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samedi 27 juillet 2013

Un souvenir de voyage

Le contrôle d'embarquement

Douze heures trente. C'est la fièvre du départ. De ce voyage aux États-Unis, nous en avons tant parlé, ma sœur et moi, que je ne suis plus certaine de sa réalité. Et pourtant, nous voici à l'aéroport. Pas de doute. Assourdies par le brouhaha de la foule, des voix anonymes communiquent, dans diverses langues, des informations énigmatiques aux novices des aéroports que nous sommes. Tel avion est-il en instance de partir ou d'arriver ? Allez savoir ! Chaque carillon est porteur d'une nouvelle annonce qui, faute d'être audible, peut être enjolivée suivant l'imagination :
« Ding ! Dong ! Un avion est parti vers vos rêves. »
« Ding ! Dong ! Les dames Moreau ne doivent pas se perdre »
« Ding ! Dong ! Ont-elles retiré leurs cartes d'embarquement ? »
Ces « Ding ! Dong ! », je les adore. Ils me prennent réellement aux tripes, me font des chatouillis à l'estomac chaque fois qu'ils résonnent dans l'immensité des halls bleutés. Ce sont des voix divines qui vont nous mener droit vers le paradis californien.
Droit au paradis ? Pas si sûr !
Nous voilà arrivées au contrôle d'embarquement. Je passe sans problème, mes bagages à main aussi. Danielle me suit. Jusque là, on peut supposer que tout va être cool. Nous ne sommes pas des trafiquantes. D'idées folles et rigolotes, oui ! Mais de cela, personne ne peut savoir que nous en traînons des tonnes derrière nous. Et puis, ces tonnes sont si légères qu'elles ne pèseront pas lourds dans les soutes de l'avion. La destinée de tous les passagers pour Washington D.C. reste assurée.
Danielle me suit donc. Du moins le pensai-je.
Après avoir récupéré mon petit sac à dos, je me retourne pour bien vérifier que mon aînée est restée dans mon sillage. Bizarre ! Un bouchon s'est formé à sa hauteur. La préposée à la fouille lui fait face et semble très perplexe. En effet, prête au combat, drapée dans la cape du bon droit, les yeux légèrement écarquillés, ma sœur refuse obstinément de laisser passer aux rayons X ses médicaments homéopathiques. Non qu'elle leur reproche d'être X comme les films mais parce qu'elle craint leur influence destructrice sur son traitement médical en cours.
La dame insiste pour que la pharmacie de voyage soit déposée sur le tapis roulant mais Danielle continue à refuser. Pour prouver sa bonne foi quant à la nature des dits-médicaments et sans vérifier ce qu'elle prend, elle plonge la main dans son bagage, en sort un petit sac en plastique et le dépose avec précaution entre les mains de la douanière. Cette dernière tâte, semble éprouver un vif étonnement, ouvre le sachet et découvre des pruneaux d'Agen dont l'emballage est tenu fermé par une pince à linge en bois ( l'utilisation de la pince à linge est une méthode traditionnelle de fermeture des petits sacs dans notre famille ).
L'employée relève la tête, fixe Danielle d'un regard menaçant et, d'une voix polaire, lui demande :
- C'est cela, vos médicaments homéopathiques ?
On sent, dans cette question glaciale, un grand désir de garder la maîtrise de soi avant la débâcle de toute politesse de métier. Le résultat est probant. Son attitude reste très correcte.
Derrière ces deux « coquelettes » dressées face à face, la file est devenue compacte. Tout le monde s'empresse de grappiller des nouvelles. On se serre, on se bouscule, c'est le coude à coude des grands jours :
   -  Il paraît que l'on a découvert un nouveau médicament contre le mal de l'air.
   -  Non, vous avez mal entendu. Il s'agirait d'une arme secrète défendue aux États-Unis.
  -  Mais, ma brave dame, vous n'y êtes pas. Ils testent une recherche  pour empêcher l'engorgement des files d'attente.
   -  Ah ? Bon ? Vous croyez ? Ils ont encore du pain sur la planche, alors ! Comme on dit : « Tout nouveau, tout beau ». Mais dans ce cas-ci...
L'absurdité de la situation m'est apparue et me titille le cerveau. En moi, je sens monter une hilarité homérique. Mes pensées ne sont plus que gaieté, les larmes me montent aux yeux. Pour ne pas aggraver la situation, je respire à petits coups, j'espère ainsi arrêter les hoquets d'un rire subversif qui, s'il démarre, sera inextinguible.
Au même instant, ma sœur, tout aussi étonnée que notre gabelou féminin devant la découverte des pruneaux, est prête à dire, pour débloquer la situation : « Laissez tomber ». Mais, réalisant que cette expression pourrait faire croire à une fumisterie de sa part, elle se remet à chercher avec acharnement les fameux médicaments homéopathiques.
La médecine parallèle apparaît enfin dans toute sa splendeur : petites fioles, petites boîtes, petits granules, petits comprimés furieusement semblables à des comprimés d'ecstasy pour un regard douanier en alerte et en pleine surchauffe. La préposée les tâte, les observe, soupçonneuse, semble hésiter quant au parti à prendre.
A ce moment, mon aînée, épuisée par ces interminables minutes de suspens à la Hitchcock, s'appuie contre l'arceau détecteur de métaux et déclenche l'alarme. Une main de glace s'abat et enserre alors la nuque de la « bleuette » de service qui ne sait si, dans l'instant qui suit, ce qu'elle tient en main, telle une grenade dégoupillée, ne va pas lui exploser à la figure. Comme rien n'arrive, elle somme ma sœur de se redresser. Cette dernière n'a pas attendu l'ordre péremptoire pour changer de position. Elle aussi a senti le froid glacial du désastre lui frôler l'échine.
Une injonction claque enfin, cinglante, nette : « Avancez ! »
Danielle peut reprendre ses biens si précieux, ignorer les rayons X et me rejoindre.
Somme toute, elle a gagné la partie. Elle est passée, les médicaments ont suivi et les pruneaux purgatifs ont pu choisir la même voie. Tout ce petit fatras médical ou naturel s'élancera, à notre suite, vers les grands horizons insoumis.

A nous l'Amérique ! Washington, nous voici ! Californie, ouvrez grand vos bras ensoleillés !




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