Les pétards (3)
Le résultat fut
terrifiant, au-delà de tout ce que nous avions pu espérer. La
vieille porte, sous le coup de la déflagration, faillit sortir de ses
gongs et continua à trembler quelques secondes. Le bruit sembla se
répercuter à l'infini dans toutes les directions de notre quartier.
Nous en avions le souffle coupé et, aplatis au sol, nous n'osions
plus bouger : nous venions de comprendre que la punition qui allait
suivre serait mémorable.
Nous n'avions pas
encore tenté de nous redresser que la porte de l'épicerie s'ouvrit
avec violence, la vieille arrière-cousine de mon père surgit comme
un diable, rugissant de rage, s'en prenant au ciel et à la terre qui
supportait le poids de ces enfants infernaux et maudissant les
parents sans autorité.
Le ventre
proéminent couvert de son coquet tablier de ménagère sans
reproche, le cache-cœur en laine brune croisé sur ses gros seins,
la mèche grise en bataille, l'œil enflammé de colère, elle
entreprit de descendre notre rue et se dirigea droit vers la maison
de mes parents. Pourquoi pensait-elle que j'étais seule responsable
de l'aventure? M'avait-elle vue ? M'avait-elle entendue ? Mystère!
Le fait est que c'est chez nous qu'elle vint porter plainte. Je ne
sais ce qui fut dit mais les relations entre mes parents et la
cousine en prirent un sale coup et pour longtemps. Quand ma mère
dut encore aller faire un achat de dernière minute dans l'officine
de cette parentèle, ce fut en pagayant sur un iceberg qu'elle s'y
rendit.
Prudents, nous
restâmes couchés dans les hautes herbes suffisamment longtemps pour
permettre le retour de l'épicière dans son échoppe et ce ne fut
qu'après avoir entendu la porte violée se refermer dans un grand
claquement que nous prîmes nos jambes à notre cou et rentrâmes
chez nous têtes basses pour y subir des représailles bien méritées.
Je ne peux que
reprendre les versions présentées par mes amis lors de nos
rencontres suivantes mais, par rapport à ce qui se passa chez moi,
ce ne dut pas être glorieux.
A Paul, le fils de
l'ingénieur, il fut interdit de nous fréquenter plus longtemps.
Anne pouvait encore venir jouer chez lui mais lui ne jouerait plus
que dans son jardin ou dans la villa.
Chez Étienne, le
sermon dura des heures : Dieu ne pouvait admettre une telle
méchanceté chez sa brebis et l'égarement récent ne devait plus
jamais recommencer et, dimanche, il irait se confesser et avait-il
réfléchit qu'il venait de faire sa grande communion? Et... Et...
Et...
Monique échappa
plus ou moins à la réprimande. Ses parents, nouveaux venus dans la
rue, furent tenus à l'écart du drame. De toute manière, quand son
père revenait le soir de son travail à l'usine, il valait mieux ne
plus l'ennuyer avec les petits problèmes de quartier.
Pour moi ? Mon
père, tiré de ses chères études, fulmina comme rarement, suite à
la venue et aux plaintes de sa parente. Interdiction formelle me fut
faite d'encore acheter le moindre pétard, interdiction formelle
d'aller traîner dans le haut de la rue et obligation, pour rester
sous surveillance (les bracelets électroniques n'existaient pas
encore), de jouer au tennis devant la maison. A mon avis, les
punitions furent moins graves que la faute.
Avec le temps, les
interdits et les obligations s'estompèrent surtout lorsque les
plaintes des voisins qui craignaient pour leurs fenêtres suite à
nos matchs de tennis endiablés nous permirent de reprendre du large
et d'aller jouer plus loin.
Des pétards, nous
n'en achetâmes plus jamais. La droguerie ne fit pas faillite pour
autant et un calme acceptable plana de nouveau sur la rue Félix
Nihoul.
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