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mercredi 25 septembre 2013

Souvenirs d'enfance (13 - quatrième et dernière partie) Lycée Royal de M... Normalienne fraîche émoulue

Lycée Royal de M... (fin)

Normalienne fraîche émoulue

   Tout se serait parfaitement passé n'eût été la préfète de l'établissement qui avait survécu aux nombreuses années écoulées mais dont le caractère, au contraire de celui de sa subalterne, ne s'était nullement amélioré. En toute franchise, d'acariâtre qu'il avait été dans les années cinquante, il était devenu imbuvable dans les années soixante.
   Le matin, elle traversait la cour de récréation, drapée dans son étole en renard, pauvre animal mité, obligé de la suivre depuis tant et tant d'années. Elle gravissait les marche du perron pour venir s'y dresser comme la statue vengeresse de la discipline compromise. Là, elle attendait que la sonnerie retentisse et que les rangs se forment. «En silence, s'il vous plaît, mesdemoiselles». Elle n'avait pas besoin de le rappeler chaque matin, sa seule vue suffisait à faire baisser de trois tons les cris des élèves les plus endiablées. Les rangs se formaient donc en silence au pied du perron et chaque classe, l'une après l'autre, gravissait les marches et passait devant elle et devant Madame D... . Malheur alors à l'élève distraite qui oubliait de saluer de la tête en passant. Elle était extirpée de son rang d'une main ferme et vertement réprimandée face au renard aux yeux vitreux.
   Étant la plus jeune enseignante de la section primaire, j'avais droit, avec une régularité de métronome, aux entrées intempestives de la Préfète dans ma classe. La porte s'ouvrait brusquement et Mademoiselle Du... s'y encadrait. Pas seule, non, mais toujours accompagnée de son animal de compagnie. Elle ne frappait jamais pour annoncer son arrivée. Prendre en flagrant délit l'enseignante, fautive d'une quelconque omission de règlement, semblait être devenu son sport favori. 
  Dans ma classe, elle ne cherchait jamais longtemps. Il y avait toujours bien une élève mal assise ou dont le cartable ne pendait pas au crochet du banc ou dont les cheveux étaient retenus par un nœud trop voyant ou... ou... ou... Enfin, rien ne lui échappait et plus c'était mesquin, mieux elle le voyait.
   Un matin, elle entra, son regard balaya la classe et se posa sur une élève sans tablier (à cette époque, les tabliers bleus à longues manches étaient obligatoires). Le plaisir de la découverte illumina un bref instant son regard de hyène croqueuse d'enfants : "Où est votre tablier, mademoiselle?"
   L'élève, paniquée, la regardait, bouche ouverte, sans réagir. 
  Je voulus venir à son secours. Sans reprendre une seule fois ma respiration, je débitai d'une voix monocorde : "Madame la Préfète, elle ne l'a pas, je viens de le lui demander (ce qui était vrai) mais elle l'a oublié chez elle car sa maman l'a lessivé hier et ne l'a pas remis dans son cartable."
   Ma misérable intervention ne fut pas une réussite. Un grand sourire de victoire éclaira brusquement le visage de cette préfète du diable.
   - Ah, elle l'a oublié chez elle? Voyons donc cela.
   Elle avança d'un pas altier vers le banc de la coupable, y arriva et souleva l'écritoire en bois qui composait le dessus du pupitre. Horreur! Le tablier apparut aux yeux éberlués de l'institutrice crédule que j'étais encore. Mais pas seulement aux miens, aussi à ceux de la Préfète.
   - Mademoiselle Moreau, siffla-t-elle au milieu de la classe estourbie par ce mauvais coup du sort, quand une élève aussi menteuse que celle-ci vous fournira encore des excuses, vous êtes priée de les vérifier. Quand à vous, mademoiselle Sz... , donnez-moi votre journal de classe. Vous irez le rechercher chez Madame D... .
   Tomber de Mademoiselle Du... en Madame D... n'équivalait pas, bien sûr, à tomber de Charybde en Scylla mais ce n'était pas triste non plus. La classe en fut toute remuée pendant quelques minutes et puis la vie reprit son cours. 
  Personne n'en voulut à personne car la détestation que chacune éprouvait pour la Préfète était un ciment assez fort pour souder toute une classe, de l'élève la plus désobéissante à la maîtresse la plus débutante.

   Malgré tout, je garde quand même d'excellents souvenirs de cet intérim. C'est dans cette première classe que je commençai, pleine d'enthousiasme, à mettre mes connaissances de jeune enseignante en pratique. Le cours de sciences fut un terrain particulièrement privilégié. 
  Ainsi, mes élèves virent défiler, en peu de temps, différentes observations qui me paraissaient incontournables. L'étude du marronnier, de sa fleur fanée, de ses bourgeons gluants, de ses bogues et de ses fruits immatures, fut suivie par la dissection d'un poisson bien frais. 
  Frais ? à mon humble avis, oui,  mais que chacune observa le nez pincé entre deux doigts et les yeux exorbités par l'horreur de la découverte peu habituelle de la nature . 
  Le poisson cuit à la poêle avec une tranche de citron et une branche de persil, ces jeunes demoiselles de bonne famille le connaissaient. Mais, les entrailles à l'air, l'animal leur sembla moins familier. Et quand l'enseignante prit un chalumeau afin de démontrer le rôle de la vessie natatoire en y soufflant de toutes ses forces, quelques unes, le teint devenu crayeux, durent retourner s'asseoir à leur place.

Crédit photo : www.intellego.fr/doc/19985 
Crédit photo : 20min.fr 

 
 
  La dissection d'un cœur de bœuf bien sanguinolent sema un réel doute chez les élèves. Celle qui trônait sur l'estrade n'était peut-être pas l'enseignante qu'elles désiraient conserver jusqu'au 30 juin.
  Pas de panique, mesdemoiselles, après la recherche des oreillettes et des ventricules, la différenciation de l'aorte et de l'artère pulmonaire, il vous suffira de dessiner l'organe concerné, ce qui sera bien moins stressant. Non ? 
  Non ! Certaines avaient déjà tourné de l'œil. Enfin, elles étaient peut-être bonnes comédiennes ! A cet âge, on ne peut jamais jurer de leur honnêteté intellectuelle. Les sciences naturelles, c'était quand même intéressant que diable !
   De toute manière, à quoi auraient servi tant d'heures d'étude à l'École Normale si le programme de sciences ne pouvait être respecté à cause d'une ou deux petites syncopes ?
 
  Je finis quand même par me demander si ces futures demoiselles ne préféraient pas une dictée de Grévisse ou quelques problèmes de l'impitoyable Bourgaud à la connaissance de l'anatomie des vertébrés. Qu'à cela ne tienne, le lendemain matin, elles seraient confrontées aux deux tortionnaires des cerveaux enfantins. Je tenais vraiment à m'en faire des amies. 
  Y ai-je réussi ? Je ne pourrais le dire. En ce temps-là, la discipline était si bien respectée que des récriminations trop vives étaient rares.

   A cette même époque, le lycée dépendait d'un inspecteur réputé pour son agressivité, ses crises de colère caractérielles et sa mauvaise humeur permanente.
   Lors de mon arrivée, chaque collègue, forte de son ancienneté, eut à cœur de me mettre au parfum : l'une avait été sermonnée par l'Inspecteur durant dix minutes devant toute la classe terrorisée, l'autre avait vu son cahier de matière déchiré en deux avant d'atterrir, toute affaire cessante, sur son bureau, une troisième avait été convoquée au bureau pour y subir un lavage de cerveau en règle, une autre encore s'était vu réprimander à cause de son rang mal aligné... 
  Comme on me le fit comprendre, la liste des méfaits découverts par cet inspecteur n'était pas exhaustive.
   Je voulus connaître la fréquence des visites de ce sinistre individu, me disant qu'après tout mon intérim serait peut-être terminé lors de son prochain passage.
- Il vient tous les samedis, me répondit une collègue.
- Tous les samedis ? (ma voix s'était éraillée sous l'émotion). Mais pourquoi ? Où habite-t-il ?
- Oh, il peut venir à pied, il habite à Mons, sur le boulevard près de la prison. Et il vient tous les samedis parce que c'est le jour où sa femme nettoie. Comme cela ennuie Madame d'avoir son mari dans les pieds le jour de son nettoyage, elle l'envoie au lycée.
 
   Ouaip ! La paix pour l'une, la catastrophe pour les autres. La justice ne pourrait vraiment jamais régner dans ce lycée de malheur.
   Enfin, malgré la peur qui plana sur mes heures de cours chaque samedi, j'échappai au massacre des Innocents. L'inspecteur ne vint jamais dans ma classe.  
 
 
 


2 commentaires:

  1. Que de souvenirs ! Pourquoi ne pas continuer sur les FBA. Courage que diable, j'attends avec impatience.

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  2. Hou là ! oui ! il y en aurait bien des souvenirs à raconter. Mais combien d'entre eux feraient grincer des dents ceux qui sont encore en vie et ont tellement bien profité des appuis politiques et des avantages en tant que chefs d'école SANS BREVET et qui se permettaient d'écraser le petit peuple sous leurs ordres !!! Je crois que je ne me ferais que des ennemis ( ou presque ... ) Il serait moins dangereux que je m'attaque aux talibans !!! Bien amicalement Anne

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