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jeudi 20 décembre 2018

Terroriste un jour, terroriste toujours…



La voix est plus ahurie qu’effrayée :
Eh ! Viens voir ça dit le douanier préposé à l’écran à son collègue. Puis, s’adressant à moi : « Vous avez un couteau dans votre sac ? »
Je réfléchis . Horreur ! J’ai oublié mon petit couteau de randonnée dans la pochette intérieure du sac à main.
Oui, en effet, j’ai dû oublier mon petit couteau. Mais ne vous tracassez pas, il est tout petit !
Madame, je suis obligé de fouiller votre sac !
Essayant de caresser l’homme dans le sens du poil, j’approuve :
Allez-y, je vous en prie, c’est normal.
Joignant le geste à la parole, le second douanier sort mon sac à main de mon sac à dos et commence la fouille.
Attendez, je sais exactement où il est, je vais vous aider et, ce disant, j’avance les mains vers mon sac, pleine de bonne volonté.
Crispée, la voix du douanier est montée d’un ton (même de plusieurs)
Tirez vos mains tout de suite, vous ne pouvez toucher à rien !
Mais je veux vous aider !
Enlevez vos mains immédiatement, s’il--vous--plaît ! ! !
Là, on atteint des sommets dans le crescendo vocal. Un rien de stress peut-être ?
Ah ? Bon, comme vous voulez. c’était pour vous aider …
Je vais devoir tout fouiller !
Mais ne perdez pas votre temps, le petit couteau est dans la poche intérieure de mon sac à main. Là, vous voyez, dans la poche avec une tirette. (J’oublie que les Français ne connaissent pas les tirettes de sac, mais, bon, je ne vais pas donner un cours de linguistique belge dans cette douane)
En parlant, je viens de tendre l’index vers mon sac. Décidément, je cherche la castagne. Le douanier se redresse et me foudroie du regard. Ouh là là ! Vite ! Éloignons les mains du sac.
Je vous répète que je vais être obligé de tout fouiller.
La voix est devenue polaire.
Faites, faites…
La fouille continue, pochette après pochette pour, enfin, arriver à l’emplacement où se cache un petit couteau terrorisé quant à son avenir.
Le douanier sort la gaine en nylon noir, en extrait le couteau pour l’observer.
Ah ! qu’il est beau mon petit couteau avec son manche en corne et sa lame toute propre et brillante. Une vraie merveille espagnole d’Albacete.
C’est alors qu’un rugissement retentit …
Mais c’est un couteau à cran d’arrêt !
Mais non, vous voyez bien qu’il est tout petit.
Le douanier ouvre le couteau brusquement passé du statut de couteau de rando à celui de dangereux surin.
-- Tout petit ? Mais il fait plus de cinq doigts !
Je regarde la lame. En toute honnêteté, je n'aurais jamais cru qu'elle faisait cinq doigts. Quand je coupe un morceau de saucisson, je ne calcule pas la mesure d'une lame. C'est une découverte !
Mais moi ? Suis-je passée du statut de voyageuse tranquille à celui de malfrat ?
Malfrat, malfrat-e ? Non, la féminisation du mot n’existe pas encore. Je garde toutes mes chances.
En s’ouvrant, le couteau vient d’émettre un clic annonciateur d’un blocage de lame. Mauvais, mauvais, ce bruit qui, pourtant, ne m’a jamais alertée lors de mes collations en forêt.
C’est bien un couteau à cran d’arrêt, je suis obligé d’appeler la gendarmerie, insiste l’homme !
Toujours calme et souriante, je regarde le douanier et lui dis :
Vous blaguez ou quoi ? Un couteau à cran d’arrêt, c’est un couteau avec un bouton et quand on appuie dessus, la lame sort d’un coup.
Bon sang, je ferais bien de la boucler. Je finirai par passer pour une spécialiste des lames dangereuses.
Un troisième douanier intervient, pas stressé du tout et tente de calmer la situation :
En effet, madame, votre couteau est bien à cran d’arrêt. A partir du moment où la lame se bloque, c’est un--cran-- d’a--rrêt.
Comme les Opinel alors ?
S’ils ont une virole ce sont des crans d’arrêt !
Eh bien ! Ça, je ne le savais pas.
Têtu, le second douanier reprend :
Je dois confisquer votre couteau et appeler la gendarmerie !
Mon sang ne fait qu’un tour. Quoi ? Confisquer mon petit couteau ? Mais ils deviennent fous ici ?
Mais vous n’allez pas me confisquer mon couteau quand même ? C’est un cadeau ! ! ! Arrêtez de me faire marcher !
Derrière moi, une voix s’élève :
Il vient de Tunisie ?
Pourquoi de Tunisie ??? la question est bizarre.
Non, il vient d’Espagne.
Maintenant, toutes les voix se mélangent autour de moi. Chaque douanier (et ils sont six) veut en savoir un peu plus.
Et pourquoi l’avez-vous gardé dans votre sac ?
Parce que j’ai oublié qu’il se trouvait là !
Monsieur Têtu revient à la charge :
Couteau confisqué !
Mais vous pouvez me le rendre plus tard, non ?
Confisqué je vous dis. Vous ne pouvez pas monter dans l’avion avec un couteau.

..
S’ensuivent alors des tractations qui me permettront, un jour proche, de récupérer mon copain de rando .
..

Enfin, je peux avancer dans le hall d’attente où je m’installe pour lire un sombre roman d’espionnage et de crimes entre Russes et Américains dans les mers arctiques. Cela va me changer les idées.
Une page, deux pages, trois pages… quand brusquement les hauts-parleurs lancent un appel incroyable : « Madame Moreau est invitée à se présenter…etc ...etc... »
« Aïe ! Que se passe-t-il encore ? Ils ont peut-être fini par appeler la gendarmerie ? ? ? » Mentalement, mes meilleurs gros mots se succèdent.
Je reviens vers la passage en douane.
Le tout premier douanier qui me voit arriver s’écrie :
Pourquoi est-ce que vous revenez ?
A mon avis, son cerveau s’affole. La cinglée avec son histoire de couteau à cran d’arrêt. C’est LE RETOUR , film non programmé.
Ben, on m’a appelée !
Oui, intervient un nouvel employé, Madame doit venir pour le contrôle de sa valise.
Ma valise ? Mais que se passe-t-il avec ma valise ?
Il s’y trouve un objet que nous ne parvenons pas à identifier.
Ça alors, je n’en reviens pas ! Et dehors de deux pulls, un jean, quelques paires de chaussettes, mes slips et de vieilles bottines, il n’y a rien d’autre que des cadeaux et des cadeaux et des cadeaux bien emballés et ficelés pour la Noël de la famille.
C’est à ce moment que survient le dénouement du problème «couteau ». La douanière qui le détenait le tend à son collègue et dit :
Puisque tu vas vers la valise de Madame, places-y ce couteau. Il lui a été confisqué. Dans sa valise, elle peut le garder.
Yaou !!! Mon petit couteau me revient. Je tends une main fébrile pour le récupérer.
Non, pas vous ! C’est mon collègue qui doit le porter.
Le collègue observe le couteau, le prend entre le pouce et l’index comme s’il dégoulinait de sang et le tient à bout de bras durant tout le trajet jusqu’à la valise.
Et la voilà, ma vieille valise, compagne de tant de voyages. Gueule ouverte, elle attend mon arrivée, ayant déjà craché la vérité concernant mes quelques atours. Seuls les cadeaux ont gardé leurs merveilleux secrets scellés par leurs bolducs d’un rouge festif .
Désolée, me dit la douanière qui me reçoit, mais nous devons vérifier le contenu de chaque paquet.
Oh! Tant qu’à faire, allez-y, coupez les nœuds. Comment voulez-vous agir autrement ? Je peux vous dire ce qu’il y a dans chaque paquet mais vous n’êtes pas obligée de me croire ….
Non, en effet, et je dois donc tout ouvrir.
Et scritch ! Et scritch ! Et scritch ! C’est la danse des petits ciseaux. Si ces derniers pouvaient rencontrer mon petit couteau, quelle surprise party ! Il ne manquerait qu’un rock endiablé.
Mais j’arrête de rêver.
Chaque cadeau est débarrassé de son bolduc, ouvert, vérifié. Tout est OK , c’est le carnage dans ma valise mais l’ordre règne dans le meilleur des mondes .
Non, Madame, vous ne trouverez aucune arme, aucune bombe, aucun explosif dans ma valise. Peut-être, oh, surprise ! un énorme et vieux téléphone en bakélite noire pour mon fils, mais rien d’autre.
Et non, je ne serai pas l’héroïne de la chanson de Dalida
« Les yeux battus
La mine triste et les joues blêmes
Tu ne dors plus
Tu n’es plus que l’ombre de toi-même »

Je commence quand même, il faut l’admettre, à frôler les voies impénétrables d’un cerveau très fatigué et, lorsque la douanière, après avoir refermé ma valise, me souhaite un bon voyage, je me tourne pour lui souhaiter un bon voyage à elle aussi. Son regard ébahi me ramène à la réalité.
Et me voilà de retour au contrôle en douane.
Toute fière, je dépasse les voyageurs qui forment maintenant la longue file de ceux qui vont quitter le doux sol de France.
Près du douanier, je dis :
Vous vous souvenez, je suis déjà passée une première fois. Je peux y aller ?
Son regard courroucé m’annonce un avenir proche plus sombre que prévu.
Non, mettez-vous dans la file, il faut tout recommencer. Votre sac dans le plateau, votre anorak et votre écharpe aussi. Vous n’avez ni ceinture ni objet métallique sur vous ?
Non
Avancez
J’obtempère sans discuter plus longuement. Ayant gagné une bonne vingtaine de places dans la file, je ne vais pas me permettre de la bloquer, en plus …
Et pourtant …
Alors que, lors de mon premier passage, aucun bruit n’avait troublé la sérénité de l’aéroport, lorsque je passe sous l’arceau de sécurité, j’entends, cette fois, l’alarme se déclencher.
Hop ! un pas rapide en arrière. Ma ceinture ! J’ai une ceinture avec une boucle métallique. J’avais oublié. En un tour de main, je l’enlève, priant le ciel (ayant maigri) pour que mon pantalon ne me tombe pas sur les chevilles devant une foule incrédule.
Le douanier s’énerve :
Je vous ai demandé si vous aviez une ceinture !
J’ai mal entendu, excusez-moi.
Main gauche crispée sur le haut du pantalon, nouveau passage sous l’arceau mais j’ai dû très mal agir dans une autre vie ...
Bardaf ! nouvelle alarme déclenchée.
Cette fois, il s’agit de mes chaussures et de leurs œillets métalliques.
Hop ! un nouveau pas rapide en arrière.
Enlevez vos chaussure, grince le douanier.
Cette fois, ses yeux se sont amincis, comme ceux du boa observant sa future proie.
Enfin, comme aux Jeux olympiques, le troisième essai au portique est une réussite certaine mais cependant non applaudie.
Et revoilà le tout premier douanier, celui qui, face à son écran, ne laisse passer aucun contrevenant.
L’homme a une excellente mémoire.
Vous êtes encore là ? me dit-il en me dévisageant.
Eh oui ! Il faut le savoir, un rien étonne parfois le travailleur en douanes.
Bon, maintenant, redevenons sérieux. Je récupère mon sac à dos, mon anorak, mon écharpe et ensuite… plus rien n’apparaît car plusieurs voyageurs se sont intercalés entre mes chaussures et moi. Non que je me prenne pour Bernadette à Lourdes mais, dans une vision psychédélique, j’aimerais voir surgir mes bottines et pouvoir me rechausser.
Comme, indépendamment de ma volonté, je bloque une nouvelle fois la file, le préposé à l’écran se retourne m’observe et demande :
Cette fois-ci quel est le problème ?
Il me semble que, chez lui aussi, les yeux sont devenus plus reptiliens. Si je m’attarde trop, je risque d’entendre le chant de Kaa « aie confiance, crois en moi...». L’hypnose n’est plus très loin.
Mes chaussures, ce sont mes chaussures qui n’arrivent pas ! Je ne vais pas prendre l’avion en chaussettes quand même ?
Miracle, voilà les bottines qui arrivent doucettement sur leur plateau gris.
Allez, poursuit monsieur Kaa. Prenez vos chaussures, asseyez-vous là et mettez-les.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Mais bon, les lacets sont longs et je dois m’y reprendre à deux fois pour arriver à les serrer. Si j’avais eu des velcros, j’aurais gagné du temps.
Ce temps perdu permet à Monsieur Kaa de se retourner une fois encore et de re-constater ma présence proche.
C’est plus fort que lui, il éprouve le besoin de continuer notre attendrissante conversation :
Vous croyez que vous partirez un jour ?
La musique adoucit les mœurs, dit-on. Je devrais lui
chanter : "D'être avec vous ce soir J'ai le cœur qui pétille".
En toute simplicité, je réponds :
Voilà, voilà, j’y vais.
J’empoigne mon sac à dos, mon manteau et mon écharpe et je réintègre le hall d’attente. Ouf ! Sauf malheur, je vais enfin connaître la suite de mon roman d’espionnage.



En réponse à une excellente amie, ma cousine Brigitte 😘, choquée par l'aventure :
"oh ! tu sais, Brigitte, ils n'ont tous fait que leur boulot ! Je crois que les agents chargés de la protection des lieux publics sont bien plus stressés que nous. En cas de problème, ils sont en première ligne ! Moi, en tant que narratrice, je me permets de mettre de l'humour dans l'aventure mais pour ces douaniers, de l'humour, il n'y en avait pas ... Et je peux te dire qu'ils sont toujours restés très polis à mon égard malgré mes égarements 🙃   🤯   😳    "

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