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lundi 4 mai 2015

Souvenirs d'enfance (37) - Premières vacances en Savoie (2ème partie)

Le pain et la tomme

    Quatre heures sonnaient à l'église d'Albiez.
    Ivres des odeurs d'herbes fauchées, fatigués d'avoir sauté par-dessus les andains, lassés d'avoir tenté l'escalade du dos de l'âne, bien souvent refoulés par les faucheurs pour lesquels nous étions plus indésirables que des guêpes, André et moi redescendions au village.



    Arrivés  près de la maison familiale, nous ralentissions, le temps de calmer nos respirations. Nous musions alors parmi les cailloux du sentier, cherchant des yeux la coccinelle ou le carabe, ultime découverte, avant de venir quémander de quoi calmer notre faim de jeunes fous sans harnais.
    Gardien fidèle du logis lorsque toute la famille se trouvait dans les champs, le pépé terminait sa sieste au soleil,  le chapeau   rabattu sur les yeux.
    Mon compagnon se plantait devant son grand-père et disait : « Pépé, j'ai faim ».
    Pour moi, c'était bouche cousue. Durant les quelques minutes qui allaient suivre, j'espérais faire partie de la famille pour le partage de la collation.
    Le pépé repoussait son chapeau, nous lançait un regard scrutateur, cherchait les inévitables failles que traîne toujours derrière lui tout enfant en goguette. Refoulant le soupir dû aux rhumatismes, il se levait, raide, les membres encore engourdis par la sieste et, franchissant le seuil de la maison, entrait dans l'ombre fraîche de la salle commune. Nous le suivions.
    Sur la lourde table d'un bois patiné par le temps, deux trésors : le pain et le morceau de tomme auxquels la caresse d'un rai de soleil offrait la beauté du saint Graal.
    De sa poche, Pépé sortait son Opinel, ouvrait la lame et, une main rugueuse tenant le pain appuyé contre son ventre, taillait de l'autre main deux coins identiques. Après quoi, il entamait  la tomme pour y prélever deux morceaux tout aussi égaux.
    Les deux affamés que nous étions attendaient en silence la fin du partage. Pépé prenait son temps et il était hors de question d'oser le bousculer par des demandes réitérées.
    Le patriarche se tournait alors vers nous, une fois de plus, fouillait nos âmes enfantines de son regard perçant puis, satisfait de ce qu'il voyait, nous tendait à chacun un coin de pain et un coin de tomme. « Voilà pour vous, nous disait-il, et à présent, sauvez-vous ».

    Un trésor dans chaque main, mordant une fois dans l'un et une fois dans l'autre, comme deux cabris échappés, nous repartions à l'attaque de la vie parmi les renoncules, les grandes gentianes jaunes ou les vératres blancs.



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