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vendredi 7 août 2020

Bolchoï ou, mieux encore, Большой театр




photo du théâtre Bolchoï :


Ce matin, en cherchant un poème d'Anna  Akhmatova sur internet, je tombe sur le mot "bolchoï".
Ah ! "bolchoï" quel beau mot . Il emplit la bouche quand vous le prononcez, comme une  vague ferme qui viendrait heurter les dents avant de franchir leur barrière. Et s'il est prononcé d'une voix grave, basse, comme seuls les hommes russes peuvent la faire entendre, alors c'est un vrai bonheur auditif.
Et quel souvenir il fait   galoper dans mon esprit  !


Cela se passa un soir de novembre 198.... 
  
Par un heureux hasard , je me trouvais invitée à Moscou. Un  retour de quelques jours aux racines familiales.
Il y a tant de merveilles à voir à Moscou ! Mais l'un de mes grands désirs était d'aller assister à un spectacle du Théâtre Bolchoï. 
Or une telle soirée n'était pas programmée. Nous allions avoir droit à la visite du Kremlin, à une soirée au célèbre cirque de Moscou, à la visite d'un horrible élevage de visons, à un passage par le couvent  Novodevichy, à un arrêt au mausolée de Lénine ... mais... pas de Bolchoï ! 
Après quelques transactions suppliantes auprès de notre guide, celle-ci réussit à m'obtenir une place pour une soirée dans ce théâtre.
J'étais au septième ciel. 
Un point noir cependant : bien que ne connaissant pas la langue de Tolstoï, ce soir-là, je serais seule à me débrouiller pour atteindre le plus beau théâtre de la capitale russe.
Bien ancrée dans la certitude que tous les habitants de Moscou connaissaient l'emplacement de ce théâtre, je me fis fort  de prononcer correctement le mot "Bolchoï" pour pouvoir y arriver.
  
La nuit tombée, je quittai donc l'hôtel, errai quelques minutes dans les rues environnantes pour trouver une station de taxis  et, l'ayant trouvée, me mis dans la file.
Mon tour arriva, je montai, m'installai à l'arrière et, sans "bonsoir" ni "pouvez-vous..." je dis : "Bolchoï" avec une grande conviction.
Pas de réaction. Le chauffeur regardait devant lui sans bouger. Je réitérai ma demande : "Bolchoï !" Toujours aucune réaction. Bon, mon accent tonique était-il mal placé ? "BOLCHOÏ" redis-je une troisième fois.
Je vis alors l'homme se tourner vers moi et me fusiller du regard. Ce qu'il me dit, je ne le compris pas, bien entendu, mais le ton fut tel qu'il était impossible de douter : il était en colère. 
Comme je restais sans bouger, plutôt pétrifiée, de la main, il me fit signe de sortir de son taxi. Geste de rejet universel qui ne demandait aucune parole : bras tendu et la main balançant du bas vers le haut et, ici, vers l'extérieur.  
Le gabarit de ce taximan (un vrai costaud russe) me fit ouvrir la portière et rejoindre le trottoir sans demander mon reste et sous les regards étonnés des clients suivants. 

Sans savoir s'il fallait me diriger vers l'est, l'ouest, le nord ou le sud, hésitant dans des rues mal éclairées, j'abandonnai le rêve d'une soirée somptueuse, regagnai l'hôtel et finis par aller me coucher.
Au matin, lorsqu'elle me vit, la guide se dirigea vers moi sans hésitation.
-- Alors, vous avez aimé cette soirée   ?
-- Je n'ai pas pu y aller...
Son visage se décomposa sous l'effet de la colère.
-- Vous n'y êtes pas allée ? Mais savez-vous que les Russes attendent des semaines pour obtenir une place ! Que jamais personne ne fait faux bond pour un spectacle dans ce théâtre ! La place que je vous avais obtenue, c'est une autre personne qui en a été privée ! Pourquoi n'êtes-vous pas allée ? 
Je lui expliquai  ce qui s'était passé dans le taxi et que je ne comprenais toujours pas.
Durant quelques secondes, elle me regarda ahurie bien que toujours en colère  puis m'expliqua :
-- Mais "bolchoï" veut dire "grand" . Vous auriez dû dire "Théâtre Bolchoï" pour vous faire comprendre ! 
Si toutefois elle avait eu quelque estime pour les occidentaux, je venais d'en dégringoler bien bas et n'allais jamais y remonter pour d'autres raisons.

Quant au taximan, à l'heure actuelle je me pose encore la question : comment a-t-il pu interpréter le mot que je n'arrêtais pas de prononcer, accent tonique ou pas... 
"Grand !" "Grand !" "GRAND !" oui, mais grand quoi ?

Ah ! bien avant mon départ, ma  grand-mère chérie m'avait   appris à lire l'alphabet cyrillique, ce qui me fut d'une grande aide dans les stations de métro. 
En ce qui concerne la langue, en quelques semaines, les lacunes auraient été impossibles à combler ! J'étais donc partie en pays inconnu sans le sésame qui aurait pu m'ouvrir les portes du Большой театр
 






 




 

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