lundi 5 avril 2021

Musée Grévin

 

 




    Lorsque j'avais cinq ans, l'acte du   parler politiquement correct était bien moins surveillé qu'actuellement et personne n'analysait vos propos ou vos soi-disant dérives lexicales à l'aide de la loupe grossissante de la non discrimination. 

   Du moins ai-je le souvenir d'avoir vécu dans une famille où certains mots n'avaient aucune connotation raciste lorsqu'ils étaient utilisés. 

Mon père adorait le jazz New Orleans et portait aux nues les trompettistes afro-américains. Ma mère, lorsqu'elle parlait d'un noir disait un « nègre » sans pour autant nous inculquer, à ma sœur et à moi, la moindre notion de racisme ou de rejet des autres. Donc les trompettistes « nègres » étaient des gens géniaux et toute la famille les admirait. 

Aucun opprobre n'avait encore été jeté sur des mots tels que "nègre", "juif", "race"...  Parler n'était pas devenu un parcours du combattant et aucun mot n' était ceint d'explosifs prêts à vous éclater dans la bouche. 

 

Cependant ....


    Comme tout enfant, je pouvais être moqueuse et parfois d'une manière peu intelligente. Si je me moquais c'était d'une démarche inhabituelle, d'un chapeau trop coloré, d'une personne maniérée, d'un bouton sur le nez, jamais d'une différence raciale. Il faut dire qu'à l'époque, rencontrer à Mons ou même à Bruxelles un Africain, un Asiatique ou un Groenlandais était rarissime et je n'ai pas souvenir d'avoir jamais été mise en présence d'une personne à peau foncée.   Il ne m'était donc pas difficile de n'être pas raciste....  jusqu'au jour où ...

 

    Lors de l'un de nos séjours annuels à Paris, alors que Franz et Danielle se baguenaudaient au Musée du Jeu de Paume, au Musée de l'Homme ou dans tout autre lieu culturellement hors de ma portée, ma mère m'emmena au Musée Grévin. 

   J'étais naïve et, je l'ai dit, sans connaissances approfondies des différents groupes ethniques hors Europe. En dehors du Tintin au Congo et du Lotus Bleu que j'avais maintes fois parcourus des yeux avant de pouvoir les lire, je n'avais pas grandes informations en ce qui concernait les étrangers et, partant, aucun a priori quant à la texture des cheveux, la forme des nez, l'épaisseur des lèvres ou la couleur de la peau. Le racisme ne flétrissait pas mes pensées.

    La visite du musée se déroula sans problème. Nous allions d'une salle à l'autre, observions des personnages célèbres, admirions les costumes anciens et ma mère expliquait, expliquait, expliquait sans relâche. Jusque là, rien que de très normal : un rien d'intérêt pour l'enfant de cinq ans et une grande satisfaction pour la mère qui transmettait ses connaissances.

    Là où les choses se corsèrent ce fut quand nous arrivâmes dans la dernière salle. Les visiteurs y furent invités à   patienter, à ne plus bouger, une surprise allait leur être offerte.

    Fatiguée, j'avais obtenu de ma mère qu'elle me portât dans ses bras d'où je dominais l'ensemble des personnes présentes. Chaque visage était à portée de mes regards. C'est à ce moment que les lumières s'éteignirent pour ensuite se rallumer, à intervalles réguliers, dans des couleurs différentes.

    La figure de chacun prit d'abord une couleur crayeuse. Les rires fusèrent. La surprise semblait bonne..... sauf pour moi ! Un malaise m'envahit : je ne comprenais évidemment pas la technologie utilisée et le changement de teint me parut réel. La sécurité formée par les bras de ma mère me rassurait mais très peu. La lumière changea, vira au jaune et chaque visage prit un petit air asiatique. Certains visiteurs étirèrent leurs yeux du bout de leurs indexes tout en émettant de petits « ying, yang, ying » aigus mais cela non plus ne me fit pas rire. Un court passage chez les indiens d'Amérique ne me rasséréna pas non plus. L'angoisse montait d'un cran à chaque changement de teinte et quand je baissai les regards vers ma mère et que je la vis toute jaune, puis d'une belle couleur brique, un hoquet d'horreur se coinça dans ma gorge : ce n'était plus ma mère qui me serrait dans les bras mais une étrangère qui avait volé le parfum et les vêtements de celle que j'aimais. 

Le summum de l'horreur fut atteint lorsque la lumière transforma chaque personne présente en Africain ou Africaine. Des visages noir cirage aux dents blanches entrouvertes sur des rires énormes firent chavirer mes pensées :  plus personne n'allait reprendre son aspect premier, nos peaux allaient rester foncées pour l'éternité et j'entrai dans un état de terreur insensée parmi ces sauvages sans scrupules et prêts à me dévorer . Cette couleur fit déborder mon pot de peinture mental et je me mis à hurler à la mort.

    Ma mère, peu préparée à ma réaction, ahurie d'abord, affolée ensuite, se fraya un chemin dans la foule hilare des visiteurs. Nous sortîmes de cet antre diabolique et quittâmes un spectacle, pour moi inhumain. 

Il fallut de longues minutes de paroles rassurantes et la lumière du jour, face à une maman qui avait retrouvé sa bonne couleur de peau rose, pour que j'arrête de pleurer, arrive à reprendre mon souffle et puisse avouer que je ne voulais plus jamais changer de peau ni avoir une mère noire.  

    A l'époque, aucun procès en terrorisme n'avait encore eu lieu et aucune brigades anti-ségrégationnistes ne nous attendait à la sortie du musée. Ce fut une chance réelle car comment aurais-je pu expliquer que la couleur de certains êtres humains m'avait plongée dans un tel état de terreur et de rejet ? Enfant, je venais de tomber dans ce piège du « délit de faciès ».

   

 

 Oui, durant mon enfance,  on pouvait piquer sa crise existentielle en présence de nombreux inconnus, clamer son rejet des couleurs pigmentaires, cela ne gênait pas grand monde en vérité.

    

 Le fascisme hitlérien venait de nous quitter et nous étions loin de nous douter qu'une dangereuse larve, politico-religieuse celle-là, se préparait en douce à effectuer les étapes de ses mutations à travers le monde entier.

Musée Grévin, tremblez, vieux monument,  Allah vous a à l’œil.


Mais peut-être ces personnages  veillent-ils ?  😉

 

(trois photos internet)





 

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