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mercredi 1 mai 2013

La cueillette du muguet


 

La cueillette du muguet.

 

                                                                                           Crédit photos : Gino Marcolini

Mai arrivait chaque année avec une ponctualité très honnête. Jamais un jour d'avance, jamais un jour de retard. L'élève parfait dans la suite des douze mois.
Par contre, la floraison du muguet n'était pas aussi sérieuse. Pour elle, tout dépendait d'un hiver plus rigoureux ou d'un printemps mal ensoleillé pour qu'un retard intervînt dans l'apparition des clochettes blanches.
Quoi qu'il en soit, ces fleurs odorantes finissaient toujours par s'étaler en minuscules taches claires au milieu des fougères, des anémones ou des jacinthes. Du centre de la clairière, nous pouvions partir dans n'importe quelle direction et nous en trouvions. Moins vers notre maison, plus vers les cimenteries d'Obourg, mais, peu importait l'abondance, il y en avait.
C'était alors que notre mère entrait en transe. Le muguet avait cette caractéristique : sur son esprit, il produisait l'effet d'une drogue douce qui, une fois respirée, ne lâchait plus sa victime. Le cannabis n'avait pas encore fait ses ravages dans la population jeune et, chez ma mère, le muguet le remplaçait avantageusement. 
Encore, encore, plus, toujours plus, les bouquets que nous lui rapportions n'étaient jamais assez gros.
Pour Danielle et moi, la mi-mai se transformait en mini-bagne. Mais au lieu de casser des cailloux, nous devions cueillir des fleurs. Plus le temps de courir sur les sentiers pommelés de soleil ni d'aller observer les lapins plongeant dans les terriers de la clairière et encore moins, de trucider les méchants blancs attachés au poteau de torture au centre des genêts du Camp de Casteau. Nous avions le droit de nous évaporer dans la nature à la condition qu'au retour, nos mains fussent celles de fleuristes revenant des halles aux fleurs.
Les jeudis après-midi et les dimanches nous voyaient, courbées au milieu des bois, à la recherche des habitats les plus fleuris où nous n'aurions qu'à nous agenouiller pour cueillir sans trop de fatigue. A petits pas, le regard rivé au sol, nous cherchions dans l'ombre des grands arbres. Parfois, c'était l'odeur suave qui attirait notre attention, parfois, c'était les tiges garnies des clochettes blanches qui, avec imprudence, s'étaient dressées, dépassant leurs propres feuilles pour atteindre la lumière des sous-bois.
Il arrivait que le bruit du pivert chassant des insectes sur un tronc, le chant d'un coucou lointain ou le passage d'un papillon nous détournât de notre cueillette pour quelques minutes et notre esprit vagabond rejoignait l'un ou l'autre de ces animaux, participant à leur bonheur à la cime des chênes et des hêtres.
Étant la plus jeune, je pouvais me permettre de rapporter de petits bouquets peu fournis. Cinq ou six brins enfouis au centre d'un gros paquet de feuilles suffisaient parfois à sauver la mise. Le tout, pour moi, était de prouver que j'avais fait l'effort de chercher.
Tamara ne descendait jamais jusqu'à la clairière pour nous surveiller sans quoi, elle aurait pu constater que je ne lâchais pas mes observations d'insectes dans la rivière ou qu'un sentier bien ensoleillé m'avait tendu ses bras tièdes pour aller plus loin cueillir les jacinthes qui étaient cent fois plus faciles à trouver.
Les jacinthes aussi sentaient très bon et il y en avait tant ! Lorsqu'on en trouvait une, on en trouvait vingt. De plus, l'épaisseur de leurs tiges permettait d'obtenir un bouquet en cinq minutes. Quel reproche pouvait bien leur faire notre mère qui ne désirait que les muguets ? A mon avis, dans les bois aussi, elle avait établi des classes sociales : Les muguets formaient l'aristocratie tandis que les tout aussi belles jacinthes se trouvaient former le petit peuple. Et que dire des anémones, des dames de onze heures ou de l'ail des ours ? Il ne fallait même pas imaginer que ces fleurs simples et moins odorantes pussent un jour franchir le seuil de la maison pour venir mourir dans un vase en cristal. Vanité des vanités...
Ma sœur, elle, plus obstinée que moi, plus volontaire dans son désir de faire plaisir à notre mère, ne quittait le bois que si la cueillette terminée en valait la peine. Les mains encerclant les fleurs dans leur nid de feuilles, elle rentrait à la maison, certaine du plaisir que son cadeau provoquerait. Et c'était vrai qu'à la vue de ses magnifiques bouquets blancs, ma mère se pâmait. Vite, elle partait chercher un petit vase joufflu, d'un cristal brillant et elle y installait les muguets avec des soupirs de satisfaction profonde. Parfois, Danielle avait mis un tel cœur à sa cueillette qu'il fallait un deuxième ou un troisième vase pour recevoir toutes les fleurs.
Le plus beau des bouquets trônait souvent sur la commode qui meublait le hall d'entrée. Là, son reflet dans le miroir mural qui surplombait le meuble, doublait la beauté des fleurs. Au fil des jour, les clochettes encore verdâtres s'ouvraient, s'épanouissaient et embaumaient de plus en plus au grand émerveillement de chaque ami en visite. Les autres fleurs prenaient place dans la salle à manger où elles amenaient un très agréable raffinement aux réunions familiales du soir. 
 
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                                                                                         Crédit photos : Gino  Marcolini


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