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mercredi 26 juin 2013

Souvenirs d'enfance (10) cours de latin (3ème partie)

Cours de latin   (3ème partie)

En cinquième latine, nous eûmes un nouveau professeur de latin : Mademoiselle Mz ....
Cette demoiselle au visage ingrat, à la voix de stentor, à la poitrine "panzer" avait bien plus de qualités que son physique ne le laissait présager : un grand amour de l'adolescence, un désir profond de relever le niveau des classes, la certitude que l'enseignement du latin pouvait sauver le monde. En somme, un coeur "gros comme ça", prêt à s'offrir à tout un chacun qui lui rendrait ses sourires.
Lorsqu'elle eut fait notre connaissance, elle dut vite se rendre compte que, dans cette classe, il y aurait bien plus de travail que prévu. Ce ne serait pas le parachèvement du bâtiment-connaissances qui l'attendait mais bien la stabilisation de fondations branlantes laissées en friche par son prédécesseur.
Qu'à cela ne tienne, elle retroussa les manches sur des biscoteaux de fort des halles et entreprit notre sauvetage à grands renforts de coups de gueule musclés, de tendresse débordante et de leçons nettement mieux expliquées que celles de l'année précédente. Nous l'aimâmes même si la tricherie avait été expulsée de nos comportements au Kärcher et si les leçons non étudiées étaient sévèrement réprimées par des contrôles imprévus.
Après quelques semaines de vie commune, un seul point noir vint perturber notre bonne entente : notre directrice, confrontée à la difficulté des horaires à établir, ne trouva pas d'autre solution que de placer l'une de nos heures de latin après quatre heures. Ainsi, alors que le grand corps scolaire allait se vider de ses entrailles humaines dans les cris et les rires, la cinquième latine devrait rester en classe pour scander, traduire ou décliner. Le coup fut rude mais il fallut l'accepter, aucune réclamation n'ayant été perçue par des oreilles directoriales particulièrement sourdes à nos appels.
Il faut savoir que notre école moyenne, située le long du canal Mons-Condé et adossée à d'anciens terrils reboisés, était formée de baraquements d'après-guerre. Restaurés pour servir d'école à toute une jeunesse peu concernée par l'aspect esthétique du site, leurs classes étaient trop chaudes en été, trop froides en hiver; elles possédaient cependant une caractéristique intéressante : deux portes intérieures à chacune de leurs extrémités. On pouvait donc y entrer soit par la gauche, soit par la droite. Entre elles, de petits couloirs le long desquels couraient les porte-manteaux. Ainsi, quatre classes se suivaient sans discontinuer et l'on pouvait, en toute facilité, aller d'un lieu au suivant sans être obligé de repasser par l'extérieur.
Cette disposition particulière nous permit de concocter une petite vengeance amusante dirigée contre notre horaire peu agréable. Nous décidâmes de nous volatiliser. Toute une classe qui disparaît, cela n'est pas courant. Mademoiselle Mz...  allait être bien étonnée lors de son cours de fin d'après-midi.
A la vue de tous, pour rejoindre notre classe, elle devait traverser  la grande cour de récréation en diagonale. Il nous était donc impossible de rater son passage. Elle aussi, dans un premier temps, devait nous voir; c'est pourquoi, lors de son arrivée, une vingtaine de têtes s'agitèrent près des fenêtres donnant sur la cour.
Lorsque notre professeur fut à mi-chemin, comme un seul homme, nous nous abaissâmes toutes; un grand silence s'établit et nous partîmes à quatre pattes rejoindre le couloir intermédiaire pour nous faufiler dans la classe suivante. Nous entendîmes alors l'entrée fracassante de Mademoiselle Mz... et ses questions tonitruantes qui firent vibrer les murs de notre classe vide : "Où êtes-vous, mais où êtes-vous donc ?" Toujours courbées mais plus rapidement encore, nous atteignîmes la troisième puis la quatrième classe. Les portes que nous refermions avec délicatesse étaient rouvertes avec fracas par notre poursuivante qui perdait un temps précieux à vérifier, à chaque traversée de couloir, si nous n'étions pas parties sur la cour.
La quatrième classe arrêta notre progression. Plus moyen d'avancer. Comment réagir pour ne pas nous faire reprendre? L'une d'entre nous eut une idée de génie : passer du côté des terrils en escaladant les fenêtre extérieures. Sitôt trouvée, l'idée fut appliquée. Les fenêtres franchies, les vingt transfuges, suivant le chemin inverse, rejoignirent leur classe, courbées  parmi les mauvaises herbes, les orties et les chardons. La manoeuvre réussit à merveille. Hop, nouveau passage par les fenêtres . Chacune à sa place, le regard placide malgré le souffle court, nous attendîmes le retour de notre poursuivante qui n'allait peut-être pas apprécier notre exploit à sa juste valeur. A son approche, malgré les portes qui claquaient de nouveau, nous ajustâmes nos plus tendres sourires. Et ce qui devait arriver arriva. Face à notre air innocent, elle craqua et se mit à rire dans un barrissement décoiffant. Elle avait apprécié la blague mais, point trop n'en fallait, nous ne devions plus recommencer. La menace, à peine voilée d'une grande gentillesse, fut entendue et les leçons suivantes nous virent toujours à notre place, prêtes, une fois par semaine, à sacrifier notre fin d'après-midi dans les bras de la langue latine.
                                                                                                              à suivre

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