De ma naissance je ne garde comme souvenirs que ceux
que ma mère ou ma grand-mère voulurent bien me raconter. Et encore
faut-il rester méfiant quant à leur véracité car ma mère avait
une telle tendance à transformer les faits en fonction de ses
fantasmes qu'il planera toujours un doute concernant ses dires.
Une chose reste certaine, les périodes qui précédèrent
et suivirent fin 1943 furent pleines de fracas et de fureur. Non,
bien sûr, à cause de ma venue au monde mais en raison d'une guerre
qui n'en finissait pas de finir.
Et pourtant, mon père, grand
rêveur accroché à des espoirs de paix, avait prédit que pour ma
naissance, le conflit serait terminé. Ma mère, confiante, l'avait
cru et je fus mise en route.
Fol espoir déçu ! Erreur de calcul !
Le jour de mon arrivée, les bombardements continuaient ce qui
interdit tout déplacement vers un hôpital et obligea ma mère à
accoucher sur la table de cuisine de mes grands-parents. Enfin, au
moins, là, il faisait chaud et nous n'étions pas dans la rue. De
médecin, point. L'homme était probablement occupé à recoudre des
blessés de guerre, je n'ai donc rien à lui reprocher. Ce fut
Madame Clara, la sage-femme du village, qui officia aidée par ma
grand-mère. Mimi, avec son bon sens slave, était toujours prête à
retrousser ses manches quelles que fussent les circonstances et la
naissance de sa seconde petite fille était, à ses yeux, une
circonstance qui en valait la peine.
En ce mois de décembre, la famille n'avait pas encore
atteint le bout du tunnel creusé par la guerre mais le chemin
parcouru était déjà pas mal long. Semée de privations, de
recherches de nourriture, d'une courte fuite en France devant l'envahisseur et de l'arrivée d'un chien irlandais
nommé Jimmy, cette période de leur vie allait laisser plus
d'amertume que de joies. Sans vouloir jouer au gros cou, je fus
peut-être l'une de ces joies.
Ma sœur, elle, eut bien deux reproches à faire aux
optimistes parents qui étaient les nôtres. Deux reproches suite à
deux promesses non tenues : lors de l'annonce de mon arrivée, ma
mère avait eu l'idée saugrenue de lui laisser croire que je serais
son cadeau de Saint-Nicolas et, absurdité suprême, que je serais un
petit frère...
Bon, c'était la guerre et on ne pouvait tout prévoir
mais quand même, il y avait eu un grand manque de réflexions chez
nos géniteurs. Le six décembre, personne ne frappa à la porte
pour apporter le frère promis et Danielle dut attendre jusqu'au huit
pour accueillir une sœur. Que l'âne du grand Saint ait refusé
d'avancer durant deux jours à cause des bombardements, passe encore,
mais lui accorder le pouvoir de transformer un garçon en fille,
c'était peu crédible. On comprend la désillusion de mon aînée
qui, rapidement tenta de m'éliminer en me vidant un flacon de
gouttes nasales dans les narines. La tentative ne fut pas renouvelée
et j'y survécus très bien.
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