Beaucoup de pigeons en ce moment à Vaison La population devrait se méfier si elle ne veut pas jouer dans le nouveau film de Kitch Hock : "Les oiseaux, le retour". |
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mardi 29 janvier 2013
Vaison pigeonne en hiver
lundi 28 janvier 2013
Sensation Arthur Rimbaud
Pour ceux qui en ont la possibilité, il faut entendre ce poème de Rimbaud chanté par Jacques Douai
Une interprétation merveilleuse
Réf. : www.deezer.com/artist/57513
ou héritage - Récital n° 3 et 4 BAM (1956 - 1957)
A lire pour mieux connaître l'homme :
Jacques Douai Troubadour militant poètes et chansons (sur google)
dimanche 27 janvier 2013
Chats d'une vie
samedi 26 janvier 2013
Souvenirs d'enfance (4) Braconnage
Braconnage
A
la fin de la guerre et même après le conflit, il n'était pas bon
être chat ou rat quand le manque de viande se faisait sentir dans
les familles. Toute cuisse un peu musclée était bonne à prendre
et à grignoter. Les os étaient sucés et léchés jusqu'à ce
qu'il n'y reste plus le moindre petit lambeau, le moindre petit
filament de chair. Les tickets de rationnement étaient insuffisants
et cette insuffisance avait placé l'imagination au pouvoir. Les
chats étaient cuits en gibelotte et les rats amélioraient
l'ordinaire des bouillons
Dans
notre famille, on manqua aussi de nourriture mais ce fut peut-être
moins dramatique que chez d'autres. La solidarité familiale joua
entre mes parents et mes grands-parents et quand ma grand-mère avait
vent d'un arrivage de pommes de terre dans les Flandres, elle
n'hésitait pas à traverser la moitié de la Belgique pour que ses
petites-filles en profitent.
Ma
mère, de son côté, ne ménagea jamais ses mollets et pédala tant
qu'elle put dans les campagnes environnantes, trouvant ici du lait,
là du beurre ou des œufs. Après d'âpres transactions financières
dans lesquelles elle perdait toujours quelques plumes, elle ramenait
ses trésors à la maison, essoufflée mais heureuse. Il arrivait
parfois que le bonheur fût de courte durée et la découverte d'un
morceau de chou blanc au centre de la motte de beurre effaçait les
sourires confiants. A l'utilisation, le lait présentait un aspect
trop fluide et son goût était fade. Il avait été «coupé».
La grimace du désenchantement remplaçait la joie. C'était la fin
de la guerre ou l'après-guerre et certains continuaient à «faire
leur beurre» tandis que d'autres n'arrêtaient pas de se faire
plumer.
Ces
fraudes, ces petits apports étaient minimes mais suffisants pour
survivre. D'espoirs en découragements, les adultes, faute de repas
gargantuesques, avaient grignoté le temps et avaient enfin vu
l'horizon s'éclaircir.
Un
jour pourtant, un doute horrible plana sur la famille.
A
l'époque, je marchais à peine et comme tout enfant qui découvre le
monde, soit à quatre pattes, soit m'accrochant au pied des meubles
comme un petit vampire, j'explorais mon environnement. C'est ainsi
que cet après-midi-là, j'atteignis le bac à charbon.
Fidèle
compagnon de la grosse cuisinière à cinq portes, pièce maîtresse
de la cuisine de mes grands-parents, ce bac n'avait pas été refermé
et, à mes yeux éblouis, apparurent les morceaux de charbon
concassé. Brillants, tentants en diable, les petits diamants noirs
m'attendaient. J'avançai la main, pris l'une des gaillettes* et, ni
une ni deux, hop! dans la bouche.
Impossible
à croquer, cette gaillette fut sucée avec application. En
apparence, le goût ne me répugna pas. Je la suçotai, la retournai
de la langue, la fis passer de gauche à droite et, ce faisant,
provoquai un afflux important de salive. Le liquide poisseux et noir
me barbouilla les contours de la bouche, s'étendit sur les joues
grâce aux mains déjà très noires elles-mêmes avant de s'étaler
sur mon bavoir et mes petits vêtements en lainage pastel.
Quand
ma mère me découvrit, ce fut un bébé-charbonnier qu'elle trouva.
La gaillette, bien coincée dans la joue gauche, me déformait le
visage. La bave noire continuait à couler. Mes yeux clairs,
encore plus clairs dans le visage noir, l'observaient avec attention.
A cette vue elle faillit avoir une attaque nerveuse.
Il
fallut bien qu'elle reconnût sa fille dans ce monstre rampant qui
avançait maintenant vers elle. Elle m'empoigna, m'assit sur la
table puis, d'un index expert, s'acharna à extraire de ma bouche ce
qu'elle découvrit être du charbon.
Ses
cris avaient ameuté toute la maison. Atterrés, mes grands-parents
ne purent que constater les dégâts vestimentaires, horrifié, mon
père pensa aux dégâts digestifs. Malgré la guerre, personne
n'avait jamais mangé du charbon dans cette famille. Aucun des
observateurs ne sut que conjecturer des conséquences à venir. De
toute urgence, il fut décidé de faire appel au médecin et dans
l'attente de sa venue, les adultes furent sur des charbons ardents.
Quand
le médecin arriva et que lui fut expliqué le «drame» provoqué
par la petite, cela le fit bien rire.
-
Elle manque tout simplement de sels minéraux, cette petite, et c'est
dans le charbon qu'elle les cherche, dit-il à mes parents effondrés.
Ne vous tracassez pas, ce n'est pas plus grave que si elle avait
mangé des pastilles de charbon digestives. Laissez-la faire!
La
laisser faire? Certainement pas! On aimait bien le vieux médecin
de famille mais l'amitié avait ses limites. Le soulagement fut
malgré tout général sauf pour mon père qui se sentit coupable
d'avoir mal nourri sa famille. Mais que faire? De l'argent, il y en
avait un peu mais il ne servait à rien si les provisions manquaient
dans les magasins et si certains fermiers pratiquaient un marché si
noir qu'il prenait les quémandeurs à la gorge. Il se tracassa
beaucoup mais, dans un premier temps, ne trouva pas de solution
adaptée.
Sur
ces entrefaites, nous quittâmes la maison de mes grands-parents à
Quaregnon et nous partîmes vivre à Maisières où mes parents
avaient trouvé une location intéressante entre des bois et une
plaine couverte de genêts.
Le
temps passa, le manque de viande persista.
Je
ne sais qui, à cette époque, de Louis Waëme ou de Louis Van de
Spiegele, parla à mon père des possibilités d'apports
supplémentaires de viande grâce au braconnage! Peu importe. L'un
d'eux en parla.
S'il
y avait bien un défaut que mon père n'avait pas c'était celui de
malhonnêteté et le désir de tuer ne l'effleurait jamais. Dans un
premier temps la proposition de l'un des Louis fut rejetée avec
fermeté. Mais...
La
mauvaise graine avait été semée et, soigneusement arrosée par ma
mère qui n'avait pas les mêmes scrupules que son époux, elle finit
par germer et par se développer.
Très
bien! Il n'était pas impossible d'envisager de temps à autre la
mort d'un lapin. Il y en avait tant dans les bois voisins! Mais,
placer un collet, cela demandait une certaine technique que mon père
ne possédait pas. De plus, se faire surprendre par le garde
forestier était un danger qu'il fallait éviter à tout prix.
Qu'allait-on penser de Monsieur Moreau s'il était surpris en délit
de braconnage?
Les
deux problèmes furent rapidement résolus.
Louis
l'instigateur passa plusieurs soirées à expliquer comment fabriquer
un collet, où le placer, quel fil choisir, à quel moment de la
journée relever ces méchants pièges etc...etc...
En
ce qui concernait une mauvaise rencontre dans les bois, mon père
trouva la parade la plus efficace. D'habitude, il arpentait les
sous-bois et la clairière voisine en ayant toujours en main un livre
de poésie. Le contact avec la nature, le calme des bois, les chants
d'oiseaux procuraient une autre dimension aux poèmes analysés.
Parfois, le chemin du garde croisait le sien et les contacts étaient
amicaux. Qui aurait alors soupçonné de braconnage ce brave
enseignant plongé dans ses études poétiques? A partir de ces
conclusions, mon père partit dans les bois tenant son livre d'une
main, l'autre main, tenant le collet, enfouie dans la poche de son
veston.
La
réussite ne fut pas au rendez-vous. On ne transforme pas aussi
facilement un poète en tueur de lapins. Plus malins que mon père,
les rongeurs, jamais, ne passèrent leur petite tête et leurs
longues oreilles dans les nœuds coulants. Ils devaient bien
rigoler, tapis à l'entrée de leurs terriers, quand ils voyaient
arriver le professeur avec ses pièges inoffensifs.
Celui
qui ne rigola pas, ce fut le garde forestier qui, habitué à
surveiller son domaine au mètre carré près, eut vite fait de
trouver les collets mal placés. Un jour, rencontrant mon père lors
d'une de ses promenades, il l'accompagna le long du sentier et
entretint la conversation plus que d'habitude. Il fut question de
l'état des arbres, de la flore rare qui poussait ici et là, du
gibier qui serait chassé en automne et, le sujet étant abordé, il
ajouta sans avoir l'air d'y toucher : «Je ne sais pas quel est
l'imbécile qui place des collets en ce moment, mais avec aussi peu
de technique, jamais il n'attrapera rien. Par contre, si moi je
l'attrape, il s'en souviendra... ».
A
partir de ce jour, plus jamais mon père n'alla placer de pièges et
ses promenades redevinrent purement studieuses et honnêtes.
Malgré
le léger manque de viande qui perdura, malgré l'effort qu'il avait
fourni pour se faire à l'idée de devenir tueur de lapins, mon père
resta intransigeant sur un point : quand notre voisin, Charles à
Sabots, proposa à ma mère quelques-uns des petits oiseaux qu'il
tuait de temps à autre pour son profit personnel, Franz refusa avec
colère, révulsé par l'idée de la mise à mort de ces petits êtres
ailés. La fréquentation de Charles à Sabots fut vivement
déconseillée à ma mère. Sa proposition l'avait transformé en
persona non grata malgré qu'il se soit justifié : «Pour que la
petite ait de la viande».
Les
lapins, oui, les oiseaux, non!
Toujours
aussi peu scrupuleuse, ma mère, dans l'intérêt de sa cadette,
accepta les oiseaux en cachette. Profitant des absences de mon père,
retenu à Mons pour ses cours, elle me les cuisinait avec une petite
échalote et un soupçon de serpolet. Je garde le souvenir de
minuscules cuisses très tendres mais... oui, vraiment minuscules.
Les gaillettes avaient plus de consistance et duraient plus
longtemps.
* les gaillettes : petits morceaux de charbon
vendredi 25 janvier 2013
mardi 22 janvier 2013
lundi 21 janvier 2013
dimanche 20 janvier 2013
jeudi 17 janvier 2013
mardi 15 janvier 2013
souvenirs d'enfance (3) Le catéchisme
Le
catéchisme.
Dès
mes premières participations à la vie scolaire, l'enseignement
faillit me faire mal tourner.
Mes
parents m'avaient inscrite à l'école communale de Maisières et mon père avait indiqué que je ne suivrais pas le cours de
religion. A l'époque, aucun dogme religieux n'avait sa grande
entrée dans notre famille.
Mon
père, sûr de son bon droit et du respect qui serait accordé à sa
demande, se désintéressa rapidement du problème.
Ma
mère, indifférente à tout ce qui ne concernait pas la santé et la
bonne nourriture à fournir à sa petite tribu, ne creusa pas non
plus pour savoir ce qu'il adviendrait de moi tous les jours de huit
heures trente à neuf heures.
Durant
cette demi-heure, chaque matinée de la semaine, un cours de
catéchisme était donné dans toutes les classes. La religion,
habituellement enseignée par nos institutrices, était parfois
supervisée par une grande ombre noire accueillie avec beaucoup de
déférence par les deux dames. Le berger venait inspecter ses
ouailles et vérifier si le chemin de la rédemption restait bien
dégagé. Deux pierres rugueuses gâchaient l'harmonie de cette voie
mais elles étaient si petites...
En
ce qui me concernait, Madame Emma et Madame Delbart eurent donc à
trouver une solution qui permettrait à l'ensemble de la petite
classe l'apprentissage du catéchisme tout en soustrayant à cet
endoctrinement la seule élève athée du groupe. (Ma sœur, élève
de la grande classe, aurait dû être la seconde incroyante de
l'école. Cependant, après mûres réflexions enfantines, elle
avait choisi la voie de la confession sans en parler
à la maison. C'est ainsi que, à la veille des communions, l'église
jouxtant notre école la vit entrer, se signer et s'agenouiller
parmi ses camarades de classe, dans l'attente de la dénonciation
salvatrice de ses mini péchés.)
Les
heures de religion se situant en début de matinée dans les deux
classes, il était impossible de me faire voyager d'une classe à
l'autre durant ce cours.
Madame
Emma, mon institutrice, eut l'idée qui lui sembla la plus
appropriée : chaque matin, je devrais aller m'asseoir
au dernier banc de la classe; de là, les oreilles
fermées à toute information religieuse, je ne pourrais rien
entendre ni comprendre des mystères de la Sainte Famille et des
avatars de leur Grandiose Rejeton. La demi-heure écoulée, agneau
noir s'il en fut, je pourrais regagner ma place habituelle au milieu
du troupeau de mes compagnes fidèles.
Imaginez
une enfant de sept ans à laquelle on intime l'ordre de ne pas
écouter et surtout de ne pas entendre ce qui se dit près d'elle
pendant une demi-heure, vous comprendrez la suite de l'histoire.
Les
tresses plaquées derrière les oreilles, les lobes frémissant
d'attention soutenue, mes capacités auditives exacerbées, j'étais
tout ouïe durant trente minutes. Il n'y avait que mes mains que je
n'osais utiliser pour agrandir mes pavillons roses.
Premières
leçons d'hypocrisie obligent, mes yeux ne pouvaient suivre les
paroles sur les lèvres de l'enseignante. Je faisais donc
semblant de lire un livre de contes ou de revoir un exercice dans mon
cahier de brouillon. Pauvres yeux, obligés de rester inactifs pour
donner un maximum de chance à leurs commères les oreilles.
De
toute ma vie, ce furent sans doute les uniques leçons que j'écoutai
avec une telle intensité et, oserais-je dire, avec une telle
ferveur.
Pour
mon malheur, je ne pouvais poser aucune question quant au
surnaturel qui enveloppait très souvent les saints récits ce qui
était un handicap grave. A sept ans, on peut tout écouter, on ne
peut pas tout comprendre.
Quand
j'y pense, quelle gabegie de la mémoire que celle qui survola mes
premières années d'études ! Car, en ce qui concerne les tables de multiplication, il
me fallut plus de douze ans pour arriver à les mémoriser! Dieu ne
fut jamais avec moi dans l'apprentissage des mathématiques. Par
contre, pour le catéchisme...
Ah!
ce catéchisme. Il y avait bien des éléments que je comprenais et
mémorisais parfaitement. A la question : «Où est Dieu ?»,
j'aurais pu m'introduire dans le chœur de mes compagnes et réciter
avec elles et d'une même voix : «Dieu est au ciel, sur la terre et
en tous lieux». A force d'entendre chaque matin les mêmes
questions et les mêmes réponses, je les avais retenues à la
perfection.
Ce
genre d'énoncés ne me perturbait pas. Père Noël, le 24 décembre
au soir, n'était-il pas, lui aussi, au ciel, sur la terre et en tous
lieux? C'était incontestable, à chacune de ses fêtes, les cadeaux
arrivaient sous le sapin. Bon! Tant qu'à croire, je croyais en
tout, l'aporie n'était pas mon fait.
La
question : «Qu'est-ce que Dieu ?» m' allait bien aussi et,
mentalement, je répondais : «Dieu est un esprit infiniment parfait,
créateur du ciel et de la terre». Oui, il avait fallu que
quelqu'un le crée ce ciel si beau, nuageux, bleu, limpide ou
menaçant. L'immensité de l'univers ne faisait pas encore partie de
mes connaissances. Mon univers personnel avait ses limites peintes
en bleu et cette terre sur laquelle je marchais n'était pas venue
toute seule se mettre sous mes pieds. Pour moi, il n'y avait pas
d'incohérences dans le cours de catéchisme que je devais faire
semblant d'ignorer. Matinée après matinée, mi-mécréante,
mi-crédule, je devenais une bizarre petite cagote.
Vint
alors le jour où j'entendis que Joseph n'était QUE le père
nourricier de Jésus et ce QUE ébranla mes croyances. Que l'on
nourrisse un enfant tombait sous le sens. Mes parents le faisaient tous les jours et sans problème. Mais comment
pouvait-on être père et n'être QUE nourricier ?
A
l'époque, j'avais déjà ma petite idée quant à la façon de faire
un enfant. Comme toutes mes amies du même âge, nous avions dépassé
la théorie du chou et de la rose et avions enfin compris que le père mettait une graine dans le nombril de la mère et, hop! le tour
était joué. Simple et rapide. La conception était infiniment plus
pratique que maintenant. Mais n'être que nourricier, là, quelque
chose commençait à m'échapper. J'en restai très perplexe. Impossible
d'obtenir le renseignement en classe, toute question aurait dénoncé
mon hypocrisie. Auprès de mes parents, à mon avis, la question aurait provoqué
un résultat catastrophique. Dans mon désir d'exégèse, je
décidai donc de voler un catéchisme, de le rapporter à la maison
et de mieux étudier la question dans le silence et le recueillement
nécessaires à cette tâche. Sûre que la
possession du livret et une lecture approfondie de ses textes me
dévoileraient certains secrets et m'apporterait les réponses que je cherchais, je
pris donc mon courage à deux mains et, la troisième main
invisible, je la glissai dans un pupitre proche, en retirai le livret
jaune beurre que j'introduisis dans mon cartable. A la seconde même,
celui-ci devint lourd du péché de vol.
Personne
n'ayant rien soupçonné, le déroulement de la journée scolaire et
le retour à la maison se firent sans autre incident.
En
famille, j'étais en sécurité, personne ne vérifiait jamais ce
qu'il pouvait y avoir dans mon cartable. J'étais seule maîtresse
de celui-ci et les rares fois où je l'ouvrais étaient lorsque je
cherchais mes crayons de couleur ou du papier de dessin. La notion
de «devoirs à
faire à la maison» ne
m'avait pas encore contaminée et effleurait rarement l'esprit de mes
parents. Mon cartable, donc, était plus sécurisé que la Banque
Nationale.
Le
soir tomba tout doucement. Après avoir vérifié les occupations de
chacun et chacune dans la maison, je compris que le bon moment était
arrivé : ma mère, enveloppée des vapeurs odorantes fusant des
casseroles, cuisinait comme à son habitude; mon père discutait avec
des amis dans la salle à manger; ma sœur vaquait à une occupation
quelconque dans la même pièce. Aucun danger d'être surprise dans
mes recherches délictueuses.
Je
pris mon petit cartable en cuir et montai sans bruit dans le bureau
de mon père où je m'installai confortablement sur le cosy corner
parental. J'adorais la douceur veloutée du couvre-lit brun, le
creux qui se formait quand on s'y lovait, la légère odeur de
poussière vieillotte qui s'en dégageait : un véritable havre de
paix que je rejoignais souvent. C'était le meilleur lieu de la
maison pour étendre mes connaissances et... peut-être... atteindre
aux mystères de Dieu.
Dieu
ne voulut pas aider une voleuse! Il
ne me permit pas d'entendre le pas de mon père qui montait
l'escalier.
A
la recherche d'un document posé sur son bureau, ce dernier fut bien
surpris de trouver sa cadette, assise comme une indienne, les jambes
repliées servant de porte-livre et profondément plongée dans une
lecture qui semblait passionnante.
Il
me demanda ce que je lisais et son tendre sourire me montrait à quel
point il était fier de me voir en plein exercice de lecture.
Lorsque je le vis entrer, je restai sans voix. Impossible d'émettre le moindre son. La gravité de mon méfait commençait à m'apparaître : le vol doublé de la transgression d'un interdit paternel.
Lorsque je le vis entrer, je restai sans voix. Impossible d'émettre le moindre son. La gravité de mon méfait commençait à m'apparaître : le vol doublé de la transgression d'un interdit paternel.
Voyant
mon trouble, mon père se mit à douter de la pureté morale de sa
fille. Il s'approcha, se pencha sur le livret que je tenais serré
entre les mains puis le prit afin d'en mieux saisir l'origine et
l'intérêt.
Sa
confrontation avec le recueil diocésain fut terrible.
Le tendre sourire disparut brusquement pour faire place à un
véritable raz-de-marée de colère mal maîtrisée. Je retenais mon
souffle face à la tempête qui noircissait l'avenir proche. Jamais
je n'avais vu un tel courroux dans les yeux de mon père.
- Où
as-tu pris ce livre? me demanda-t-il d'une voix glaciale.
- A l'école, bien sûr.
- A l'école, bien sûr.
- Et
que comptais-tu en faire?
- Ben...
je cherche le père nourricier.
Et après ces paroles stupides, je m'empêtrai dans des explications abracadabrantes qui n'auraient même pas convaincu le plus demeuré du village.
Et après ces paroles stupides, je m'empêtrai dans des explications abracadabrantes qui n'auraient même pas convaincu le plus demeuré du village.
Mon
père me fixa froidement et reprit en détachant bien ses mots :
-Tu
es priée de replacer ce livre où tu l'as pris! Dès
demain matin! Je ne veux plus jamais voir ceci entrer chez
moi! Mets-le dans ton cartable et je t'interdis d'y toucher
encore.
Là-dessus,
toujours plongé dans sa colère, il fit demi-tour et redescendit.
Je l'entendis expliquer son horrible découverte à ma mère qui, elle, n'y
accorda pas grande importance. La réussite du repas du soir était autrement plus captivante.
J'avais beau être pétrifiée par la colère de mon père, mon cerveau enregistra quand même que la possession du catéchisme pouvait être néfaste et qu'il valait mieux ne pas s'y frotter. Je glissai le livret dans mon cartable pour la seconde fois de la journée et fermai soigneusement le rabat en cuir sur l'objet du délit.
J'avais beau être pétrifiée par la colère de mon père, mon cerveau enregistra quand même que la possession du catéchisme pouvait être néfaste et qu'il valait mieux ne pas s'y frotter. Je glissai le livret dans mon cartable pour la seconde fois de la journée et fermai soigneusement le rabat en cuir sur l'objet du délit.
Quelques
années plus tard, lors d'une conversation à bâtons rompus avec des
camarades de classe, j'appris enfin ce qu'était un père nourricier
Nous avions grandi et les arcanes de la Sainte Sexualité
enjolivaient nos propos grivois des coins de cour de récréation.
Ce que mon père ne
débusqua jamais, c'est cette croyance qui avait fait son nid dans ma
jeune cervelle : longtemps contemplée en classe, l'image de Dieu
créant le ciel et la terre s'était fixée, ancrée, dans un coin de
ma mémoire et, malgré mon athéisme acquis au fil des années, lorsque je contemple un nuage
nimbé de magnifiques rayons solaires, je ne peux m'empêcher de me
dire : «Dieu est là derrière».
vendredi 11 janvier 2013
mardi 8 janvier 2013
dimanche 6 janvier 2013
jeudi 3 janvier 2013
La révolte du chien Némo
"Trop de chasseurs pour si peu de loups ! Il fallait bien que quelqu'un se révolte. De plus, ce que je ne supporte pas, en tant que chien amoureux de la nature, ce sont tous ces déchets abandonnés sur les lieux de chasse. Les loups, lorsqu'ils chassent, ne polluent pas, eux !"
A suivre : Zorro réussira-t-il à éliminer toute cette pollution ?
mercredi 2 janvier 2013
Souvenirs d'enfance (2) Perspectives
Perspectives.
Par
quel tour de passe-passe mes parents réussirent-ils à me faire
inscrire en quatrième primaire au Lycée de M... ? Ils durent faire
preuve d'une fameuse imagination, c'est certain. Plus nulle que moi
dans toutes les matières, ce n'était pas courant. La notoriété
de mon père dut jouer ainsi que mon âge et il est vrai que j'avais
l'âge sinon les connaissances pour être dans cette classe
C'est
ainsi qu'un lugubre matin de septembre, je me retrouvai sous le
porche humide et sombre de ce Guantanamo de l'enfance, le Lycée
M... B.... La fine bruine qui tombait ce jour-là ne
mettait pas le moral au beau fixe et j'eus l'impression que ma vie
allait être une suite ininterrompue de jours sombres et
désespérants. Comme un poulet mouillé, j'attendais sans bouger
que la cloche sonnât la fin des arrivées d'élèves, la formation
des rangs et la fermeture des lourdes portes cochèrent qui verrait
s'envoler tout espoir de fuite.
Une
maman se présenta alors tenant une fillette de mon âge par la main.
Toutes deux, souriantes, cherchèrent du regard une future compagne
vers laquelle se diriger. Ce fut sur moi que leurs regards
s'arrêtèrent. Le ciel, malgré son sale petit crachin, venait
enfin à mon secours. La dame me demanda mon nom, me présenta sa
fille Chantal et proposa que nous nous donnions la main pour aller
nous ranger. Un énorme poids venait de s'envoler de ma poitrine et
je pus rejoindre la double file des élèves de quatrième année en
serrant la main de ma nouvelle amie comme on serre une bouée de
sauvetage.
Dès
ce premier contact, notre amitié ne cessa d'aller en grandissant.
C'était la première fois de ma vie scolaire que j'avais une amie et
je n'allais pas la lâcher de si tôt. A la récréation du matin,
notre curriculum fut étalé sous le marronnier. Son père possédait
une brasserie à Erbisoeul, mon père était professeur de latin et
de grec à l'Athénée; le parc qui entourait sa maison était très
grand, les bois qui entouraient la mienne étaient immenses; le
matin, un chauffeur la conduisait à l'école, je venais en tram car
mon père refusait toute idée d'auto; elle avait un professeur de
piano... aïe! Je n'avais que la nature comme professeur. Bon,
malgré quelques différences, notre entente ne pouvait être que
parfaite, nous le sentions l'une comme l'autre.
Le
lendemain matin, j'attendis mon amie sous le porche. Elle arriva,
m'embrassa et, tout de suite, ouvrit son cartable d'où elle tira un
petit cadeau qu'elle m'offrit. Je trouvai l'idée du cadeau
merveilleuse et après l'avoir remerciée, lui promis que, le
lendemain, ce serait moi qui lui en apporterais un. Ainsi le rituel
du cadeau matinal s'instaura entre nous. Oh! c'était deux fois
rien. Elle m'apportait un crayon un peu usé, je lui apportais une
gomme mordillée; un jour, c'était un joli morceau de papier rose,
le lendemain, un bout de guirlande de Noël. Vraiment, deux fois et
même trois fois rien mais l'attention que nous apportions l'une
comme l'autre à emballer joliment ces petits objets pour créer la
surprise ensoleillait toutes mes journées. Un peu de bonheur dans
cet univers lugubre du lycée.
En
classe, par contre, la différence entre nous fut énorme. Chantal
était bonne élève, j'étais le cancre parfait, elle ne ratait
aucune dictée, j'avais toujours zéro en orthographe, ses devoirs
étaient faits régulièrement, les miens rarement ou pleins
d'erreurs.
Notre
séparation ne tarda pas. Mon amie se retrouva vite assise à
l'avant de la classe alors que je fus placée au dernier banc à côté
d'une fillette très aimable mais qui ne devait pas faire plus
d'étincelles que moi. C'était peut-être le point de vue de
l'époque : «Mettez deux nulles ensemble et priez pour obtenir des
cerveaux einsteiniens». Pour ma nouvelle compagne, je ne sais,
mais, en tout cas, pour moi, la méthode ne marcha pas.
Notre
institutrice était pourtant une bien brave dame, tout enveloppée
dans les replis de sa poitrine, de son derrière et de son bedon.
Jamais je ne l'entendis crier et c'est toujours gentiment qu'elle
m'annonçait mes zéros. Parfois, il y avait l'ombre d'un regret
dans sa voix mais c'était très discret. Je crois que, dès les
premiers jours, elle avait laissé tomber les bras et mon improbable
résurrection scolaire avait déserté ses pensées. Il en allait de
même pour moi.
En
plus de mon amitié pour Chantal, deux merveilleux souvenirs me
restent de mon passage dans cette classe.
Un
jour, notre maîtresse arriva, tenant en main un gros ballotin
entouré d'un ruban de satin rose. Nul doute, c'était des pralines.
Que se passait-il donc ? Quelle était l'occasion ? Pour qui ce
cadeau ? Elle ne nous laissa pas languir trop longtemps :
- Aujourd'hui,
c'est mon anniversaire, dit-elle, et je vous ai apporté des truffes.
Nous les mangerons cet après-midi avant le cours de dessin.
Waouw!
Des truffes ! En classe ! Ça, c'était vraiment autre chose qu'une
dictée ou des calculs. J'aurais aimé envisager le quotidien de la
vie scolaire de cette manière.
L'après-midi
arriva, notre enseignante nous mit en cercle autour de son bureau
puis elle défit le nœud du ballotin, écarta ses rabats dorés et
bascula légèrement la boîte pour nous faire découvrir les
petites boules irrégulières couvertes de poudre de cacao. Chacune
à notre tour, nous fûmes autorisées à prendre l'une des
friandises que, sur ses conseils, nous laissâmes fondre doucement
dans notre bouche Il fallait, nous dit-elle, profiter du goût au
maximum. Ah, la brave dame, elle n'était pas ronde pour rien !
C'était la première fois que je mangeais une truffe et je fus très
satisfaite de cette expérience qui me réconcilia, durant quelques
minutes, avec l'école.
Un
autre jour, notre institutrice décida de nous apprendre à dessiner
une perspective à l'aide de quatre lignes de fuite.
Expliquée
en deux mots, la technique n'a l'air de rien mais pour moi, placer un
point aux trois quarts d'une feuille, y faire converger quatre
droites non parallèles entre lesquelles, prises deux par deux, on
pouvait venir esquisser des arbres, des maisons ou des personnages,
allant du plus grand au plus petit, ce fut une révélation aussi
importante que la découverte d'un nouveau continent pour d'autres.
Jamais je n'avais imaginé que quatre droites et un point pouvaient
offrir tant de rêves. Je venais de découvrir la fuite sur papier.
A
partir de ce jour, des lignes de fuite, j'en dessinai des dizaines et
des dizaines. Que m'importait alors l'orthographe et les
mathématiques? Par le dessin, l'évasion était totale.
La
période de Noël de cette année-là vit sortir de mon crayon et de
mes couleurs à l'eau mille paysages enneigés où les sapins
fuyaient vers l'infini sans jamais revenir, des dizaines de maisons
aux toits alourdis par de grosses couches de gouache neigeuse
s'estompèrent dans des brumes lointaines, des rues de villages
défilèrent et des oiseaux migrateurs s'envolèrent très loin vers
des pays imaginaires. Et que dire des chemins de halage plus bordés
de peupliers que ne le furent jamais aucun d'entre eux en Flandre?
Ainsi,
la quatrième année primaire ne me laissa pas que de mauvais
souvenirs et si elle ne me vit acquérir ni une meilleure orthographe
ni une méthode correcte pour calculer au moins m'apprit-elle la
fuite par le dessin.
Vu
la médiocrité de mon travail durant cette année scolaire,
l'institutrice ne put que m'octroyer le grade de plouc en calcul
et en orthographe.
(
4ème primaire, fête de fin d'année scolaire.)