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mercredi 29 septembre 2021

Mémoires d’instit - L’école des bateliers

 




Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 2.0 France (CC BY-NC-SA 2.0 FR)






Ces souvenirs datent du tout début de ma carrière.

Je devais avoir dans les 25 ou 26 ans et très peu d’intérims à mon actif, ayant d’abord donné la priorité à mes trois jeunes fils.

Donc, cette année-là, je fus sollicitée pour effectuer des remplacements dans une école pour enfants de bateliers et de forains.

De cette école, je veux parler des bâtiments, je garde un souvenir horrible. Une prison à vous glacer le sang dès que vous y étiez. A l’extérieur, d’immenses murs de briques rouges qui s’élevaient sur deux ou trois étages. Un peu du style : « Vous qui entrez ici, perdez toute espérance

D’abord, il fallait sonner pour faire venir le concierge qui vous scrutait de la tête aux pieds, non pour savoir si vous étiez un ou une terroriste (à cette époque personne n’en parlait) mais pour être certain que vous ne veniez pas pour faire évader un élève.

Ensuite, vous étiez mené(e) dans le bureau du directeur, un homme très petit, qui après de froides salutations, vous assénait la liste de toutes les interdictions que l’on devait garder en mémoire pour la bonne marche de l’établissement.

La suite était du même style : dans les couloirs, les fenêtres haut placées ne laissaient voir que le ciel ; la cour de récréation, ceinte d’immenses murs, empêchait tout contact visuel avec l’extérieur. Une seule règle avait été oubliée : durant les récrés, les élèves pouvaient courir en tous sens et non marcher au pas l’un derrière l’autre et en cercle. 

Je fus prévenue par une collègue compatissante qu’il fallait essayer d’apporter un peu d’affection à ces enfants : quelques uns entraient dans l’établissement le 1er septembre et n’en sortaient qu’au 30 juin. Certains parents   ne venaient que rarement les voir. On apprenait parfois que la péniche de l'une des familles  se trouvait à quelques kilomètres de l'école et cependant, de la famille elle-même, nul passage…

Chaque jour donc, j’apportais un paquet de biscuits ou de bonbons que je distribuais avant le quart d’heure de détente et, grâce à cela, les relations entre les élèves et moi furent correctes. J’avais vite découvert qu’à ce régime d’interdictions, de punitions et de manque de liberté, les caractères s’endurcissaient dès la première primaire et il fallait en tenir compte.


Bon, c’était comme cela. (Depuis, cette école a été fermée et ce système concentrationnaire a disparu.)

 

Et me voilà en classe. Une quatrième année. On peut croire que j’exagère mais non, la classe était, elle aussi, lugubre. Plutôt étouffante. Une trentaine d’élèves, serrés deux par deux sur nos vieux bancs en chêne, serrés eux-mêmes au maximum. Lorsque les cartables étaient accrochés, il restait juste assez de place pour laisser un corps mince se faufiler entre les rangées.



J’en reviens à mon souvenir.

 

Un après-midi, passant entre les bancs durant le travail des élèves, je constatai avec horreur que Baptiste, l’un des garçons, avait des lentes nombreuses, nombreuses, nombreuses dans les cheveux (peut-être que d’autres élèves subissaient le même sort mais, sous le choc, je n’approfondis pas la question dans l’immédiat). Je demandai donc à ce jeune d’aller à l’infirmerie pour montrer ses cheveux puis je continuai à m’occuper de la classe.



Baptiste était un garçon joyeux et dynamique et son retour en classe nous le prouva.

La porte s’ouvrit avec force et, sous une épaisse tignasse devenue blanche de poudre, une figure hilare nous apparut. Les questions fusèrent d’un bout à l’autre de la classe, chacun voulant savoir pourquoi ce changement de couleur dans la coiffure.

Excité au plus haut point par les réactions de ses camarades, Baptiste s’écria, parlant de l’infirmière, : « Elle m’a mis du DDT ! » et, afin de partager généreusement le remède, il se tapa   les cheveux avec vigueur. Le résultat fut immédiat, la poudre s’élevant en un mini nuage entoura la joyeuse personnalité du garçonnet. Il ne lui manquait plus qu’une auréole lumineuse pour le transformer en une apparition céleste ... si j'ose dire.

Le second résultat fut tout aussi rapide : la plupart des élèves feignirent l'horreur tout en pouffant et   reculèrent dans la mesure des faibles possibilités offertes par l’espace de la classe.

Voyant à quel point son entrée en scène devenait une réussite totale, Baptiste prit le trot à travers les trois rangées de bancs, secouant ses cheveux et  partageant allègrement son DDT tantôt à gauche, tantôt à droite malgré les protestations de plus en plus aiguës.

J’essayai bien de l’attraper mais, plus leste, plus rapide, il parvint à m’échapper durant plusieurs minutes jusqu’à ce que notre classe fût transformée en véritable champ de bataille. Alors, il consentit enfin à réintégrer sa place et à se calmer bien que les hoquets de ses rires nous parvinssent à intervalles réguliers.

A cette époque, je dois avouer que  je ne maîtrisais pas encore l’art d’inculquer une discipline librement consentie à une classe en pleine révolution et que cet épisode de la vie scolaire m’amusa plus qu’elle ne me scandalisa.

Mais … je me devais de rester sérieuse pour garder un rien de crédibilité et mes propres hoquets de rire furent bien réprimés.

 

 De ce Baptiste, je garde le souvenir de son corps dodu, de son visage rond surmonté de cheveux en bataille, de ses yeux rieurs, de son désire d'amuser l'entourage par ses blagues et de cette immense envie de vivre acquise grâce au dépassement d'une vie trop austère. 

 

 

 



 

 

👿  https://www.futura-sciences.com/sciences/definitions/chimie-ddt-391/?fbclid=IwAR1k2g1_aVkrw2y360Ne81S48aaa74A84N-rFbFiiOGRRf4ZZUcm6eOGf84

 

 

   

 

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