mercredi 4 mars 2020

Le pendule de mon grand-père et le mouchoir de ma grand-mère...




Le pendule de mon grand-père
 

et le mouchoir de ma grand-mère...

  


Influencé par son ami «le Grand Ernest», coiffeur du quartier de Wasmuel à Quaregnon (juste pour situer), mon grand-père, dès son retour de Russie, devint rapidement accro à la radiesthésie.


On pourrait se poser une question : à savoir «comment un chimiste de formation, donc scientifique, put-il tomber dans cette forme d’analyse de quelques composantes concrètes de la vie à l’aide d’un pendule, outil de ce que certains nomment une pseudoscience».


Durant de longues années et jusqu’à sa mort, j’ai connu mon aïeul ayant quasi en permanence un pendule à portée de main. Que Gaston soit à la maison ou en sortie, le pendule, fidèle compagnon, l’accompagnait. Honnêtement, en ville, je ne sais quand il s’en servait… avec les amis ou connaissances rencontrés en rue je suppose. 







A la maison, c’était à l’heure des repas que le pendule faisait sa principale apparition au suprême énervement de ma grand-mère. Malgré une énorme dose de bonne volonté et de compréhension vis à vis des phobies de son époux, Alexandra ne parvint jamais à accorder une entière confiance à ce petit balancier.
Du potage au dessert, chaque plat était scruté, mentalement soupesé, et au final passé au crible de la radiesthésie. Même la gamelle des chiens était analysée si besoin était. En ces années bénies de non consommation, point de croquettes. Seuls les restes des repas étaient destinés à nourrir les poilus de la famille.

Alors que mon grand-père, selon les mœurs de l’époque, faisait lui-même tous les achats concernant la nourriture quotidienne (en laquelle il devait donc avoir foi) , cette manie du pendule, vexatoire il faut le dire, ressurgissait trois fois par jour : déjeuner, dîner, souper.
Suivant que le petit cylindre en cuivre tournait comme un derviche ou effectuait un oscillement latéral, la nourriture était jugée saine ou présentant un problème. Et plus certains mouvements pendulaires étaient accentués, plus la méfiance s’installait dans l’esprit de l’ancien chimiste.
Parfois ma grand-mère, exaspérée, lui disait : «Gaston, c’est ta main qui tourne. C’est toi qui donne le mouvement au pendule !» 
Là, c’était la réflexion qui tuait et qui était loin de plaire à son époux. Il se rebiffait aussitôt, niant toute influence de la main porteuse. 
Petite agression verbale qui pimentait le quotidien du couple en fin de parcours... 
Il faut reconnaître que, dans les années 70, l’âge avancé de cette main lui avait ôté, en grande partie, la stabilité de la jeunesse et qu’il était donc devenu difficile de lui accorder crédit. C’était bien souvent elle qui tremblotait, faisant tourner le pendule. 
Mais cela, Gaston ne l’admit jamais.


De temps à autre, lorsque j’entrais dans son bureau, je trouvais mon grand-père penché sur une série de fioles contenant des produits chimiques, occupé à doser des mélanges énigmatiques qui, après finition, étaient soumis au test du pendule. Ce dernier aidait alors Gaston à confirmer ou infirmer la réussite du travail entrepris. 
Que devenaient ces préparations par la suite et à qui étaient-elles destinées ? Je n’en ai jamais rien su….
Pure supposition de ma part, elles devaient être offertes à des amis ou connaissances souffrant de rhumes, de démangeaisons saisonnières ou autres mini-maladies.
Une chose est certaine, grâce à l’aide de son pendule, certains diront grâce à l’aide de Dieu, Gaston ne tua jamais aucun citoyen de la ville. Dans le cas contraire, nous en aurions probablement entendu parler.
 
Heureux Gaston qui s’employa jusqu’à la fin de sa vie, avec un sérieux incroyable, à sauver les habitants de sa rue ou de son quartier des miasmes traînant toujours dans nos régions anciennement marécageuses.
 
Ma grand-mère pouvait bien être moqueuse vis-à-vis des manies de son mari elle qui, dès mon plus jeune âge, m’apprit à nouer un mouchoir autour d’un pied de table et, en même temps, à prier Saint Antoine… pour retrouver un objet égaré. 
Accepter le balancement d’un pendule au-dessus de ses purées, carottes ou côtelettes, NON ! Le mouchoir au pied de table, OUI ! 



J’ai toujours adoré passer mes vacances chez mes grands-parents…




Dans leur couple, Gaston le Chimiste, sous ses airs austères et bougons, restait capable de rêver aux merveilleux progrès que la radiesthésie ferait accomplir à l’humanité tandis qu’Alexandra, poétesse de cœur et croyante fidèle, faisait preuve d’un «pragmatisme» religieux tout aussi incroyable. 
Et personne n’avait encore dit : «C’est un petit pas pour l’Homme, un grand pas pour l’humanité»


A l’heure actuelle, toutes ces techniques longuement réfléchies et expérimentées sont perdues pour les générations qui me succèdent. Qui pourrait encore nouer un mouchoir en papier à un pied de table ou qui oserait, dans une grande surface, analyser un morceau de poisson ou un saucisson à l’aide de son pendule ? 









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