C'était l'époque où,
dans mon orthographe personnelle, langue et lange n'étaient pas trop différenciés ! ! ! |
Bien
sûr, elle n'aurait pu être très démonstrative. Sous le bras
gauche, une grande farde verte aux coins renforcés de tissu noir.
Dans la main, gauche aussi, un bouquet d'iris. Dans la main droite,
son cartable et un sac en toile bise rempli de... nous ne pouvions
encore deviner quoi.
Malgré
cette arrivée peu chaleureuse, nos retrouvailles avec Madame Florian
allaient être bonnes, je le sentais, je le désirais. D'ailleurs,
les fleurs que notre professeur apportait ne présageaient que du
bonheur.
Nous
la connaissions, Madame Florian. Elle nous avait enseigné
l'Histoire de l'Art en sixième latine. Nous avions été les
cobayes sur lesquels elle avait dû tester les nouvelles directives
du Ministère durant notre première année d'école moyenne.
Histoire de l'Art pour des élèves de douze ans! Une idée dont
nombre d'enseignants s'étaient gaussé.
Personnellement,
j'avais bien apprécié ce cours qui m'avait permis de valoriser mes
quelques connaissances artistiques et, durant un an, j'avais pris
grand plaisir à découvrir les origines de l'art et les œuvres qui,
ayant traversé les siècles, étaient arrivées jusqu'à nous pour
nous émerveiller. Tout au long de l'année, des photos s'étaient
accumulées au tableau noir et nos cahiers s'étaient illustrés des
reproductions que nous avions, avec plus ou moins de réussite, tenté
de copier. En somme, un bonne année pour ce cours d'initiation à
l'art de nos ancêtres.
Un
bruit de pas dans le couloir puis la porte s'ouvrit enfin. Madame
Florian entra, traversa la classe en ayant soin de ne pas renverser
nos cartables parfois si mal accrochés et se dirigea vers son bureau
pour y déposer sa grande farde verte, son sac en toile et son
bouquet d'iris. Debout derrière nos chaises, nous attendions le
signal amical qui permettrait à la classe de reprendre vie.
Jusqu'à
ce moment, nous ne savions qu'une chose : toutes les semaines, durant
deux heures, cette enseignante ferait face à notre classe. Son
corps imposant, plantureux, de femme mûre
envahirait notre espace de jeunes écervelées; sa voix assez basse,
un peu rauque, nous ramènerait à l'ordre sans grand effort; seuls
ses yeux sombres et humides qui lui donnaient un regard voilé et
adoucissaient l'ensemble de son visage apporteraient le contact que
nous attendions.
Elle
nous salua enfin, nous pria de nous asseoir et, afin de clôturer les
prémices de cette première rencontre, elle prit le registre des
présences et commença l'énumération des noms de famille. Nous
jaugeant du regard, elle semblait prendre la mesure des changements
survenus en chacune d'entre nous durant les vacances avant de passer
au nom suivant. Parfois, elle marquait un temps d'arrêt comme si le
souvenir brusque d'une sœur aînée venait lui remettre en mémoire
qu'avec cette famille-là, elle rencontrerait peut-être quelques
difficultés.
Mon
nom arriva enfin, elle le prononça puis demanda : «C'est votre sœur
qui a entrepris des études de dessin ?» Je répondis que oui, toute
fière d'être remarquée plus qu'aucune autre et certaine, dès
lors, d'avoir une alliée compréhensive dans la place.
Dès
ce moment, je voulus faire confiance à ce professeur. J'aimais le
dessin, il n'y avait donc aucune raison pour que je ne l'aime pas,
elle, qui allait m'apporter tant de plaisir par son enseignement.
Hélas!
L'euphorie fut de courte durée. A notre demande d'installer les
iris dans un vase pour le cours qui allait suivre, Madame Florian répondit que ce
n'était pas la peine, que ces fleurs ne nous étaient pas destinées. Prenant alors le bouquet d'une main ferme, elle alla le déposer dans
le seau d'eau situé au coin de l'estrade et qui servait d'habitude à
rincer l'éponge du tableau. Nous comprîmes que, pauvres
débutantes de cinquième latine, nous aurions droit à un
tête-à-tête mortel avec un prisme à base carrée qui venait de
surgir du fameux sac en toile.....
(à suivre)
Et ainsi, des prismes multiples défilèrent, mois après mois,
pour assombrir de nombreux cours de dessin
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