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mardi 1 avril 2014

Souvenirs d'enfance (22) La clairière

La clairière



   Ce souvenir de la clairière dans laquelle nous allions régulièrement jouer, ma sœur et moi, lorsque nous habitions au "Camp de Casteau" est l'un des plus délicieux que je garde de ma jeunesse. 
   Des heures durant, nous y avons observé la vie des lapins qui y pullulaient et   avons arpenté les mini-sentiers qui reliaient les terriers les uns aux autres. Face à ces derniers, nous nous couchions au sol, immobiles, dans l'attente naïve et jamais récompensée d'un lapin assez téméraire   qui serait venu nous dévisager. L'espoir ne nous quittait pas facilement et le moindre frémissement des herbes faisait battre notre cœur. Il fallait que le froid du sable finisse par nous serrer le ventre pour que nous abandonnions la partie, nous promettant de revenir le lendemain.
   C'est dans cette clairière que mon père, son ami le photographe Marcel Lefrancq et bien d'autres amateurs partaient à la recherche de silex taillés pour agrandir leurs collections. C'était souvent Marcel qui trouvait LE trésor : un semblant de pointe de flèche ou un petit grattoir.  Une réunion au sommet était alors programmée; tout ce monde revenait à la maison et, dans le bureau de mon père, les analyses,  les  constatations, les objections s'entrecroisaient jusqu'à l'heure du repas
   En été, les jours de fortes chaleurs, ma mère   (ou ma grand-mère), panier sous le bras, nous emmenait en fin d'après-midi pour un petit pique-nique; l'une et l'autre appréciaient la fraîcheur des abords forestiers. Arrivées à la rivière qui servait de frontière entre les domaines privés et les espaces de sauvagerie, c'était toujours les mêmes recommandations : "Attention, ne vous mouillez pas les pieds ! Vous prendriez un rhume !"  Ah, ces bonnes paroles ! Comme elles nous faisaient rire : la veille, l'avant-veille et tous les autres jours, nous y avions trempé les mains, avions mouillé nos chaussettes, étions tombées dans cette petite rivière aux eaux si limpides qu'elles nous laissaient voir le moindre grain de sable de son fond. Les adultes aussi sont parfois bien naïfs !
   C'est   bien souvent là  que mon père partait méditer, un livre de poésie entre les mains. Le garde forestier y croisait son chemin. De loin, invisible dans son costume couleur de forêt, il voyait Franz arriver, studieux ou perdu dans ses pensées; il le laissait approcher avant de déclarer sa présence par un mouvement du bras ou par une avancée du corps. Une conversation amicale s'engageait alors malgré les lourds reproches que Gustin aurait eu à formuler à l'encontre des deux filles de son interlocuteur. Mais allez savoir ... Peut-être que les reproches étaient formulés et que mon père, à son retour, se contentait d'informer notre mère qu'il faudrait surveiller les enfants et faire preuve d'un peu plus de fermeté vis-à-vis des deux fugueuses qui, avec une régularité exaspérante, venaient semer la pagaille au cœur de la forêt et dans la clairière.    
   Début des années 50, c'est malheureusement de là, qu'un soir, mon père revint horrifié : il y avait trouvé les premiers cadavres de lapins atteints par la myxomatose. A la maison, cette macabre découverte alimenta les conversations des soirées entières et tous les amis défilèrent pour constater les désastres de la bêtise humaine  dont j'eus, pour la première fois, conscience. Ce souvenir est, grand merci, le seul souvenir noir lié à cette clairière.
   En fait, c'était, dans notre environnement immédiat, le lieu que tous les membres de notre famille adoraient, chacun pour une raison précise et différente.
   Cerise sur le gâteau, il arrivait qu'en fin d'année scolaire, alors que tous les programmes avaient été bouclés (ou presque), les deux institutrices de notre école communale nous y emmenaient pour des après-midi récréatives qui nous semblaient toujours trop courtes.
   Cette clairière, voilà bientôt quarante ans que je ne l'ai plus revue. Qu'est-elle devenue ? Mangée par les cimenteries d'Obourg sans doute; encerclée par des réseaux de routes et d'autoroutes; étouffée par de nouvelles constructions à loyer modéré ...
C'était notre paradis, celui des oiseaux, des lapins, et des papillons; un lieu où s'épanouissait une multitude de fleurs différentes et où, sur ses bords, les fougères royales formaient notre forêt  de Brocéliande. Si nous n'y avons jamais rencontré Merlin et Morgane, c'est que nous ne nous y sommes jamais aventurées  la nuit.   


Merci à Jacques pour sa relecture et ses conseils

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