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samedi 22 novembre 2014

Souvenirs d'enfance (33) - Jeux d'antan (5ème et dernière partie)

Tintin 26 janvier 1950
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Tintin 29 décembre 1949




     Ma sœur, durant ce temps, avait rejoint son amie Odette. Elles avaient réuni la collection de figurines d'Indiens, le grand totem coloré, les tipis de la tribu et étaient parties sur la plaine de Casteau. 
     Nul lieu ne convenait mieux que cette immensité sablonneuse couverte de genêts pour y recréer les aventures de « Corentin chez les Peaux Rouges » ou réactualiser les guerres indiennes dans lesquelles, inévitablement, les blancs démoniaques, attachés au poteau de tortures, seraient tous vaincus et éliminés de la surface des grandes plaines hennuyères. 
      L'Histoire n'était peut-être pas respectée avec beaucoup de scrupules mais quelle jouissance, pour ma sœur et son amie, de pouvoir rectifier son cours et réparer, à si peu de frais, tant d'injustices passées ! Pour les deux amies assoiffées de sang, les heures passaient trop vite et il n'y avait jamais assez de morts parmi les langues fourchues.
     C'était le gros badelon savoyard qui, secoué de main de maître par ma mère, interrompait nos jeux et nous obligeait à redescendre sur terre. Il n'était pas question de discuter, l'heure sacrée du repas était arrivée. Les visages pâles obtenaient un répit avant une agonie affreuse; mes bulles s'estompaient dans le paysage, laissant les papillons repartir seuls à la découverte de notre imposant buddleia, seigneur de notre cour.


Souvenirs de 1949/1950

Corentin part sur les chemins de l'ouest américain avec sa mère pour retrouver son père. Malheureusement, le fort qu'il dirigeait a été détruit, et l'homme a disparu. Notre infortuné héros, au prise avec des colons malhonnêtes et violents est recueilli par Bison Noir et sa fillette, Wakita, qui devient vite la compagne de jeu de Corentin. Tandis que sa mère soigne les indiens, Corentin apprend les rudiments de la vie des peaux-rouges.

Corentin chez les peaux-rouges porte bien son titre. Il n'y aurait pas grand'chose de plus à en dire. C'est, comme les deux albums précédents, une suite ininterrompue de rebondissements et d'aventures, avec le fil conducteur de la quête du père, soit symbolique (le sage Bison Noir), soit biologique. Quand je dis les deux albums précédents, il faut bien comprendre les deux premiers albums de la série, car, je le rappelle, Corentin Chez Les Peaux-Rouges est le troisième 'corentin' de Cuvelier, publié en 1956 au Lombard.

Mais que peut bien aller faire notre héros breton, que nous avions laissé près de la jeune Sa-Skya et de son père, Maharadjah de Minpore au XVIIIe siècle, dans l'ouest américain en pleine conquête de l'ouest ? Les lecteurs attentifs auront noté l'anachronisme, et leur connaissance géographique leur indique que Corentin a dû voyager bien longtemps pour arriver à la première case de cet album.

C'est que les lecteurs du journal Tintin, à l'aune des années 50, réclament du western, et le journal n'en a pas. Chick Bill n'arrivera que quelques années plus tard. D'où l'idée de demander à Cuvelier, qui termine son 'odyssée', d'enchaîner immédiatement sur un western. Corentin sera, pour ce faire, le petit fils de Corentin. Le tour est joué, la famille voyage, un peu à l'instar de ce que feront les Timour dans Spirou.
Passionné par les chevaux, Cuvelier accepte le défi et l'aventure est publiée quasiment dans la continuité des deux premiers albums, dans le journal tintin en 1949 et 1950. 

Deux changements majeurs se produisent néanmoins : Cuvelier adopte une mise en page sur quatre strips, et la série gagne du grade en étant publiée en dernière page du magazine, donc en couleurs. Mais ces deux changements contraignent Cuvelier quant au dessin, puisque la taille de chaque vignette est moindre (il travaille cependant sur un plus grand format original) et la mise en couleur lui fait perdre la possibilité du lavis, utilisé sur les deux premiers albums. La mise en page lui permet cependant certaines variations (des cases plus grandes s'étalant sur deux strips) qu'il se permettra, rarement tout de même, par la suite.

Est-ce que ce sont ces changements ? Est-ce que Cuvelier se sent moins libre dans l'ouest américain, toujours est-il que l'unité graphique de l'album se perd petit à petit, pour arriver vers la fin à des pages quasiment bâclées, qui montrent l'envie d'en finir vite. C'est dommage, car le récit se tient, car Cuvelier a fourni un travail de documentation fouillé, et que l'univers développé est d'une grande cohérence. L'influence de l'évolution du western se fait sentir, et l'on est bien plus proche de La Flèche Brisée que d'un John Ford. Les indiens sont un refuge, dont les règles reposent sur le respect de l'autre et de la nature, alors que les cow-boys sont des brutes vulgaires et sans merci, sans morale.
Cuvelier reviendra au western avec une série ultérieure, Wapi.

Heureusement que cette peinture politique tient la route, et que l'héroïne Wakita apporte toute la fougue et le dynamisme nécessaire à l'histoire, car Corentin le petit fils est plutôt terne et mièvre, portant un regard souvent peu pertinent et naïf sur ce qui l'entoure : une drôle de façon de refléter le lectorat du journal !


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