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dimanche 25 mai 2014

Souvenirs d'enfance (27) - Ma mère

Bredene - Mer du Nord
Milieu des années 50
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   Dès le lever du jour, ma mère était debout. Dans la cuisine, le café passait, l'eau bouillait pour la toilette, la table était dressée pour le déjeuner et l'instant des touches finales arrivait.
   Dans le hall d'entrée toujours un peu sombre, près de l'arcade garnie de lourdes tentures en velours d'un kaki fatigué, une commode à deux tiroirs occupait un pan de mur. Entre la porte de la cuisine et la porte d'une lingerie anarchique, le meuble trônait. Surmonté d'un grand miroir dont le tain, disparu par endroits, s'était étoilé de petites fleurs grises ou rouille, il était le réceptacle ventru de trésors multiples.
   Ma mère se campait fièrement devant le miroir, ouvrait le tiroir supérieur de la commode et en sortait brosse, peigne, poudre de riz et rouge à lèvres. Commençait alors l'alchimie des transformations de la coiffure et du visage. Ses cheveux châtain foncé brossés, relevés, tordus en un chignon serré se trouvaient emprisonnés, à grand renfort d'épingles neige. Un dernier regard pour s'assurer qu'aucune mèche rétive ne dépassait et, satisfaite, ma mère passait à l'étape suivante : le maquillage.
   Elle ouvrait son poudrier, délicate petite boîte dorée ornée de fleurs et d'arabesques gravées , en sortait la houppette en fin duvet et, avec délicatesse, tamponnait chaque partie du visage. Le front, les joues, le nez, les ailes du nez, le menton, tout y passait, rien ne devait rester brillant. La matité de la peau semblait, à cette époque, être l'expression suprême du bon goût.  
   Venait ensuite la pose du rouge à lèvres. Penchée en avant, ma mère entrouvrait la bouche, glissait avec soin le bâton de fard sur la lèvre supérieure. Un trait à droite, un trait à gauche, un petit ajustement sur l'ourlet pour mieux le souligner. La pose correcte des traits rouges confirmée, elle passait à la partie inférieure. Là, c'était un seul trait qui partait de la gauche vers la droite. Dans le miroir, ses yeux si clairs observaient alors la bouche. Elle serrait les lèvres, les ramenant vers l'intérieur pour mieux égaliser le rouge sur les pourtours, relâchait les muscles, vérifiait si les commissures ne «coulaient» pas et, satisfaite, tendait enfin la main vers un petit flacon de parfum resté dans le tiroir, bien à l'abri d'un mouvement malencontreux. Le bouchon en verre était tourné puis soulevé avec mille précautions et c'était lui qui déposait la fragrance subtile derrière chaque oreille, dans le petit triangle concave du cou et sur les veines fragiles du poignet.
Crédit photo : Marcel Lefrancq
www://lefrancq.be

   Le choix d'un bijou suivait. J'adorais cet instant. Tamara soulevait le couvercle d' une longue boîte tapissée d'un tissu rose thé et dont le couvercle était décoré de passementeries d'un délicat gris argenté. La main fouillait, tirait un collier de perles nacrées, le déposait, choisissait un pendentif russe en argent niellé, hésitait entre des boucles d'oreilles finement perlées ou des cabochons trop massifs à mon goût. Les bagues n'offraient pas un large choix. En dehors de son alliance et d'une bague de fiançailles garnie d'un minuscule diamant , ma mère ne possédait que des anneaux de peu de valeur. Pour l'enfant que j'étais, ce coffret à bijoux dans lequel reposaient encore deux ou trois épingles à chapeau, quelques médaillons de la Maîtrise de Nimy et les multiples perles d'un collier cassé possédait plus de valeur que la boutique Cartier Place Vendôme. Avantage appréciable : pour briller il suffisait, sans longs déplacements, de faire son choix dans un coffret sis 207, Rue Grande à Maisières.
   La touche finale arrivait. Ma mère ouvrait le second tiroir dans lequel elle rangeait ses foulards et ses «bibis» comme elle appelait les chapeaux. Tout en chantonnant «C'est toi ma p'tit' folie... », elle prenait son temps, hésitait, sortait différents turbans tenus par un gros nœud central, cherchait le meilleur assortiment entre foulard et turban du jour. Ce dernier, souvent en jersey, pouvait être crème, mauve, rose ou bleu pâle . Les modèles variaient peu car, une fois pour toute, Tamara avait décidé que les «bibis» qui lui seyaient le mieux devaient être étroits et même collants. En fait, débordant de couvre-chefs, le tiroir de la commode, ne contenait que des clones.
   L'ajustement de la coiffure terminé, ma mère se tournait alors vers moi, posait une main sur la hanche, relevait la seconde main entr'ouverte à hauteur de l'épaule et pirouettait pour mieux me laisser l'admirer. En été, une jupe large s'épanouissait en corolle autour des jambes. En hiver, la jupe droite d'un tailleur gardait sa rigidité et, seul, le mouvement des pieds attirait le regard vers les moirures des bas nylon et les fines lignes plus foncées des coutures bien tendues.            
   Perdue dans la campagne hennuyère, Tamara se voulait l'égale de ces mannequins au charme suranné qui encombraient les pages des journaux de mode. Son sourire apprêté en disait long sur l'idée qu'elle se faisait de la femme d'après-guerre. Pour moi, dans la lumière du petit matin, elle était splendide, elle sentait bon et son «chic» me paraissait le meilleur.

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Crédit photo : Franz Moreau
Le Mollard - Albiez Le Vieux (1946-47-48 ?)
Vallée de la Maurienne

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