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samedi 13 février 2021

Mémoires d'instit : Les détachés pédagogiques

 

 

 


 

   Sur quelles bases avaient-ils été détachés ? Nul ne le savait.

   Nous apprenions un jour qu'un tel de nos collègues était devenu détaché pédagogique en lecture, en mathématique, en n'importe quoi...et qu'il allait voyager d'une école à l'autre pour mieux partager son savoir. Savoir qui, souvent, ne nous avait pas sauté au yeux en cours d'année.

   Il arriva même, une année, alors que nous n'avions rien remarqué le concernant, un couple (mari et femme) de mon école fut détaché. Lui pour la lecture, elle, institutrice maternelle, dans je ne sais plus quel domaine. Et à deux, bras dessus bras dessous, ils partirent déposer leurs œufs pédagogiques dans les nids d'autres écoles.

   Nous ne nous faisions pas trop d'illusions, les appuis syndicaux et quelques bras longs bien plus que les compétences réelles avaient dû jouer en leur faveur. Bah ! Si cela pouvait les rendre plus heureux de quitter leur classe durant quelques temps ! 

   Dans l'enseignement, il est des passages à vide durant lesquels aller voir si l'herbe n'est pas plus verte ailleurs relève d'un moyen de survie. Au lieu de manger du foin tous les jours, le maître a alors droit à la meilleure avoine.

   En fait, ces DP ne me gênèrent absolument pas jusqu'au jour où je compris que certains d'entre eux faisaient partie de l'espèce rapace la plus méprisable qui soit. Ils étaient comme ces vautours qui, ayant aperçu leur proie du haut du ciel, fondent sur elle pour s'en repaître sans état d'âme. Les lambeaux d'une carcasse sont toujours bons à savourer.

   Durant des années, nous ne les avions pas rencontrés mais il arriva  un moment où nos écoles à l'étranger furent des carcasses extrêmement alléchantes : accueil chaleureux, repas offerts dans de très bons restaurants, gîte gratuit, accès à des magasins détaxés. Pensez donc, quelle occasion à ne pas rater ! Et sans trop se fatiguer en plus !

 

   Je vous livre ici le récit de l'un de leurs derniers passages dans nos écoles d'Allemagne.

 

   Par un beau matin de printemps, joyeux, leur groupe arriva dans notre école. Six, sept, huit ? Je ne sais plus trop combien ils étaient. Il y avait les quatre DP, notre inspecteur, une inspectrice maternelle, et un ou deux « encadrants » supplémentaires. On ne sait jamais !

   Présentations, café, petits biscuits, tout fut accompli dans les règles de l'art du bien recevoir. Notre institutrice en chef FF* savait y faire et, de toute évidence, l'inspecteur ne lui déplaisait pas.

   Après quoi, il fallut bien justifier le déplacement du groupe et entrer dans le vif des sujets proposés.


   La première animation eut lieu dans la salle de projection, local trop exigu pour le nombre de participants mais peu importait. ON allait nous enseigner de nouvelles méthodes pour détendre des élèves stressés par les difficultés de la vie et ON n'allait pas chicaner pour une question de surface. 

   Il nous fut distribué des bâtonnets style mikado avec ordre de se choisir un partenaire puis nous dûmes danser, deux par deux, en tenant les bâtonnets en équilibre du bout des doigts. Pour décompresser, on était loin du compte mais l'essentiel n'était-il pas de participer ?

 

Vous voyez le style ?




   Après quelques âneries du même genre, il fut temps d'aller dîner car toutes ces recherches d'équilibre et de danses loufoques nous avaient épuisés et affamés (surtout les animateurs).

   L'après-midi fut consacrée au dessin. Il fallait remotiver les troupes tant il est vrai que les activités artistiques sont si souvent négligées dans l'enseignement primaire.

   La DP, Madame« mai 68 : le grand retour », longue jupe et cheveux en bataille, nous fit disposer les bancs en fer à cheval afin de mieux se situer au centre de notre groupe. Après quoi, elle nous distribua papier de dessin, crayons, aquarelles et tout le toutim ! De quoi accéder au grand art sans coup férir.

   Nous étions déjà très excités à l'idée des merveilleuses créations qu'elle allait nous proposer. Nous avions soif d'entendre ses conseils, ses jugements, ses directives ! A quarante, quarante-cinq ou cinquante-cinq ans, vous imaginez ! Il nous restait si peu de temps pour accéder à un niveau pédagogique honorable en dessin !

   Le cours commença donc dans un silence religieux. La DP se plaça au centre de notre groupe, un album de dessin en main et sembla choisir une page au hasard.

-- Voilà ce que vous pourriez faire avec vos élèves, nous dit-elle, nous montrant l'illustration tout en tournant sur elle-même afin que chacun puisse voir.

   Ensuite, elle feuilleta quelques pages et nous proposa une autre illustration.

--  Ou ceci qui n'est pas difficile et ne demande pas un matériel coûteux.

   Puis elle continua, s'arrêtant ici ou là sur un modèle qui devait lui sembler adapté à nos   compréhensions limitées.

   D'un exemple à l'autre, elle arriva rapidement à la fin de son livre qu'elle ferma, avec la même délicatesse que s'il s'était agi des  Tables de la Loi, avant d'aller le déposer sur le bureau.

   Nous eûmes alors le droit de nous lancer dans la réalisation de l'un des modèles qui venaient de nous être proposés. Ce n'allait pas être du copié/collé, non, tout simplement du copié pour les moins imaginatifs d'entre nous.

   Certains semblèrent réfléchir longuement, à la recherche de l'inspiration, d'autres ornèrent les bords de leur feuille d'innombrables graffitis, d'autres encore se lancèrent dans des mélanges de couleurs psychédéliques. Quoi ? Il fallait bien arriver à tenir le coup jusqu'à la sonnerie de fin de journée, non ?

   De toute manière, la DP avait rapidement compris que son animation n'était qu'un énorme flop ! Digestion difficile après un trop bon repas ? Dégoût d'une régente en art plastique face à des enseignants du primaire ? Allez savoir.... Le fait est que cette seconde animation nous avait enlevé toutes nos illusions aussi bien à elle qu'à nous.


   Durant la pose café de fin de cours et les points de vue informels qui suivirent cette « journée pédagogique », la DP en lecture vint me trouver pour me demander si je voulais rester quelques minutes de plus, elle aurait aimé discuter des livres que l'on pouvait mettre à la disposition des élèves dans chaque classe. Oh ! Pour cela, elle ne pouvait pas mieux tomber. Ma bibliothèque de classe était connue dans l'école pour la quantité d'ouvrages que j'avais accumulés tout au long de ma carrière. Les élèves y trouvaient tous les livres qui pouvaient leur apporter un peu de bonheur. Des plus simples aux plus ardus, de la bande dessinée aux romans pour enfants. Dans le fond de ma classe, il devait y avoir plus de cent livres. Les aventures de Tintin côtoyaient celles de Harry Potter. De nombreux livres du Père Castor, des ouvrages de documentation, des revues mensuelles... mais aussi...aïe ! des aventures de Martine, livres tant décriés !

 

 

 

   Arrivées dans ma classe, la DP et moi nous installâmes près de cette bibliothèque et la conversation commença. Elle me parla de l'importance de la lecture, me dit qu'actuellement, nombre d'enfants vivaient (souvent très mal) dans des familles recomposées, que le monde devenait de plus en plus violent et qu'il fallait aider les enfants les plus malheureux en leur proposant des livres qui, eux mêmes, décrivaient notre monde et ses malheurs, pour que ces enfants sachent qu'ils n'étaient pas les seuls à souffrir !!!

-- Et vous croyez que ce genre de livres va les rendre plus heureux ? demandai-je. 

-- Heureux, je ne dis pas, mais ils comprendront qu'ils ne sont pas les seuls à être malheureux. C'est pour cela que je voudrais voir tous ces livres de Martine disparaître des bibliothèques scolaires. Ils donnent une fausse idée de la vie. Tout y est trop rose !

Pour ce qui est d'une véritable idée de la vie, elle oublia de me parler des aventures de Harry Potter, de Oui-Oui ou du Club des Cinq !

Continuant la conversation sur les Martine, je lui demandai :

-- Les avez-vous lus ? 

-- Oh ! J'ai mon idée sur cette littérature. 

-- Eh bien, moi j'en ai lu plusieurs ! je m'étais posé la question : pourquoi, dès la rentrée, les élèves se jettent-ils sur les Martine quand je leur donne accès à la bibliothèque ? J'ai pris une dizaine de ces livres chez moi et j'ai consacré une soirée à leur lecture. Il est vrai que c'est une littérature de béni-oui-oui, complètement ringarde, conventionnelle et même réactionnaire. Mais quand on termine l'un de ces livres, on se sent bien, comme dans un cocon sécurisé. Et je pense qu'un enfant qui vient d'entendre hurler ses parents, qui a reçu des coups ou qui ne se sent pas désiré, cet enfant peut trouver plus de réconfort dans une rêverie d'amour qu'en lisant un livre qui lui dit : tout est comme cela dans le monde et tu ne t'en sortiras pas. Enfin, c'est mon avis et j'ai peut-être tort mais, les Martine, je ne les enlèverai pas de ma bibliothèque.

   La dame me dit qu'elle comprenait mon point de vue et nous nous quittâmes sur des paroles cordiales.


   Le lendemain, seconde journée pédagogique.

   Il s'agissait cette fois …. et bien, je l'avoue, je ne sais plus de quoi il s'agissait. Il fallait prendre des notes, répondre à des questions, mais concernant quoi ? ? ? Mystère. Ce dont je me souviens, c'est que la chef d'école FF s'était placée à mes côtés et copiait mes réponses. Fayotte, va. Mais bon, c'était son style et, à l'école, tout le monde le savait.

   Les stupidités de la veille plus la « belle en cuisse » qui copiait (Oh ! M'sieur l'Inspecteur, elle triche !) m'avaient rendue d'humeur chagrine, j'étais ÉNERVÉE ! Et quand l'inspecteur vint s'asseoir en face de nous pour parler du bout de gras, Madame X se mit à minauder d'une voix sucrée : et que ceci, et que cela, et que, de toute manière, on n'a pas le choix, que l'on ne peut pas toujours avoir le dernier mot...

   C'est là que ma patience s'effondra. Je pris ma voix la plus rauque pour dire que, dans la vie, on a toujours le choix et que, en ultime recours, si l'on veut avoir le dernier mot, il reste le suicide de provocation ! Après quoi, plus personne ne peut vous ennuyer ni vous obliger à rien. J'aurais dit n'importe quoi tant cette femme m'énervait.

   Je vis le regard ahuri de l'inspecteur, je vis ses yeux s'agrandir et un semblant de sourire trembloter à la commissure des lèvres. Il venait de comprendre qu'entre la FF et moi, l'entente n'était pas au beau fixe.

   Au moins quelqu'un aurait appris quelque chose après ces deux journées d'inepties durant lesquelles toute une équipe était venue se goberger aux frais du prince État.

   En fin stratège, il rompit la conversation, se leva et s'éloigna. Quant à Madame X, elle en eut le gosier tellement desséché qu'elle resta sans voix jusqu'à la fin de la séance.

   Rassurez-vous, elle s'en est rapidement remise et durant le repas qui suivit, elle avait recommencé à jouer des pupilles auprès de notre inspecteur bien aimé.

 

 


 

 

 

* FF = faisant fonction mais sans avoir nécessairement le brevet



 

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