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vendredi 29 novembre 2013

Souvenirs d'enfance (16 - 2ème partie) Les pétards

Les pétards (2)


Une marchande ayant un tant soit peu de jugeote n'aurait pas accédé à notre demande. Celle qui se tenait devant nous devait bien se rendre compte qu'aucun d'entre nous n'avait plus de onze ou douze ans et que nos projets n'étaient pas des plus honnêtes. Mais le désir de vendre fut le plus fort et même s'il y eut hésitation, celle-ci fut vite balayée et l'appât de l'argent joua en notre faveur.
La réponse nous surprit car, en définitive, les pétards convoités n'étaient pas très onéreux et, en réunissant nos économies mutuelles, nous pouvions en acheter plusieurs ainsi qu'une boîte d'allumettes. Aussitôt décidé, aussitôt fait. Les pièces de vingt-cinq centimes, sortant de toutes les poches, vinrent rouler sur le lino du comptoir. La droguiste arrêta leur course, les compta soigneusement de l'index puis, la main pliée en cuillère, les fit glisser dans son tiroir pour les remplacer par un petit paquet de pétards et une boîte d'allumettes.
Sortis aussi vite que nous étions entrés, nous nous précipitâmes dans les hautes herbes des terrains en friche où nous nous assîmes en cercle pour ne pas être repérés par un éventuel passant. Le partage de notre achat fut équitable et, à tour de rôle, nous frottâmes le bout rugueux des pétards sur la partie latérale de la boîte d'allumettes pour provoquer leurs mises à feu après quoi, sans tarder, nous les envoyâmes, l'un après l'autre dans n'importe quelle direction où ils explosèrent dans des fracas d'enfer.
Ce matin-là, notre jeu consista donc, à notre plus grande joie, à faire un maximum de bruit pour ameuter notre quartier tout en ne nous faisant pas repérer.
L'animation fut réussie mais pas au goût de tout le monde. Les habitants les plus proches des terrains en friche grincèrent des dents et le firent savoir. C'est ainsi que, de voisin à voisin, il fut demandé d'un peu mieux surveiller cette bande de jeunes anarchistes qui créaient la révolution non par des idées nouvelles (quoique les nôtres ne manquaient ni de sel ni de soufre) mais par le bruit. La demande arriva aux oreilles de mes parents.
Mon père avait une sainte horreur de tout tracas qui pouvait venir perturber le déroulement de ses corrections ou de ses lectures. Cette horreur atteignait un point culminant quand le gêneur venait remettre en cause le système éducatif utilisé pour ses propres filles. Les récriminations des habitants du haut de la rue, ayant suivi la pente du caniveau jusqu'à notre demeure, ne lui plurent donc pas. En accord avec ma mère, il décida que je ne pouvais plus acheter de pétards et mes remontées de la rue furent étroitement surveillées durant quelques heures.
Les achats de pétards, bien sûr, continuèrent ainsi que les explosions mais nous prenions la précaution de ne plus rester dans notre quartier. Des bois plus éloignés nous ouvrirent leurs branches et le gibier y disparut durant plus d'une semaine.
Les explosions étaient très amusantes mais, à la longue, devenues trop répétitives, elles nous ennuyèrent. Nous nous mîmes à réfléchir au moyen de varier notre plaisir. Quatre, cinq ou six cerveaux d'enfants qui cogitent finissent toujours par trouver une solution mais il faut reconnaître que ce n'est pas nécessairement la meilleure.
L'un d'entre nous se souvint que, dans les westerns qu'il adorait, les utilisateurs de dynamite plaçaient cette dernière dans une anfractuosité pour obtenir un meilleur résultat. Son explication paraissait logique et nous cherchâmes quelques pierres pour y introduire l'un de nos pétards. L'effet fut peu probant. Une nouvelle tentative dans un vieux tronc d'arbre n'apporta pas le succès escompté. Il fallait trouver un objet déjà suffisamment branlant pour concrétiser nos expériences de dynamiteurs en herbe. Nous allions y réfléchir.
Notre groupe ayant quitté les bois, nous nous dirigions, ce jour-là, vers notre rue à pas peu pressés. A part nous, pas un chat à l'horizon. Midi venait de sonner, le soleil d'été écrasait les ombres sous nos pieds et nous nous sentions plutôt flapis d'avoir trop arpenté nos différents domaines. Nous longions les deux magasins lorsque mon regard tomba sur la porte de l'épicerie. A mi-hauteur, la serrure en cuivre bien astiqué brillait, tentante en diable. Le trou utilisé pour y placer la clé avait l'exact diamètre de nos pétards. J'arrêtai le groupe pour lui faire part de ma découverte. L'idée parut à tous la meilleure que nous ayons eue depuis quelques jours. Sans attendre, nous introduisîmes l'un de nos derniers pétards dans le trou tentateur, frottâmes rapidement notre boîte d'allumettes sur le bout qui émergeait encore puis, courant comme des dératés, nous plongeâmes d'un même élan dans les hautes herbes pour nous y camoufler. Seules, nos têtes émergèrent avec prudence pour vérifier le résultat de notre expérience. 

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