Deux commissionnaires peu sérieuses.
Non loin de chez mes parents, Cyril, dans son estaminet, accueillait et abreuvait les crosseurs* du dimanche.
Il était aussi fournisseur de lait, de beurre et d'œufs auprès des habitants proches grâce à une petite laiterie située sur le côté gauche de sa maison.
Vers quatre heures, dès le retour d'école de ma sœur, nous étions envoyées chez Cyril soit avec le panier à œufs en fin grillage soit avec le pot à lait soit les mains vides s'il s'agissait du beurre. Ma préférence allait à l'achat du beurre. Son transport était d'une telle facilité !
Pour sa part, ma sœur était devenue experte dans le transport des œufs et elle m'initia très tôt au jeu qui en résultait. Lorsque la femme de Cyril avait soigneusement placés les œufs dans notre panier en métal tressé, ma sœur saisissait la poignée, la serrait avec soin et nous nous mettions en route sur l'étroit chemin de terre qui nous ramenait à la maison.
S'étant alors assurée que plus personne ne nous voyait, Danielle s'arrêtait et m'intimait l'ordre de bien la regarder. Alors, tenant le panier à œufs à bout de bras, elle entamait une série de moulinets qui plaquaient les œufs aux parois du panier par une force centrifuge qui m'était inconnue.
J'étais béate d'admiration et n'étais pas loin de placer mon aînée aux côtés des meilleurs prestidigitateurs du siècle.
Après son exploit, elle me tendait le panier : «A ton tour ! » Je prenais le panier d'une main nettement moins ferme et la grande roue des circonvolutions parfaites se transformait en petite roue d'une catastrophe annoncée. Les œufs s'entrechoquaient et il arriva plus d'une fois que l'un d'entre eux, exaspéré par un traitement aussi inique, s'échappât par l'ouverture supérieure du panier. Dans ce cas, nous regardions avec angoisse les taches jaunes et gluantes qui étaient venues émailler le chemin du retour et, sans plus nous amuser, nous rentrions à la maison, espérant que notre mère ne compterait pas ses œufs.
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