samedi 25 janvier 2025

Souvenir de Californie : Passage de l'ours

 


 
 
Ce soir-là, nous avions trouvé un camping situé non loin du lac Tahoe où une petite parcelle nous fut attribuée. 
 
Notre tente montée, ma sœur et moi nous rendîmes compte qu’elle attirait l’œil de tous les campeurs américains voisins.
  Il ne nous fallut pas longtemps pour comprendre la raison des regards, des sourires et même des rires qui nous entouraient : quelques pas en dehors de notre parcelle nous permirent de découvrir que notre tente était la naine au milieu des titans. Autour de nous, rien que d’énormes caravanes. Vous voyez, quand je dis énormes, c’était à la mesure de tous les produits made in USA : auvents, marchepieds, salons extérieurs avec vases, fleurs, couverts dressés et tutti quanti. Des caravanes obèses… Le problème avait déjà commencé…
  
  Après notre installation, pourquoi ai-je dû me rendre à l’accueil ? Plus aucun souvenir en dehors de celui-ci : alors que je suivais les sentiers qui y menaient, une brave dame me barra le passage et, d’un air désapprobateur, me demanda si j’étais seule dans le camping. Fort étonnée je lui répondis que non, que ma sœur était là aussi. Sans se départir de cet air grondeur, elle continua, ajoutant recommandation après recommandation, pour me dire que je ne devais pas circuler seule, que c’était dangereux, que le soir arrivait etc...etc… 
 
  Bon ! Sur l’instant, je ne saisis pas d’où pouvait venir le danger, je la remerciai et continuai mon chemin. 
  Comme, plusieurs fois déjà, des autochtones avaient fait preuve d’une très grande amabilité à notre égard, cette mini conversation m’affermit dans l’idée que les Américains étaient bien plus sympathiques que ce que les Européens en pensaient. 

La nuit arriva. Oubliées les mises en garde. Bien enroulées dans notre sac de couchage, nous nous endormîmes rêvant à tous ces oiseaux bleus si peu farouches qui étaient venus picorer non loin de nous lors du souper.

Bardaf ! Badaboum ! Bang ! Clong ! Clong ! Venant des poubelles situées à l‘entrée du camp, ces bruits infernaux nous réveillèrent en moins de temps qu‘il n‘en faut pour le dire.

Un pas lourd se dirigea ensuite vers notre tente.

Au fur et à mesure de l‘approche, les légères vibrations du sol se transformèrent en tremblements plus effrayants.

Danielle me saisit le bras et, dans un souffle, murmura : „C‘est un ours !“

C‘était aussi à cet animal que je pensais sans oser le dire. Les pas d‘un homme n‘auraient pas provoqué de telles vibrations…

Nous étions tétanisées dans nos fins sacs de couchage qui étaient loin de valoir le rempart d‘un château fort.

Je ne sais quelles furent les pensées de ma sœur en cet instant de frayeur intense. Je me souviens des miennes qui furent d‘un crétinisme impérial : „Pourvu qu‘il ne s‘asseye pas sur la tente, pourvu qu‘il ne nous sente pas et ne s‘asseye pas...“

Au lieu de suivre le sentier normal, l‘animal suivait un passage situé entre notre voiture et la tente.

Osant à peine respirer, crispée dans une immobilité de mort, n‘ayant aucune pensée pour les terribles griffes de l‘animal, je ne pensais qu‘à ses grosses fesses qui auraient pu m‘écraser si, par dessus la toile de tente, elles s‘étaient affaissées sur mon petit corps doux et tiède.

Certaines personnes vous racontent qu‘en cas de danger extrême, l‘être humain voit sa vie défiler à grande vitesse, moi, je n'imaginais qu‘un cul poilu en train de faire exploser ma cage thoracique, image sordide s‘il en fut !

Après quelques secondes qui nous parurent une éternité, ignorant notre présence à ses pieds, l‘ours poursuivit son chemin jusqu‘à un second espace poubelle. Là, comme un enragé, il se mit à secouer et à déplacer les conteneurs hermétiquement fermés pour la nuit, tapant sur les parois et les couvercles dans un bruit métallique infernal, espérant y trouver une nourriture facile à emporter.

Trop, c‘en fut trop pour les nerfs fatigués de l‘un des campeurs qui, non loin de notre tente, sortit de sa caravane et se mit à vociférer contre l‘animal tapageur.

Il faut croire que cette voix, se répercutant d‘un arbre à l‘autre dans la nuit, effaroucha le plantigrade. Nous l‘entendîmes s‘enfoncer dans les fourrés et le calme revint enfin . 

 

Mon Dieu ! Comme le simple bruit du vent ou l‘infime clapotis d‘un lac peut être agréable à qui s‘endort dans la nature ! 

 

 


 

 
 
 
 
 
 
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