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samedi 26 avril 2014

Souvenirs d'enfance (25 - deuxième partie) Les trois gifles

La seconde gifle se situa à peu près à la même époque.
Ce jour-là, la femme de ménage était venue travailler avec son petit garçon, n'ayant personne pour le garder. Aucun problème pour ma mère qui vit en cet enfant un petit compagnon de jeux de mon âge.
Je jouais dans le jardin depuis le matin, tout occupée à préparer, sous la gloriette de roses rouges, un étal de légumes à l'aide d'herbes, de feuilles de tilleul et de grandes feuilles de rhubarbe sauvage. La marchandise n'attendait plus que le chaland, en l'occurrence ma sœur, pour que le jeu puisse continuer. Mes sous, petites feuilles de groseillier et jolis cailloux, se trouvaient dans le tiroir de notre table de jeu et débordaient tant je m'étais accordée de grandes richesses. De toute façon, ma sœur serait toujours plus riche que moi, elle qui avait fait moisson d'une multitude de débris de verre provenant d'un pare-brise abandonné en bord de route. Tout ce qui brille n'est pas or mais dans notre cas, ces éclats de verre valaient fortune.
Et c'est à ce moment que retentit l'appel de ma mère :
   - Viens jouer avec Luc!
Quel était ce Luc dont ma mère parlait? Je ne connaissais personne de ce nom-là et n'avais pas envie de quitter mes préparatifs. Bon, un second puis un troisième appel me firent sortir à contre cœur de derrière la gloriette.
Luc se tenait près de ma mère, nullement intimidé, et ayant déjà, du regard, pris possession de mon petit vélo rouge qui traînait dans l'allée.  
Je m'avançai et lui proposai de venir jouer avec moi à la marchande de légumes. Ce que je vis alors passer dans ses yeux ce fut tout le mépris d'un garçonnet élevé à la campagne pour les filles de son âge. Il n'était pas question de perdre son temps à jouer avec l'une d'elles quand un engin à deux roues vous tendait ses poignées . Déjà, mille projets de circuits dans le jardin avaient germé dans son cerveau et, profitant du départ de ma mère, il m'ignora complètement pour se diriger vers mon vélo.  
Quant à ça, il n'en était pas question. Je courus plus vite que lui, enfourchai l'engin et, pédalant comme une dératée, partis dans la mauvaise direction, vers la cuisine. Les cris d'orfraie que ce petit lâche se mit à pousser alertèrent les deux mères qui surgirent dans un ensemble impressionnant de coordination.
   - Elle ne veut pas me donner son véloooo!
   - C'est le mienininin!
   - Mais tu ne jouais pas avec ce vélo, intervint ma mère.
   - Je veux jouer avec maintenananant.
   - Non, tu le prêtes, Luc est ton invité.
Et malgré mes récriminations, ma mère tint bon, m'obligea à céder le vélo puis retourna à ses occupations.
Folle de rage, je n'adressai plus la parole au voleur de bicyclette, m'adossai au mur de la remise à bois et l'observai, souhaitant sa mort et pire si c'était possible.
Le pire arriva. Trop sûr de lui, Luc ne vit pas une pierre sur son trajet, fit un vol plané mémorable, atterrit sur les genoux qui furent bien entamés par une multitude de petits cailloux pointus. Je buvais du petit lait. Pas pour longtemps.
Alertées une fois encore par une série de décibels aigus, les deux génitrices firent irruption dans le jardin et, dès leur apparition, l'infâme m'accusa de l'avoir poussé. J'étais loin d'être un ange mais, en vérité, ce Luc du diable avait l'esprit tordu (un petit salopiaud, aurait dit mon père). Sans demander d'explications, énervée à l'extrême, persuadée d'un acte malveillant de sa fille, ma mère, prompte comme l'éclair, m'empoigna, me donna un soufflet bien claquant et m'envoya en punition dans la maison où je restai blottie dans un coin sombre du couloir, marmonnant entre deux sanglots que ce n'était pas ma faute si ce crétin ne savait pas rouler.

Les nettoyages terminés, Luc repartit avec sa mère et ne revint plus jamais. Il ne me manqua pas et je finis par l'oublier. Par contre ce que je n'oubliai pas ce fut cette gifle et toute l'injustice qui l'avait entourée.
 
Photo : Marcel Lefrancq
www.lefrancq.be


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