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samedi 5 avril 2014

Souvenirs d'enfance (23) La tranche de gouda



La tranche de gouda

Une tranche de gouda fut cause de l'une des grandes colères de mon père à mon égard.

     Au petit-déjeuner, lorsque ma mère avait terminé d'enlever la fine croûte orangée du fromage, elle déposait la tranche dans mon assiette et, sachant que j'allais jouer un peu avant de manger, vaquait à une autre occupation.
   Mon grand plaisir   consistait à couper le fromage en deux parties que je superposais, ensuite je découpais des quarts puis des huitièmes puis... et ainsi de suite. A chaque découpe j'empilais mes fractions de fromage jusqu'au moment où l'équilibre devenait trop instable. Je commençais alors à manger chaque petite parcelle jaune l'une après l'autre, les attrapant avec la pointe de mon couteau tout en surveillant l'équilibre de la tour fromagère.
   Un jour mon père entra dans la cuisine lors de l'élaboration de cette tour. Il fronça les sourcils et me demanda pourquoi j'agissais ainsi. Je n'eus le temps de rien expliquer. Il ne vit qu'une chose : un gaspillage évident de nourriture. Sa colère éclata. Il me pria d'arrêter immédiatement ma construction et d'apprendre à manger correctement. On n'avait pas idée de se moquer ainsi de la nourriture. Et... « est-ce que j'avais pensé à tous ceux qui n'avaient pas la chance d'avoir une tranche de fromage au petit-déjeuner ? » Bien sûr que non. Et... « avais-je pensé au prix de ce fromage ? » Encore moins, je ne m'étais jamais sentie concernée par le prix de la nourriture. Pensez donc, à six ans ! Comme si on pensait à la valeur de ce que l'on mange ! Mon père raisonnait en adulte, moi je l'écoutais en enfant gâtée et peu habituée à être grondée.
      L'incompréhension entre nous fut totale. 
     Je retins une seule chose : le gouda devait être mangé en tranches plates et en aucune manière sous forme de tour. Ce jeu qui me donnait de l'appétit fut interdit, balayé par la brusque saute d'humeur de mon père.





      Le communisme (qui, à cette époque, avait phagocyté les âmes de mon père et de nombre de ses amis), respectueux de la production laitière et de sa valeur, venait de faire deux nouvelles victimes : la cadette de la famille Moreau et le gouda que je ne voulus plus manger durant plusieurs jours.


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