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jeudi 21 mars 2013

Souvenirs d'enfance (8) Briançon (L'Hôtel Sémiond)


                                            Briançon




L'Hôtel Sémiond  

Que faire dans un hôtel lorsque, à six ans, vous n'êtes pas   scolarisée, que vous vous ennuiez et que vos parents dorment ? Des gaffes, c'est bien connu.
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Mais.... il arrivait aussi que je m'échappe sans autorisation et que je parte à l'aventure dans l'hôtel.
Dans un premier temps, en cette fin d'après-midi maussade, j'avais suivi Maria, l'employée d'étage, pour observer la mise en ordre de la lingerie de l'Hôtel Sémiond. Puis, le vent de l'aventure soufflant, j'étais partie seule à la découverte des différents étages. En fait, je ne savais combien il y en avait et il me sembla urgent de combler cette lacune dans ma connaissance des lieux.
J'étais d'abord descendue jusqu'au grand hall d'entrée mais je ne m'y étais pas attardée. Je savais ne pas y être la bienvenue car, à force d'avoir traîné dans des recoins inhabités, j'avais parfois plus l'air d'une souillon que de la fille de la famille Moreau. Cela faisait mauvais genre dans le hall d'un hôtel étoilé. Après cette brève incursion en milieu ennemi, j'étais donc remontée vers des étages plus accueillants.
L'exploration d'un premier niveau ne m'avait pas permis des découvertes exaltantes. A part l'ouverture inattendue d'une porte à un endroit où je n'aurais pas dû me trouver et qui m'avait fait battre le cœur un peu trop vite, la vie à cet étage était morne.
J'entrepris donc de continuer à m'élever vers le second étage. A mi-hauteur de la première volée d'escaliers, j'entendis des conversations très animées montant du rez-de-chaussée. En vrai fille d'Ève, curieuse de tout, je voulus savoir le pourquoi de cette animation. Je m'assis sur le giron d'une marche, passai la tête entre deux des balustres de la rampe et me penchai le plus fort que je pus. Déception. Rien de bien intéressant à tirer de cette observation. Trois clients exubérants se racontaient des histoires amusantes; leurs rires peu discrets s'étaient élevés à travers la cage d'escaliers. Il me restait à poursuivre ma montée.
C'est ici qu'un drame épouvantable éclata. Ma tête, introduite si facilement entre les deux colonnettes en bois, refusa de prendre le chemin du retour. Avait-elle gonflé sous un afflux de sang ? Les oreilles, trop sollicitées par la curiosité, s'étaient-elles décollées ? Le cou, trop imbu de lui-même, avait-il gonflé ? Je ne sais. Le fait était que le chef, mon chef, ne passait plus.
Hou, là, là ! Il était urgent de trouver une solution et vite ! N'importe qui pouvait monter et j'aurais dû expliquer ma ridicule position. J'empoignai les balustres entre lesquels je me trouvais emprisonnée et, prenant appui des deux mains, tentai, mais en vain, de faire revenir la tête du même côté que le corps. Les oreilles coinçaient. C'était donc elles les fautives ? J'inclinai alors la tête latéralement. Tentative inutile. Le nez risquait d'être endommagé. Mes pensées s'affolèrent. Il fallait absolument que mes parents viennent à mon secours mais comment les alerter ? Coincée comme je l'étais entre deux étages, je ne vis aucune possibilité pour y arriver. Je me mis à pleurer. Les petits sanglots du départ se transformèrent assez vite en hurlements de désespoir. Pour une fillette qui, au départ, s'était voulue discrète, c'était réussi.
Une première femme de ménage fit son apparition au coin du couloir de l'étage inférieur suivie par une seconde puis par une troisième.... La quatrième fit le bon poids. Elles commencèrent par calmer mes pleurs, voulurent connaître les raisons de ma position puis, après mûres réflexions, trouvèrent la situation très cocasse et se mirent à rire. L'amusement calmé, elles tentèrent de résoudre ce drame. L'une appuya sur mes oreilles tandis qu'une autre poussait ma tête par l'extérieur. Premier échec. La suivante pensa qu'en me mettant sur le dos, les yeux tournés vers le toit, elles pouvaient réussir le sauvetage. Ainsi fut fait. Le résultat ne suivit pas. Fatalement ! Ce n'était pas les yeux qui coinçaient! Perplexes, elles se consultèrent. La plus âgée ordonna alors à la plus jeune d'aller chercher Michel, le cuisinier de l'hôtel : «Et qu'il apporte une scie, il faudra couper l'un des barreaux de la rampe pour dégager la petite». La jeune employée partit et une attente de plusieurs minutes commença. Chaque femme profita de la pause pour me prodiguer moult encouragements. Malgré tous leurs efforts et leur soutien moral, lorsque le cuisinier arriva, j'étais épuisée de stress.
Michel prit son temps, furieux d'être dérangé pendant la préparation du repas vespéral. Il monta les marches sans se presser et, arrivé sur la volée d'escaliers opposée à la mienne, s'arrêta. D'un seul coup d'œil, il avait jaugé la situation. Comme un sans-culotte et Marie-Antoinette avant sa décollation, nous étions face à face. Nos regards se croisèrent : le mien désespéré, le sien rigolard. Il prit sa plus grosse voix et se mit à rugir : «Ce n'est pas un barreau que je vais scier, c'est sa tête !» Croyant bien faire, pour désamorcer la peur qu'il percevait chez moi, le brave homme avait pratiqué un humour d'assez mauvais goût. Bravo ! Belle psychologie ! Le hurlement que je poussai alors dut retentit au-delà des murs de l'hôtel pour aller se répercuter sur les flancs des montagnes environnantes et, d'écho en écho, rouler jusque dans les vallées italiennes. Toutes les personnes qui m'entouraient arrêtèrent de respirer. Vite ! Vite ! Il fallait trouver une solution pour atténuer la sirène continue qui maintenant sortait de mes poumons et prévenait tous les clients de l'hôtel qu'il fallait évacuer le plus rapidement possible.
Cette sirène eut un effet positif, elle alerta Maria qui arriva au pas de course. Elle monta jusqu'à moi, observa, réfléchit une fraction de seconde puis, me soulevant avec précaution, remonta ma tête et mon cou dans la partie supérieure des balustres. L'espace plus large à cet endroit lui permit de me tirer vers l'arrière sans problème. Ma tête fut dégagée. Elle ne serait pas séparée du corps, j'étais sauvée.
Peut-on le croire ? Mes parents, si bien installés dans les bras de Morphée, n'avaient même pas évacué et dormaient encore comme des bébés. A se demander ce qui avait pu tant les fatiguer durant mon absence.

             Merci à Jacques pour sa relecture et ses conseils


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