J’en
reviens à mon ami Baptiste
Amusant,
il le resta toujours mais il arriva parfois, et même souvent, que
son tempérament dynamique, pour ne pas dire explosif, prenne le
dessus. L’enfant, incapable de contrôler ce débordement, devenait
alors quasiment ingérable.
Cet
après-midi-là, durant une leçon de travail manuel, la discipline
fut normalement relâchée.
Baptiste
commença à agacer l’un puis l’autre de ses camarades. Il passa
à un troisième puis à un quatrième faisant monter la tension
autour de lui, ce qui l’amusait beaucoup.
J’intervins
plusieurs fois mais sans aucun résultat .
Baptiste
était en train de glisser de l’indiscipline légère à l’esprit
révolutionnaire constructeur de barricades.
Ma
patience disparue, je décidai de prendre le taureau par les cornes
et de porter l’estocade qui consista à exclure Baptiste du cours
durant cette heure de relaxation.
Ma
collègue de la classe voisine avait la réputation de mater toutes
les fortes têtes, de ne jamais s’en laisser compter et de calmer
les crises enfantines les plus vives. Je demandai donc à Baptiste
de ranger son matériel et d’aller passer une heure dans sa classe
Je
l’accompagnai pour expliquer le problème à ma collègue qui
accepta volontiers d’intervenir jusqu’au retour au calme du jeune
cerveau en ébullition.
Mal
lui en prit ! …..
Le
fameux jeune cerveau avait continué à bouillonner durant le temps
de changement de classe et la mise en ordre de son matériel ne lui
avait pas enlevé le désir d’épater la galerie, si j’ose dire.
Après
plus ou moins un quart d’heure, je vis la porte de ma classe
littéralement sortie de ses gonds par une poussée furieuse et même
hystérique…
«
Ton élève, tu le gardes, je ne veux plus jamais le voir dans ma
classe ! » hurla ma collègue. « Plus jamais ! » insista-t-elle en
traînant Baptiste par le col puis en le catapultant dans sa rangée
où il atterrit presque à quatre pattes.
L’explication
arriva, crachée plutôt que narrée : «Il avait des ciseaux dans
sa poche et, comme je l’avais assis près de la patère à laquelle
j’accroche mon manteau, il a commencé à découper la fourrure du
bas du vêtement. Mais qu’est-ce qu’il a dans la tête, ce petit
démon ? ? ?»
«
Plus jamais ! » reprit-elle, après quoi, elle sortit en claquant la
porte avec violence.
Dans
la classe, un silence de mort régna jusqu’à la sonnerie de fin
des cours. Même Baptiste se tint coi...
Deux
tempéraments forts venaient de se heurter et les résultats qui s’en
suivirent furent catastrophiques.
Je
me sentis bouleversée, catastrophée, effondrée. Impossible de
réparer de tels dégâts ! La fourrure cisaillée le resterait
définitivement…..
Honnêtement,
je suis incapable de dire comment se termina cette mésaventure. Le
trou noir du stress probablement .
Cependant,
un souvenir très net me reste : celui de ma collègue arpentant la
cour de récréation lors d’une surveillance, vêtue de son joli
manteau en daim couleur rouille avec l’élégante fourrure plus
claire qui garnissait le col, le bord des manches et le bas du
vêtement. C’était la grande mode à l’époque !
Baptiste
avait-il voulu y ajouter sa touche de jeune styliste ou chercha-t-il
un rien de douceur à garder en poche dans le monde si cruel de cette
école ?
La
question reste ouverte depuis cinquante ans.