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lundi 2 novembre 2020

Mémoires d'instit - L'orvet

 

 


 

 

    Ma grande passion, durant toute ma carrière d'enseignante, fut toujours d'aller étudier la nature DANS la nature.

   En automne et dès l'arrivée du printemps, la moindre occasion nous voyait, les enfants et moi, partir à la découverte des mille et une merveilles que nous offraient les bois, les prairies et les marais proches de l'école.

   Parfois, la réussite d'une leçon était totale comme le  jour où, tous étendus au bord d'un étang, nous avions pu surveiller l'évolution des œufs, têtards et jeunes grenouilles qui coassaient à qui mieux mieux parmi les roseaux et le cresson sauvage.

   D'autres fois, il me fallait faire un effort énorme pour ne pas montrer aux élèves mon appréhension face à une découverte non programmée.

   Ainsi en fut-il le jour où leur découvert provoqua un rassemblement autour d'un orvet de belle taille, brillant comme un bijou précieux au milieu du chemin forestier que nous suivions.

   -- Vite, vite, Madame, venez le prendre pour qu'on puisse le voir de plus près.

   Dans un premier temps, je ne réalisai pas que ce qu'ils voulaient tous voir de plus près était ce petit reptile inoffensif, prisonnier au centre de leurs pieds qu'ils avaient placés en cercle pour former une barrière qu'ils imaginaient infranchissable.

   -- Ah, bien ! c'est un orvet, leur dis-je. Surtout ne lui faites pas de mal, il est très utile dans la nature mais aussi très fragile et patati et patata... 

   -- Oui, mais prenez-le, on veut le caresser.

   -- Mais je pense qu'il ne va pas aimer.

   -- Si, on veut essayer ! 

   -- Vous savez, si on touche à un orvet, il peut se casser la queue comme du verre. On ne peut pas lui faire ça ! 

   -- Mais faites attention alors, comme ça il ne se cassera pas. Allez, prenez-le ! 

   Courageux, les chéris, mais jusqu'à un certain point. Pour pouvoir le toucher, ils voulaient que je sois la première à établir le contact. 

   Impossible de me défiler plus longtemps. Le pire enseignement que j'aurais pu leur donner à ce moment aurait été de leur montrer ma répugnance à toucher un orvet.

   Ce dont aucun d'entre eux ne pouvait avoir idée c'est  que la pensée de ce contact me hérissait littéralement les poils des bras. Depuis que, dans ma jeunesse, mon père avait, en riant, posé un orvet sur mon bras pour, me dit-il alors, m'en faire un bracelet, j'avais gardé une horreur irraisonnée  de cette impression de froide puissance.

   -- Prenez-le, il va se sauver !

   -- Allez, prenez-le ! 

   Je m'accroupis donc et tendis la main puis, fermant les yeux durant une ou deux secondes, je pris l'orvet et le posai sur la paume  de ma main où il resta sans bouger.

   Voyant que le petit reptile bronze et argent ne présentait pas de danger, quelques élèves tendirent l'index pour lui caresser le dos.

   La forêt s'emplit alors des cris heureux et des rires émerveillés des plus téméraires qui avaient tenté l'aventure. 

   Un réel moment de bonheur dans cette allée ensoleillée où les oiseaux lançaient leurs chants en réponse aux rires enfantins. 

   Mais la meilleure leçon, ce jour-là, fut pour moi qui venais de comprendre qu'un orvet n'avait rien de répugnant.

 

 


 

 

 

  

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