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lundi 31 août 2015

Mémoires d'instit - Le fantôme d'Esneux

Pour mouvementées, elles furent mouvementées ces classes vertes à Esneux !

Cette année-là, Freddy et moi étions tous deux titulaires des sixièmes primaires. Assez jeunes l'un et l'autre, nous commettions régulièrement des « erreurs pédagogiques », en tout cas aux yeux de notre vieux directeur très conformiste  : à moi, le reproche était de passer des disques de musique classique durant le cours de couture ! Quant à Freddy, il mélangeait allègrement ses garçons et mes filles lors de certains cours durant lesquels nous nous partagions le travail. Sacrilège dans une école où la mixité n'avait pas encore été acceptée.
Nous étions donc les deux minuscules « boulets » de Monsieur R. Cela dit, ce directeur, d'une timidité ronchonne excessive, était aimé de presque tous.
Lorsque, début juin,  il vint nous trouver pour nous annoncer qu'il avait retenu une période de classes vertes à Esneux pour la fin du mois,  nous lui fîmes remarquer que les examens ne seraient pas tout à fait terminés. Il balaya l'objection d'un revers de main : nous n'avions qu'à établir notre horaire d'examens de telle sorte qu'il ne resterait que les matières les plus faciles à tester là-bas. Nous eûmes la décence d'attendre son départ pour effectuer notre danse de joie.
Notre joie était toujours aussi grande lors de notre arrivée à Esneux. Si elle fut grande, elle fut de courte durée. L'administrateur de l'établissement nous fit rapidement comprendre qu'étant des « primaires », nous faisions partie d'une caste inférieure. Dès le premier repas, nous dûmes rester à la table de nos élèves. Cela n'aurait pas été gênant si quelques enseignants du secondaires n'avaient eu droit, eux, à une table séparée avec apéritif et entrée avant le repas principal !
Freddy alla trouver Monsieur « Coldur » et lui dit sa façon de penser. Bien entendu, cette première algarade ne nous fit pas remonter dans l'estime de ce coincé du règlement désuet.
Nous prîmes la décision de ne pas nous occuper de lui et de mener notre vie comme nous l'entendions.
Ah ! Cet administrateur dut avoir de fameuses démangeaisons durant notre séjour !
Nos incursions inopinées dans « son » parc, nos débandades dans « ses » petits sentiers lors de jeux fous, les bains de soleil des filles sur « ses » pelouses après les heures de cours, les petits bals en musique organisés en fin de journée toutes fenêtres ouvertes, ce mode de vie dut le rendre fou.

Mais voici ce qui le rendit totalement brindezingue et faillit lui provoquer un infarctus prématuré.
Freddy, dès le départ inventa un jeu de recherches policières qui devait durer jusqu'à la fin du séjour avec, le dernier soir, en apothéose, la découverte d'un bandit qui nous aurait joué des tours pendables toute la semaine.
Le deuxième soir donc, mon collègue réunit tous les élèves et leur expliqua qu'il avait remarqué, la veille, un individu suspect rôdant autour des dortoirs. Il faudrait essayer de l'attraper. L'enthousiasme fut presque total, certaines filles, plus réticentes, acceptèrent de participer mais sans prendre de risques.
Ainsi, au fil des jours, « Arsène Lupin » déroba un dentifrice, changea la place de quelques pyjamas, cacha un cartable, laissa des messages signés qui narguaient ses jeunes poursuivants. L'excitation montait de jour en jour !
Le comble de l'effervescence fut atteint lorsqu'un soir, alors que j'avais eu pour mission, durant quelques minutes, de détourner l'attention des élèves, Freddy, enveloppé d'une grande cape (un vieux rideau ou une couverture ?) passa dans le fond du parc en agitant une cloche. La réaction fut immédiate mais imprévue dans sa fougueuse violence : les premiers élèves qui avaient regardé par les fenêtres se mirent à hurler : « Arsène Lupin ! Arsène Lupin est là ! Il faut l'attraper ! » Et tous, garçons et filles, se précipitèrent dans le parc à la poursuite de celui qu'ils considéraient comme l'Ennemi Public numéro 1.
Il me fut impossible de les retenir. Je crois qu'à ce moment, ils me seraient passé sur le corps.
Freddy fit, ce soir-là, la plus belle course de sa vie pour échapper à la meute de ses poursuivants. Il ne dut son salut, alors qu'il allait être rejoint, qu'au réflexe de se jeter dans un buisson et d'y rester tapi le temps nécessaire.
Ayant perdu la trace d'Arsène Lupin du côté du ruisseau, les élèves revinrent par petits groupes, bredouilles, crottés, boueux mais surtout, déçus d'avoir laissé échapper une si belle proie.
Freddy arriva le dernier, essoufflé, en sueur, des brindilles dans les cheveux. Un garçon plus attentif que ses camarades le vit et lui dit :
-  Vous avez couru aussi, M'sieur ?
-  J'étais derrière vous mais je n'ai pas pu vous rejoindre, répondit Freddy sans se laisser désarçonner.
-  Ah ! Vous auriez dû voir ça, M'sieur ! Mais la prochaine fois, nous l'aurons !
Et chacun de donner sa version des faits, d'enjoliver la poursuite, de prévoir les pièges à mettre en place dans les jours à venir. Enfin, une soirée délirante de joie et d'espoirs.
Une telle excitation ne pouvait aboutir qu'à une catastrophe. Freddy et moi n'avions pas suffisamment géré l'aventure.
Le matin qui suivit la poursuite, je me trouvais dans l'un des dortoirs avec un élève qui y avait oublié je ne sais plus quel objet. Le téléphone sonna et, comme l'élève se trouvait plus près de l'appareil que moi, persuadée d'un appel de Freddy, je lui demandai : « Décroche et dis-lui que nous arrivons ».
L'élève décrocha et prit une voix de rogomme :
-  Allôôô !
-  ......
-  Ici, c'est Arrrsêêêne Luuuupin !
-  ......
L'élève se tourna vers moi et annonça, étonné :
-  Madame, on a raccroché !
-  Bon, ce n'est pas grave, viens, on y va.
Nous rejoignîmes Freddy et les autres élèves dans le hall. C'est alors que nous vîmes arriver, déboulant du château à une vitesse inhabituelle, la voiture de l'administrateur. Mine de rien, un vrai petit Fangio, ce conducteur ! Les freins grincèrent, la poussière des graviers se souleva haut dans le ciel, la portière claqua rageusement et l'homme, écumant de rage se précipita vers nous.
-  Qui a osé me répondre de cette façon ? Qui ose se faire passer pour Arsène Lupin quand je vous téléphone ? Qui ? Qui ?
Freddy et moi étions dans nos petits souliers. 
Bien que ne connaissant pas l'incident du dortoir, c'est mon collègue qui, s'éloignant du groupe des élèves,  expliqua le jeu que nous avions organisé : certainement énervé par l'aventure, un élève avait dû se permettre cette petite farce.
-  Une petite farce ? C'est un jeu imbécile ! rugit Coldur en postillonnant autant qu'il pouvait. Vous arrêtez cela dès cet instant ! Je veux connaître le nom de cet élève ! Immédiatement !
Comme par hasard, ni Freddy ni moi ne nous souvînmes d'un élève qui serait entré dans le dortoir lors du coup de téléphone...
Par la suite, bien entendu, nous expliquâmes au jeune coquin que lorsqu'il répondrait encore au téléphone, il devrait réfléchir avant de parler ...
Coldur repartit, écumant de rage contre ces imbéciles du primaire qui faisaient vraiment tout et n'importe quoi avec leurs élèves. Ah ! Elle était belle, l'éducation actuelle !
Après son départ, j'expliquai alors à Freddy l'incident du dortoir et nous en rîmes durant des heures.
Et notre jeu continua.
Je vous avoue qu'actuellement, quand je repense à ce «Ici, c'est Arrrsêêêne Lupppin ! », j'en ris encore.
Nous n'avions jamais eu droit aux apéritifs ni aux entrées fines de Monsieur Coldur mais au moins, avions-nous eu droit à sa communication téléphonique. Et l'une valait bien tous les autres.


Deux autres souvenirs savoureux !

L'incident que je vais décrire provient d'une erreur commise par Freddy et moi-même.
Lors de l'élaboration du programme de notre séjour, nous avions indiqué que les parents qui le désiraient pourraient rendre visite aux enfants le dimanche dès 10 heures.
Le dimanche à 10 heures, les parents se présentèrent donc pour passer la journée en famille.
Sacrilège ! L'heure des visites était 14 heures et non 10 heures. L'administrateur interdit au concierge d'ouvrir les grilles du domaine. Sans tenir compte de notre erreur et des cent cinquante kilomètres parcourus par les familles, Coldur resta sur ses positions malgré les réclamations : les enfants ne sortiraient qu'à partir de 14 heures.
L'un des pères eut l'excellente idée de nous faire appeler, mon collègue et moi et nous exposa le problème.
La solution fut rapidement trouvée. Nous demandâmes aux parents d'aller nous attendre sur la route, après le premier tournant, nous allâmes chercher tous nos élèves, les mîmes en rang devant les grilles et demandâmes au concierge de nous ouvrir car nous partions faire une étude du milieu du côté des étangs.
Le concierge, n'ayant reçu aucune interdiction concernant les classes-promenades, nous laissa sortir.
C'est ainsi que les retrouvailles purent avoir lieu.
A midi, nous récupérâmes nos échappés et allâmes dîner au réfectoire, une auréole lumineuse flottant au-dessus de chaque tête.
A 14 heures, les règlements de Coldur étant respectés, les grilles purent enfin s'ouvrir sans grincer.

Examens dans la verdure
Comme nous l'avait demandé notre directeur, nous avions gardé en réserve les examens d'étude du milieu et de rédaction en prévision de notre séjour.
Le temps fut splendide durant de longues journées : un ciel serein, un soleil des plus chaleureux, pas une goutte de pluie à l'horizon.
Pourquoi enfermer nos élèves dans des classes moins accueillantes que celles proposées par les frondaisons du parc ? 
Ni une ni deux, les bancs et les chaises furent placés tout en longueur sous les arbres et c'est dans un joyeux brouhaha que les élèves s'installèrent plusieurs matinées de suite pour affronter les questionnaires de sciences et la rédaction. 
Les dictionnaires passaient de main en main, les porte-plume glissaient avec joie sur le papier, les chuchotements étaient couverts par les chants d'oiseaux et, lorsque midi arrivait, personne ne s'était vraiment rendu compte que nous traversions une période d'examens pour le certificat de fin d'études primaires.
Pour nous, un souvenir merveilleux. Pour Coldur, de lourdes pierres noires accrochées à ses basques raides..... car, ses basques, nous ne les lui avons pas lâchées un seul jour.

Weiden  -  Souvenir d'une excellente classe...
... mais combien d'entre elles se souviennent
encore d'Esneux maintenant que toutes
 ont dépassé  la cinquantaine ?


cake aux carottes, lardons et safran





Ingrédients (6 personnes)

150 gr de farine
3 œufs
1 fromage de chèvre en faisselle
75 gr + 25 gr de parmesan râpé (ou autre)
3 carottes
1 oignon
75 gr de lardons
1 c à s d'huile d'olive
1 sachet de levure chimique
1 c à s de bicarbonate de sodium
2 c à s de jus de citron
½ c à c de poudre de cumin
45 stigmates de safran réduits en poudre (l'Or Rouge des 3 Rivières)
sel/poivre
beurre et farine pour le moule

or3r.fr
Préparation

La veille (ou, au minimum, 2 heures avant), faire infuser le safran broyé dans l'un des trois oeufs

  • éplucher les carottes et les cuire entières à la vapeur (elles doivent rester un rien croquantes)
  • faire revenir l'oignon émincé et les lardons dans la c à s d'huile d'olive (les oignons doivent devenir translucides)
  • dans un plat, battre les œufs safranés, ajouter le fromage de chèvre, le parmesan, le jus de citron, la poudre de cumin, le sel et le poivre
  • mélanger la farine, la levure et le bicarbonate et ajouter à la première préparation en tamisant
  • ajouter les carottes finement détaillées, l'oignon et les lardons
  • verser la préparation dans le moule à cake beurré et fariné
  • recouvrir d'une fine couche de parmesan
  • 35 minutes au four (préalablement préchauffé) à 180 degrés
  • vérifier la cuisson à l'aide d'une tige métallique (elle doit ressortir sèche du cake)


Servir tiède ou froid

L'épeire fasciée, à n'en pas douter, l'une des plus jolies


vue de dos 

vue de face

... un oeil noir te regarde...

Descente sur Entrechaux
Crénom d'un chien, cela fait peur !



Observation de l'épeire fasciée par Jean-Henri fabre
http://www.e-fabre.com/e-texts/souvenirs_entomologiques/epeire_fasciee.htm

lundi 24 août 2015

Mémoires d'instit - Une aventure à ne pas dupliquer


Aujourd'hui, je vais parler d'une personne que, tous, nous avons appréciée durant les longues années où elle fut notre concierge, secrétaire, préposée aux machines, infirmière bénévole et ceci et cela, la liste entière serait trop longue à dérouler.
Elle s'appelait Madame G....
Sans elle, l'école n'aurait jamais eu ce parfum de café frais lorsque nous y arrivions le matin. Nos maux de tête auraient perduré sans l'aspirine qu'elle nous apportait et nos doutes ou démotivations n'auraient été si bien combattus sans les petites paroles de réconfort qu'elle trouvait dans son cœur chaleureux. Elle était, sans conteste, la mère de cette école.

Il advint un jour durant lequel elle enfila même le tablier des lavandières.
Notre directeur, Monsieur Hacker, ayant décidé de dupliquer une note de service, s'installa dans la salle des machines, bien décidé à ne faire appel qu'à ses compétences personnelles. Or, le duplicateur à alcool, ancêtre de la photocopieuse, ne faisait pas partie de ses tasses de thé favorites ! Il introduisit donc son support-papier original dans la machine,  et, un peu trop confiant en ses capacités, commença à tourner la manivelle.
Rien, rien de rien n'apparut sur la première feuille qui sortit blanche comme neige.
Notre Hacker recommença, toujours sans résultat. La feuille à dupliquer avait été placée à l'envers.
Elle fut retirée, l'énervement monta.
Le directeur prit un linge et de l'alcool, trop généreusement, pour nettoyer le tambour métallique qui devint bleu d'encre ravageuse.
Par quel malheureux hasard cette encre se retrouva-t-elle sur le pantalon gris clair de notre directeur ? Lui seul aurait pu le dire, ce qu'il ne fit jamais.
Face à une telle catastrophe, une unique solution : « Madame G..., venez vite, il y a de l'encre sur mon pantalon ! »
La brave Madame G... accourut, constata les dégâts puis déclara :
-  Allez dans votre bureau et enlevez votre pantalon, je vais essayer de faire partir les taches avec de l'alcool.
-  Vous croyez ?
-  Vous avez une autre idée ?
Ce qui fut dit fut fait et voilà notre directeur en caleçon derrière son bureau.
Après quelques minutes d'attente, toc ! toc ! Qui va là ? C'est moi mère-grand je vous apporte un petit pot de beurre ...
Non, évidemment, les choses ne se passèrent pas ainsi mais le toc ! toc ! eut bien lieu et le rôle du loup ne fut pas tenu par notre directeur.
Monsieur Hacker, croyant au retour de Madame G..., cria d'une voix forte : « Entrez ! ».
Alors qu'il s'était remis debout, prêt à enfiler son pantalon nettoyé, quel ne fut pas son effroi lorsqu'entra  une mère d'élève habillée en grand chic. Celle-là, il l'avait totalement oubliée ainsi que le rendez-vous qu'il lui avait accordé !
Ce que vit cette dame, ce fut un directeur qui, au lieu de venir lui serrer la main et l'inviter à s'asseoir, se laissa tomber d'un bloc dans son fauteuil pour introduire ses jambes sous son bureau.
Comme accueil, c'était assez inhabituel, il faut le dire.
Quelle excuse notre directeur trouva-t-il ? Ne la connaissant pas, je ne pourrais la dévoiler. Oh, cet homme n'était pas à cours d'imagination et il en trouva une qu'il alla tirer de derrière ses fagots personnels mais il n'avoua certainement pas, qu'à la minute même, sous le bureau, ses fines jambes roses et poilues dansaient la carmagnole au rythme des pieds en chaussettes qui battaient la mesure.

Comment la connaissance de cette aventure arriva-t-elle aux oreilles de tous les enseignants ? Non ! Pas grâce à « la salvatrice » de service qui fut alors toute discrétion mais grâce à notre directeur lui-même. Dès le matin suivant, il nous fit partager cette aventure burlesque tout en sirotant le café fraîchement passé par notre dévouée Madame G....
Ce jour-là et longtemps après même, nous n'arrêtâmes pas de rire chaque fois que nous le vîmes passer dans les couloirs, des papiers à la main.


De petits souvenirs aux relents bien alcoolisés !


samedi 22 août 2015

Mémoires d'instit - Le pire reste à venir

Le pire reste à venir

    En cette fin d'après-midi ensoleillée, je jardinais tranquillement devant chez moi, me remémorant cette première journée de classe et les nouveaux élèves que j'avais accueillis le matin. La rentrée avait eu lieu et une nouvelle période de scolarisation s'amorçait. J'aimais cela.
    Fin juin, il y a toujours un petit pincement au cœur lorsque, pour la dernière fois, on voit partir cette vingtaine ou trentaine d'élèves avec lesquels on a passé de bons ou de moins bons moments. Il y a eu de la tendresse, parfois des accrochages sévères, des apports de la part de l'enseignant tout comme de celle des élèves. En tout cas, jamais aucune indifférence. Ce sont les petits des hommes qui passent entre nos mains et il faut les mener le plus loin possible durant ce bout de vie que nous partageons ensemble.
    Début septembre, c'est le plaisir de découvrir de nouvelles personnalités, des caractères souples ou plus rétifs. Le plaisir aussi d'établir de nouveaux contacts, de créer des liens, différents d'un élève à l'autre.
Voilà, j'en étais là de mes réflexions lorsqu'une voix joyeuse s'éleva derrière moi :
     - Bonjour, Madame Moreau !
    Je me retournai et je vis un ancien élève qui avait quitté ma classe depuis trois ans .
    C'était le joyeux Maxime !  Toujours la même bonne bouille toute ronde. Le sourire avenant, les yeux pétillant de malice. Il n'avait pas maigri durant ces trois ans mais j'aurais été incapable de l'imaginer autrement.
    - Ah ! Bonjour Maxime, tu te promènes ?
    - Oui, je passais. Vous voulez un coup de main pour la pelouse ?
    Mes anciens élèves étaient nombreux à habiter mon quartier et se proposaient souvent à me rendre un « petit service » lorsqu'ils me voyaient jardiner. Enfin, le coup de main, c'était le prétexte car je crois que ce qu'ils aimaient par-dessus tout, c'était venir discuter quelques minutes avec celle qui, durant un an, les avait tenus en laisse et avec laquelle, maintenant, ils pouvaient discuter presque sur un pied d'égalité.
    Et aujourd'hui, c'était Maxime qui passait.
    - Dis-moi, Maxime, comment s'est passée la rentrée ?
    - Oh ! Bien, bien. Aucun problème (avec lui, il n'y en avait jamais). On n'a pas fait grand chose. Vous savez que Nicolas est rentré en Belgique ?
    - Non, je pensais qu'il resterait encore un an.
    - Il est parti. Mais il y a deux nouvelles filles.
    - Jolies ?
    - Ça, on verra plus tard. Pour le moment elles n'ont pas dit grand chose.
    - Laisse-leur le temps de s'adapter. Un changement d'école n'est jamais facile.
    - Un changement de classe non plus ! Tiens, en parlant de cela, j'ai rencontré vos nouveaux élèves et je leur ai demandé comment cela allait avec vous.
    - Ah bon ? Et que t'ont-ils dit ?
    - Que vous étiez sympa, qu'ils avaient déjà appris une petite chanson, que vous leur aviez lu une histoire et que vous leur aviez permis de dessiner...
    - Mon Dieu, oui ! C'est le premier jour ! J'ai fait la même chose avec vous quand vous êtes arrivés dans ma classe. Il faut mettre les enfants  en confiance.
    - Je sais, c'est pour cela que je me suis permis de les prévenir.
    - Mais qu'est-ce que tu leur as dit ?
    - Que vous faisiez toujours ça le premier jour mais que, quand vous alliez commencer à compter jusqu'à trois, ils avaient intérêt à se taire car... le pire restait à venir !

Sacré Maxime ! Toujours aussi joyeux luron cet enfant !



mardi 18 août 2015

Le cabrian


   Alors que j'attendais près de l'étal d'un marchand de cerises, mon œil fut attiré par une tache foncée située sur le rebord de l'une des cagettes. Je me faufilai entre les clientes pour m'approcher au plus près et je découvris un insecte qui me parut énorme. En somme, une guêpe qui aurait été « tchernobylisée » en beauté.
   Les chalands se tenaient à distance respectueuse tout en gardant la bête à l'œil. Curieuse, j'interrogeai : « Qu'est-ce que c'est que cet insecte ? »
   La première réponse fut : « C'est dangereux ! »
-  Mais il est magnifique ! Dis-je.
   Immédiatement, la conversation devint générale.
- Magnifique ? Et le ton de voix laissait percevoir un jugement de folie.
- Agressif, oui ! Le même ton dans la seconde réponse.
- Il  a l'air endormi pourtant, il bouge à peine.
- C'est qu'il a déjà reçu un bon coup.
- C'est de la famille des abeilles ? demandai-je.
- Oh, non !
- C'est plutôt comme une grosse guêpe alors ?
- Oui mais en hyper plus dangereux !
- Comment s'appelle-t-il ?
- Cabrian. Oui, c'est un cabrian.
   Plusieurs voix entamèrent alors un exorcisme antique :  « Un cabrian,  un cabrian,  un cabrian  ... »
- Cabrian, repris-je, c'est le nom provençal ? Et en français comment l'appelez-vous ?
- Un frelon !
- Cela, un frelon ? Mais il est énorme !
- Qu'est-ce que vous croyez ? Une saleté, oui !
   Comme je n'avais jamais croisé la route d'un frelon, cette précision me fit l'effet d'avoir rencontré Dracula à l'improviste.
   Sur ce jugement sans appel, les clientes servies s'éloignèrent me laissant face à face avec le producteur de cerises, les cagettes, les cerises et ledit cabrian toujours sonné.
 C'est alors que je sortis mon appareil photo pour immortaliser cette première rencontre avec l'insecte honni.
  Je ne sais ce qu'il advint de l'animal par la suite car, lorsque j'eus obtenu mon kilo de cerises, je m'éloignai à mon tour sans plus d'état d'âme quant à son avenir.
   De retour chez moi, je voulus en savoir un peu plus sur les frelons et partis à la recherche de renseignements sur internet.
  Mon étonnement fut grand lorsque, dès les premières photos, je me rendis compte que l'aspect de l'accusé « cabrian » n'avait rien à voir avec celui des vrais frelons.
  Recherche, recherche, quand tu nous tiens ! C'est ainsi que je finis par découvrir que le malheureux insecte si ignominieusement dénoncé n'était autre que la scolie hirsute (guêpe solitaire du sud).






lundi 17 août 2015

Quand la révolte commence par un écrit ...


... avec l'espoir que ceux qui passent sur ce chemin de montagne sachent lire !

Mémoires d'instit - Et à part ça ... (2)



Et à part ça, ça va ? (2ème partie)


J'aimerais, ici, rendre hommage à Célestin Freinet qui fut l'un des très grands pédagogues du XXème siècle et dont, malheureusement, on utilise si peu les méthodes exceptionnelles dans nos classes.
Lorsque j'ai fait mes études à l'École Normale, il nous est arrivé d'interroger notre professeur de pédagogie : pourquoi passait-on sous silence ce pédagogue ou, tout au moins, pourquoi en parlait-on si peu (ce qui était le cas dans notre classe) ?
La réponse fut stupéfiante : parce qu'il était communiste ! ! !
http://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/8309



En décembre, grâce à la pédagogie Freinet, si bien  adaptée à la situation présente, Florian put lire correctement.
J'avais proposé une série d'images au garçonnet. Chaque jour, il pouvait y choisir celle qui lui plaisait le plus.

A partir de ce choix, il élabora une petite histoire qui alla en s'étoffant au fil du temps.
Bien sûr, il y eut une carotte au bout de la perche : la promesse, s'il arrivait à lire son propre récit, que je le lui ferais imprimer et relier. Ce serait SON livre.
Deux détails amusants et très révélateurs : Florian choisit son propre nom de famille pour l'attribuer au loup, héros du récit. Et ce loup, confronté à de multiples difficultés, réussit toujours à les surmonter !
Voici donc l'histoire que Florian inventa jour après jour et dont nous nous servîmes pour reconnaître, sérier et fixer les sons complexes de la langue française.





Les images utilisées pour ce travail furent des images offertes dans la revue pour enfants « Les Belles Histoires ».
Les Belles Histoires est un magazine édité depuis 1972 par le groupe français Bayard Presse. Lancé sous le titre Les Belles histoires de Pomme d'Api comme un magazine d'histoires du généraliste Pomme d'Api, la revue a changé de formule et de format plusieurs fois depuis sa création et s'appelle tout simplement, depuis 1999, Les Belles histoires. Le magazine vise le public des 4-7 ans.
Ce magazine regroupe :

dimanche 16 août 2015

Les petits marchés et le pèbre d'hase


Pèbre d'hase, pèbre d'âne, pèbre d'asé

Mais quel plaisir d'aller effectuer ses   achats de fruits et légumes sur les marchés des petits producteurs !
Qui n'aime pas tailler une bavette avec le vendeur si les clients ne sont pas trop nombreux ? Qui refuse de parlotter quelques minutes avec le paysan âgé venu vendre ses raviers de figues, trois bouquets de menthe, deux courgettes et les zinnias de son jardin ?
Le client qui passe, pressé, soucieux de rentabiliser son temps au maximum, passe à côté des mille et une merveilleuses  conversations  qui embellissent la vie quotidienne.
Ce samedi, je m'arrêtai devant un éventaire sur lequel s'étalaient quatre bouquets fort semblables à des bouquets de thym. Cependant, l'étiquette piquée dans le feuillage indiquait "sadreille".
Sadreille ? Que pouvait désigner ce mot ? Sûrement pas du thym malgré la ressemblance car en provençal, ce dernier se nomme farigoule comme tout le monde le sait.
J'ai toujours eu une âme de chatte car je suis d'une curiosité insatiable lorsqu'il s'agit de pêcher un renseignement ici ou là.
Coup de chance, j'étais seule devant l'étal. Je m'approchai et demandai au vendeur ce qu'était la sadreille.
L'homme, une cinquantaine d'année, grand, les yeux rieurs, rond au physique comme au mental, fit un pas dans ma direction et, heureux d'avoir une interlocutrice, se lança dans l'explication demandée :
- Ça, c'est de la sarriette, me dit-il. Mais c'est de la sarriette de jardin, pas la sarriette sauvage ! En Provence, nous faisons la différence entre les deux plantes. On l'appelle aussi sadreille annuelle. La sarriette sauvage, nous l'appelons le pèbre d'hase.
Pèbre d'âne ou pèbre d'ase ?
- Non, il ne faut pas se tromper ! Certains disent pèbre d'âne mais c'est une erreur. Le vrai nom c'est pèbre d'hase. Hase avec H, vous savez la femelle du lièvre ?
- Oui, la hase avec H comme en français.
- C'est ça. Et vous savez pourquoi cette plante s'appelle ainsi ?
- Non.
- Je vous explique : c'est parce qu'au printemps, quand les lièvres deviennent fous d'amour, ils se roulent dans la sarriette sauvage  avant de rejoindre une hase.
- Aaaah ! Ils se parfument pour mieux ensorceler leur belle ?
- Oui, c'est cela. C'est donc bien pèbre d'hase et non pas pèbre d'âne.
- Je suis en train de lire un livre écrit par un écrivain provençal et le titre c'est « L'amant du poivre d'âne ».
- Mais le mot âne, c'est asé, sans H et on prononce asé.
- Asé, dis-je en mettant l'accent tonique sur le é.
- Non pas asé, vous mettez mal l'accent. C'est sur le a qu'il faut mettre l'accent ! Asé.
Asé ? 
- Oui c'est bien, vous l'avez bien prononcé.
Et il continua: 
- Avant, quand on tuait le cochon dans les campagnes, on émiettait de la sadreille dans le sang avant de faire le boudin. Cela lui donnait un goût délicieux.
- Le boudin, j'adore. C'est dommage que par ici on n'en trouve que rarement. Hé bien ! Un grand merci pour vos explications. Je vais vous prendre deux bouquets de sadreille.
Il me les tendit tout en me disant : "Vous pouvez le faire sécher. L'idéal c'est de pendre les bouquets têtes en bas et de les protéger avec un petit linge. N'en mettez pas trop. Le goût est assez puissant.
C'est certain, je reviendrai chez ce marchand. Je ne sais si j'aurai quelque chose à acheter mais j'espère de tout cœur qu'il aura, lui, une nouvelle histoire merveilleuse à me raconter.

Vous en connaissez beaucoup, vous, des grandes surfaces qui vous font entrer dans la féérie du lièvre qui se parfume au pèbre d'hase avant d'aller rendre hommage à sa fiancée ? Et combien sont capables de vous donner une leçon de positionnement d'un accent tonique ?

Pèbre d'hase contre poivre d'âne


samedi 15 août 2015

Entrechaux...

... surveille ton château !
Le monstre est en train de le dévorer !


mercredi 12 août 2015

Encore un ...

... et celui-ci est mon préféré.
Un pur hasard...

Avignon, le 26 septembre 2014
Prison Sainte-Anne
"La disparition des lucioles"

"Jouer, c'est expérimenter le hasard"
                                                                                       De Novalis

vendredi 7 août 2015

Oh !


Avec la sale manie k'ont les Français d'abréger de nombreux mots, lorsque j'ai vu cette inscription, je me suis posé  quelques questions : l'écrivain qui m'avait précédé dans ces toilettes publiques détestait-il les koncerts ou les konserves ? Les kondiments ou les konkombres ? Les konvertis ou les kontraventions ? Les kondoléances ou les kon...? Non quand même pas les kondoms sinon où partirions-nous ? La terre serait bientôt surpeuplée de kond ! 
Bah ! Qu'à cela ne tienne ! Nous sommes sur la bonne voie depuis pas mal de temps. L'habitude est prise !
Au sens premier du mot kond, une chose est certaine :  ce genre de braillement populaire transformé en tag   lance l'opprobre sur la moitié de l'espèce humaine et vous coupe toute envie de faire pipi en des lieux si peu accueillants . 


Mais.... il reste une question à résoudre : l'auteur a-t-il voulu écrire ABA ou ARA ? Celle-là, c'est la question qui empêche de dormir....

Mémoires d'instit : Quand Bossuet s'invitait dans ma classe

 Illustration : sebastien.derouen.over-blog.com 
Bossuet et la mathématique moderne

Depuis quatre ou cinq ans, le Ministère de l'Éducation Nationale nous avait embranchés sur les rails de la mathématique moderne.
Comme d'habitude, de nombreux enseignants n'avaient pas reçu la formation adéquate et certains pataugèrent lamentablement au grand détriment des élèves (la formation dans l'enseignement a toujours été un immense trou noir dans lequel disparaissent les espoirs des plus naïfs).
Pour ma part, j'eus l'immense chance d'avoir un collègue qui, dès l'arrivée des directives, se lança dans l'étude de cette nouvelle vision de la mathématique. Il y consacra toutes ses vacances d'été durant six ans, peaufina un cours adapté à chaque âge de l'école primaire et arriva ainsi, montant chaque année avec sa classe, à préparer le terrain pour tous ses collègues. Un vrai travail de forçat !

Voilà donc la situation en place.

L'année de l'anecdote qui va suivre, j'avais été désignée comme titulaire en deuxième primaire.
Grâce à mon valeureux collègue, je pris très vite goût à la mathématique moderne mais …. je n'en possédais pas encore tous les arcanes, loin s'en faut.

Ce matin-là, je m'étais lancée dans un jeu (assez attrayant à mon avis) qui aidait à découvrir la base 2 tout en fixant les tables de multiplication.
Bien entendu, en dehors du système qui consistait à entourer deux pions pour les remplacer par un plus gros, je pouvais difficilement expliquer à des enfants de sept ans le but final des bases en général. Dans un premier temps, il suffisait d'aller le plus loin possible dans la formation des paquets puis de revenir au nombre de départ en utilisant le tableau binaire . Un jeu donc et rien d'autre.
La plupart des enfants mordirent immédiatement à ce jeu et, sans se poser de questions, effectuèrent les allers-retours en s'amusant.
La plupart … mais pas tous !
Alors que je tournais le dos à la classe pour écrire un nouvel exercice au tableau, une voix s'éleva derrière moi. Vous savez, cette petite voix emplie de pertinence qui pose la question qui tue ou vous glace le sang.
L'enfant voulait connaître la finalité de l'exercice et la raison du regroupement des pions. Où tout cela allait-il nous mener, en définitive ?
Je me retournai, lui fis face et lui répondis qu'il y avait bien une raison à cet exercice mais qu'il m'était impossible de tout lui expliquer car ma réponse serait trop difficile à comprendre. Que, quand il serait plus âgé, il aurait accès à une réponse plus complète.
Le garçonnet me dévisagea. Une expression désabusée sur le visage, il rétorqua : « Oui, comme dit Bossuet, le tout c'est d'y croire ! »


Ma main ne lâcha pas la craie mais ce fut bien le miracle de cette matinée !

Juste un petit souvenir

Quoi qu'on ait pu en dire par la suite, la mathématique moderne fut une excellente méthode qui faisait bien plus appel à l'intelligence et à la créativité des élèves qu'à leur passivité.
Mais, pour qu'elle soit bien appliquée, il aurait fallu de nombreuses heures de formation OFFERTES aux enseignants, ce qui ne fut pas le cas.
Je garde le souvenir amer, en ce qui concerne la mathématique, d'avoir dû payer mes formations de mes propres deniers !
ET, le pire souvenir ..... Lors d'une préparation des tests de fin d'année pour le cycle moyen de toute une circonscription, l'inspectrice qui supervisait cette préparation exigea l'utilisation de la mathématique moderne pour la géométrie. Je me permis de lui faire remarquer que tous les enseignants n'avaient pas utilisé cette méthode avec leurs élèves. La réponse tomba, cinglante et cruelle : "Tant pis pour eux !"
Tant pis pour qui ? Pour les enseignants ou pour les enfants ? 
La réplique ne situa pas cette inspectrice à la même hauteur que l' "Aigle de Meaux".
Je me demande ce qu'en aurait pensé ce denier ...