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samedi 14 décembre 2013

Souvenirs d'enfance (17 - 2ème partie) Fin de guerre

 
 
 
Fin de guerre
 
 

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C'est durant cette période chaotique que se situe l'un des bons souvenirs de notre famille.

Ma grand-mère, quoique jeune, était déjà marquée par les signes avant-coureurs d'une surdité qui allait s'aggraver avec les années. Ce jour-là, aucun bombardement n'avait encore eut lieu. Mon grand-père, pris d'un besoin impérieux, s'était enfermé dans le petit édicule situé au milieu du jardin. Là, patient, il attendait, pantalon baissé et bretelles pendouillant, que la nature accomplisse son œuvre. L'œil paisible, dans un état d'absolue béatitude, il contemplait le ciel bleu par le petit cœur percé dans la porte en bois.

Boum ! Une première bombe. Reboum ! Une seconde. Et paf ! Paf ! Paf ! Les bruits d'un assaut en règle sur Saint-Ghislain et sa gare de formation. Allez donc excréter avec calme dans de telles conditions !

On a beau avoir sa fierté masculine, qui, à la fleur de l'âge, aurait eu envie de mourir le cul à l'air, enfermé dans un water-closet du Borinage ? Mon grand-père prit donc la fuite, pantalon sur les mollets et bretelles en mains. Seul, le caleçon avait été remonté en toute hâte.

Hors d'haleine, c'est ainsi qu'il arriva dans la cuisine pour y trouver sa femme vaquant à ses occupations ménagères et chantonnant un petit air russe.

 

-- Mais Choura ! Se mit-il à hurler, on bombarde ! On bombarde !

Ma grand-mère se retourna, lança à son mari un regard perplexe et, ayant bien entendu le dernier «On bombarde !» répondit avec son calme habituel :

-- Reprrrends-toi, Gaston, c'est encorrre Madame Schaefenerrr qui joue du piano !

Avait-elle entendu les déflagrations ou non ? Mon grand-père mit sa réponse sur le compte de la surdité mais il n'est pas interdit de penser que la vue de son mari arrivant du jardin c... rabattues lui inspira cet humour décapant. Ce n'était pas tous les jours que l'on pouvait rire à si peu de frais.

Le fait est qu'elle gardait son calme en toute circonstance. Sa fuite de Russie lors de la révolution était une expérience qui l'avait endurcie contre tout énervement excessif pour le restant de ses jours. Là où mon grand-père perdait encore pied, saisi par la peur, elle, faisait face avec flegme.

Petite fille, j'ai écouté cette histoire de nombreuses fois et je me régalais toujours à chaque évocation de Madame Schaefener et de son piano. Je n'en ai pas conclu que mon aïeule avait traversé la guerre en musique mais avec un courage qui forçait mon admiration.



   
Alexandra et Gaston ...  bien plus tard...



 
 
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