais n'était pas venue toute seule se mettre sous mes pieds. Pour moi, il n'y avait pas d'incohérences dans le cours de catéchisme que je devais faire semblant d'ignorer. Matinée après matinée, mi-mécréante, mi-crédule, je devenais une bizarre petite cagote.
Vint alors le jour où j'entendis que Joseph n'était QUE le père nourricier de Jésus et ce QUE ébranla mes croyances. Que l'on nourrisse un enfant tombait sous le sens. Mes parents le faisaient   tous les jours et sans problème. Mais comment pouvait-on être père et n'être QUE nourricier ?

A l'époque, j'avais déjà ma petite idée quant à la façon de faire un enfant. Comme toutes mes amies du même âge, nous avions dépassé la théorie du chou et de la rose et   avions enfin compris que le père mettait une graine dans le nombril de la mère et, hop! le tour était joué. Simple et rapide. La conception était infiniment plus pratique que maintenant. Mais n'être que nourricier, là, quelque chose commençait à m'échapper. J'en restai très perplexe. Impossible d'obtenir le renseignement en classe, toute question aurait dénoncé mon hypocrisie. Auprès de mes parents, à mon avis, la question aurait provoqué un résultat catastrophique. Dans mon désir d'exégèse, je décidai donc de voler un catéchisme, de le rapporter à la maison et de mieux étudier la question dans le silence et le recueillement nécessaires à cette tâche. Sûre que la possession du livret et une lecture approfondie de ses textes me dévoileraient certains secrets et m'apporterait les réponses que je cherchais, je pris donc mon courage à deux mains et, la troisième main invisible, je la glissai dans un pupitre proche, en retirai le livret jaune beurre que j'introduisis dans mon cartable. A la seconde même, celui-ci devint lourd du péché de vol.
Personne n'ayant rien soupçonné, le déroulement de la journée scolaire et le retour à la maison se firent sans autre incident.
En famille, j'étais en sécurité, personne ne vérifiait jamais ce qu'il pouvait y avoir dans mon cartable. J'étais seule maîtresse de celui-ci et les rares fois où je l'ouvrais étaient lorsque je cherchais mes crayons de couleur ou du papier de dessin. La notion de «devoirs à faire à la maison» ne m'avait pas encore contaminée et effleurait rarement l'esprit de mes parents. Mon cartable, donc, était plus sécurisé que la Banque Nationale.
Le soir tomba tout doucement. Après avoir vérifié les occupations de chacun et chacune dans la maison, je compris que le bon moment était arrivé : ma mère, enveloppée des vapeurs odorantes fusant des casseroles, cuisinait comme à son habitude; mon père discutait avec des amis dans la salle à manger; ma sœur vaquait à une occupation quelconque dans la même pièce. Aucun danger d'être surprise dans mes recherches délictueuses.
Je pris mon petit cartable en cuir et montai sans bruit dans le bureau de mon père où je m'installai confortablement sur le cosy corner parental. J'adorais la douceur veloutée du couvre-lit brun, le creux qui se formait quand on s'y lovait, la légère odeur de poussière vieillotte qui s'en dégageait : un véritable havre de paix que je rejoignais souvent. C'était le meilleur lieu de la maison pour étendre mes connaissances et... peut-être... atteindre aux mystères de Dieu.
Dieu ne voulut pas aider une voleuse! Il ne me permit pas d'entendre le pas de mon père qui montait l'escalier.
A la recherche d'un document posé sur son bureau, ce dernier fut bien surpris de trouver sa cadette, assise comme une indienne, les jambes repliées servant de porte-livre et profondément plongée dans une lecture qui semblait passionnante.
Il me demanda ce que je lisais et son tendre sourire me montrait à quel point il était fier de me voir en plein exercice de lecture. 
Lorsque je le vis entrer, je restai sans voix. Impossible d'émettre le moindre son. La gravité de mon méfait commençait à m'apparaître : le vol doublé de la transgression d'un interdit paternel.
Voyant mon trouble, mon père se mit à douter de la pureté morale de sa fille. Il s'approcha, se pencha sur le livret que je tenais serré entre les mains puis le prit afin d'en mieux saisir l'origine et l'intérêt.
Sa confrontation avec le recueil diocésain fut terrible. Le tendre sourire disparut brusquement pour faire place à un véritable raz-de-marée de colère mal maîtrisée. Je retenais mon souffle face à la tempête qui noircissait l'avenir proche. Jamais je n'avais vu un tel courroux dans les yeux de mon père.    
Où as-tu pris ce livre? me demanda-t-il d'une voix glaciale. 
A l'école, bien sûr.
Et que comptais-tu en faire?
Ben... je cherche le père nourricier.
Et après ces paroles stupides, je m'empêtrai dans des explications abracadabrantes qui n'auraient même pas convaincu le plus demeuré du village.
Mon père me fixa froidement et reprit en détachant bien ses mots :
-Tu es priée de replacer ce livre où tu l'as pris! Dès demain matin! Je ne veux plus jamais voir ceci entrer chez moi! Mets-le dans ton cartable et je t'interdis d'y toucher encore.
Là-dessus, toujours plongé dans sa colère, il fit demi-tour et redescendit. Je l'entendis expliquer son horrible découverte à ma mère qui, elle, n'y accorda pas grande importance. La réussite du repas du soir était autrement plus captivante.
J'avais beau être pétrifiée par la colère de mon père, mon cerveau enregistra quand même que la possession du catéchisme pouvait être néfaste et qu'il valait mieux ne pas s'y frotter. Je glissai le livret dans mon cartable pour la seconde fois de la journée et fermai soigneusement le rabat en cuir sur l'objet du délit.
Quelques années plus tard, lors d'une conversation à bâtons rompus avec des camarades de classe, j'appris enfin ce qu'était un père nourricier Nous avions grandi et les arcanes de la Sainte Sexualité enjolivaient nos propos grivois des coins de cour de récréation.

Ce que mon père ne débusqua jamais, c'est cette croyance qui avait fait son nid dans ma jeune cervelle : longtemps contemplée en classe, l'image de Dieu créant le ciel et la terre s'était fixée, ancrée, dans un coin de ma mémoire et, malgré mon athéisme acquis au fil des années, lorsque je contemple un nuage nimbé de magnifiques rayons solaires, je ne peux m'empêcher de me dire : «Dieu est là derrière». 
 

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