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samedi 27 avril 2013

Souvenirs d'enfance (9 - quatrième partie) Val d'Isère

 Val d'Isère  (suite)

Ces vacances n'avaient pas été assez pimentées. Quelques nouvelles catastrophes devaient encore survenir.

Ce matin-là, ma sœur, Michel et Claudine s'étaient éclipsés en toute discrétion. Les trois voyous avaient pris la sale habitude de nous abandonner, Claude et moi, à notre triste sort d'êtres indésirables. En ce qui me concernait, j'avais l'habitude. De tout temps, j'avais toujours été trop jeune ou trop petite ou trop fragile. Mademoiselle Trop, voilà comment on aurait dû me surnommer. Il est vrai que je n'avais ni l'endurance pour suivre les courses des aînés ni la force pour aider à la construction de leurs barrages ou cabanes. Quant à leurs pérégrinations à travers les alpages, sans but bien précis, elles me fatiguaient très vite. La solution trouvée à mon indésirable présence était donc la fuite en catimini. Le pauvre Claude, lui, était éliminé pour plusieurs raisons : son intelligence très moyenne énervait les trois autres; garçon plus sage et plus obéissant qu'eux, il représentait l'exemple à ne pas suivre et, last but not least, de santé fragile, il ne pouvait leur apporter aucune aide dans leurs projets les plus fous. Tout cela était bien injuste mais qui a jamais trouvé une grande justice dans les prises de position d'adolescents en goguette?
Ce matin-là donc, Claude m'avait rejointe au centre d'une prairie située plus haut que notre chalet. Ce que mes parents n'avaient pas encore découvert, c'est qu'au milieu de cette prairie, caché par le fouillis des hautes herbes et des fleurs, un puits assez large et profond avait été creusé puis abandonné. Avec le temps, ce trou s'était rempli d'eau à ras bords et les grenouilles alpines y avaient trouvé un site on ne peut plus accueillant. Je m'étais couchée dans les herbes, observatrice attentive de la gent batracienne et ne me lassais pas de voir les sauts et les plongeons déclenchés par le moindre de mes mouvements. Ces grenouilles rousses étaient de purs joyaux et, à chacun de leurs bonds, le blanc nacré de leur ventre m'émerveillait. J'espérais, un temps venant et avec beaucoup de patience, pouvoir saisir l'un de ces petits amphibiens pour caresser sa peau apparemment si douce. L'arrivée de Claude ne m'enchanta qu'à moitié. Notre différence d'âge et son réel manque d'intérêt pour la nature n'en faisait pas un ami réel.
Je n'ai jamais pu déterminer si l'incident qui suivit son arrivée fut dû à un désir compréhensible de vengeance chez cet adolescent écarté par ses pairs ou si son manque d'intelligence joua en ma défaveur.
Après avoir observé les grenouilles durant quelques minutes, il me fit remarquer que de petits morceaux de poutres flottaient à la surface de l'eau. Je n'avais accordé à ces bois qu'une attention passagère : excellents tremplins ou plongeoirs pour mes copines palmées, sans plus. La remarque de Claude me les fit observer plus attentivement. J'avançai le bras, fis dériver l'un des bois et essayai de le sortir de l'eau mais le poids du bois mouillé ne me permit pas de le soulever. Claude émit alors l'idée que si ces petites poutres étaient si lourdes on devait pouvoir marcher dessus sans danger. La suggestion me parut géniale. Un nouveau jeu se présentait à nous et je décidai de l'expérimenter tout de suite : j'allais effectuer la traversée de ce petit bassin en marchant sur les bois. Perfide, Claude m'encouragea sans s'engager lui-même.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Je me redressai, choisis le bois que j'avais amené près du bord et y posai le pied. Je n'eus pas le temps de réaliser ce qui m'arrivait que déjà, le bois s'était éloigné de la rive, m'obligeant à un grand écart qui se termina par un plongeon bien moins gracieux que ceux observés précédemment. Première immersion totale qui provoqua chez moi une panique terrible : sous l'eau, mes pieds n'avaient rien senti qui pût me propulser vers la surface. Mon corps remonta quand même et ma tête émergea. Je tentai de saisir l'un des morceaux de bois qui m'entouraient mais, au fur et à mesure que je tentais de m'y accrocher, ils se dérobaient pour s'enfoncer et revenir ensuite flotter plus loin. Je parvins à crier à Claude de m'aider. C'est à cet instant que, tournant les yeux vers lui, je vis avec horreur qu'il riait aux éclats. La situation lui paraissait loufoque et, pour une fois qu'il avait l'occasion de s'amuser, il n'allait pas gâcher son plaisir en me tendant une main secourable.
A force de me débattre, de couler, de remonter, de mouliner des bras et des jambes, je finis par me rapprocher du bord du puits et, après avoir saisi une touffe d'herbe solide, par me hisser pantelante et dégoulinant d'eau sur la rive salvatrice. J'étais folle de rage et je fonçai jusqu'au chalet pour accuser le crétin des Alpes de tentative de noyade. Mes explications trop tumultueuses et embrouillées firent que ma mère ne comprit pas grand chose à l'accident et ne put pas croire à ma dénonciation. Était-il possible, lorsqu'on a quatorze ans, de pousser une enfant à la noyade? Cette idée ne se fraya aucun chemin vers la partie adéquate de son cerveau et Claude ne reçut qu'une petite réprimande. Pour ma part, je gardai une rancune tenace à ce tueur caché et l'évitai avec le plus grand soin jusqu'à la fin du séjour.


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