samedi 14 février 2015

Souvenirs d'enfance (35) - Cours de dessin (première partie)

  

C'était l'époque où, 
dans mon orthographe personnelle, 
langue et lange 
n'étaient pas trop différenciés ! ! !
     Madame Florian traversait la cour de récréation tout ensoleillée et avançait d'un pas assuré vers notre classe. Elle devait bien apercevoir nos yeux attentifs qui, tournés vers elle, surveillaient par les fenêtres son arrivée imminente mais elle n'en laissait rien paraître. Pas un signe de tête, pas un signe de la main pour indiquer qu'elle nous avait vues, pas un sourire qui nous aurait dit : «Je vous ai retrouvées, ne bougez pas, j'arrive». Cela aurait commencé à renouer des liens qui s'étaient distendus durant les congés d'été. Rien. Elle se dirigeait vers nous pour accomplir sa tâche d'enseignante, sans état d'âme semblait-il.
     Bien sûr, elle n'aurait pu être très démonstrative. Sous le bras gauche, une grande farde verte aux coins renforcés de tissu noir. Dans la main, gauche aussi, un bouquet d'iris. Dans la main droite, son cartable et un sac en toile bise rempli de... nous ne pouvions encore deviner quoi.
     Malgré cette arrivée peu chaleureuse, nos retrouvailles avec Madame Florian allaient être bonnes, je le sentais, je le désirais. D'ailleurs, les fleurs que notre professeur apportait ne présageaient que du bonheur.
      Nous la connaissions, Madame Florian. Elle nous avait enseigné l'Histoire de l'Art en sixième latine. Nous avions été les cobayes sur lesquels elle avait dû tester les nouvelles directives du Ministère durant notre première année d'école moyenne. Histoire de l'Art pour des élèves de douze ans! Une idée dont nombre d'enseignants s'étaient gaussé.
     Personnellement, j'avais bien apprécié ce cours qui m'avait permis de valoriser mes quelques connaissances artistiques et, durant un an, j'avais pris grand plaisir à découvrir les origines de l'art et les œuvres qui, ayant traversé les siècles, étaient arrivées jusqu'à nous pour nous émerveiller. Tout au long de l'année, des photos s'étaient accumulées au tableau noir et nos cahiers s'étaient illustrés des reproductions que nous avions, avec plus ou moins de réussite, tenté de copier. En somme, un bonne année pour ce cours d'initiation à l'art de nos ancêtres.
     Un bruit de pas dans le couloir puis la porte s'ouvrit enfin. Madame Florian entra, traversa la classe en ayant soin de ne pas renverser nos cartables parfois si mal accrochés et se dirigea vers son bureau pour y déposer sa grande farde verte, son sac en toile et son bouquet d'iris. Debout derrière nos chaises, nous attendions le signal amical qui permettrait à la classe de reprendre vie.
     Jusqu'à ce moment, nous ne savions qu'une chose : toutes les semaines, durant deux heures, cette enseignante ferait face à notre classe. Son corps imposant,  plantureux, de femme mûre envahirait notre espace de jeunes écervelées; sa voix assez basse, un peu rauque, nous ramènerait à l'ordre sans grand effort; seuls ses yeux sombres et humides qui lui donnaient un regard voilé et adoucissaient l'ensemble de son visage apporteraient le contact que nous attendions.
     Elle nous salua enfin, nous pria de nous asseoir et, afin de clôturer les prémices de cette première rencontre, elle prit le registre des présences et commença l'énumération des noms de famille. Nous jaugeant du regard, elle semblait prendre la mesure des changements survenus en chacune d'entre nous durant les vacances avant de passer au nom suivant. Parfois, elle marquait un temps d'arrêt comme si le souvenir brusque d'une sœur aînée venait lui remettre en mémoire qu'avec cette famille-là, elle rencontrerait peut-être quelques difficultés.
      Mon nom arriva enfin, elle le prononça puis demanda : «C'est votre sœur qui a entrepris des études de dessin ?» Je répondis que oui, toute fière d'être remarquée plus qu'aucune autre et certaine, dès lors, d'avoir une alliée compréhensive dans la place.
     Dès ce moment, je voulus faire confiance à ce professeur. J'aimais le dessin, il n'y avait donc aucune raison pour que je ne l'aime pas, elle, qui allait m'apporter tant de plaisir par son enseignement.

    Hélas! L'euphorie fut de courte durée. A notre demande d'installer les iris dans un vase pour le cours qui allait suivre, Madame Florian répondit que ce n'était pas la peine, que ces fleurs ne nous étaient pas destinées. Prenant alors le bouquet d'une main ferme, elle alla le déposer dans le seau d'eau situé au coin de l'estrade et qui servait d'habitude à rincer l'éponge du tableau. Nous comprîmes que, pauvres débutantes de cinquième latine, nous aurions droit à un tête-à-tête mortel avec un prisme à base carrée qui venait de surgir du fameux sac en toile.....


Et ainsi, des prismes multiples défilèrent,  mois après mois,
pour assombrir de nombreux   cours de dessin
(à suivre)

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