jeudi 1 octobre 2020

Ma Provence (1)

 

 

Automne sur l'Aygues


  

 

   Comme un immense serpent, gras, repu de toute les pluies de l'automne, l'Aygues s'est étalée dans le paysage doré de l'arrière saison. Tantôt liquide d'un calme sournois, tantôt chevelure tumultueuse, elle grignote les rives de sa vie, insouciante des conséquences futures de leur effondrement.

    Quelques îles, apparues avec la montée des eaux, forment les écailles immobiles de ce dos mouvant, argenté, moiré des multiples éclats solaires venus se briser à sa surface.

    Le Mistral la pousse de toutes ses forces mais l'Aygues n'a nul besoin de cette aide qui voudrait imposer sa propre volonté. L'eau sait où elle va, où elle veut aller, quel sera son destin. Parfois, elle est pressée d'offrir sa fraîcheur au Rhône, d'autres fois, elle ralentit sa course, désireuse de garder encore une liberté chère et va se blottir dans des anses bordées de canisses, de cyprès ou de peupliers morts, arrachés par ses assauts précédents.

 

 

 

    Ah ! Ces arbres couchés, chenus, blanchis sous ses flots comme ils la font bien rire ! Et son ressac marque ses moqueries. Eux, si fiers dans leur maturité épanouie, tendaient alors leurs milliers de fines branches vers le ciel afin de mieux s'y agripper. Pour émerveiller les oiseaux, ils bruissaient sans interruption de leurs feuilles d'un velours vert amande et leur offraient un refuge pour mieux leur dérober ces perles de vocalises légères qui les paraient dans leurs journalières dévotions au soleil. Et bien, les voilà, ces splendides estocs du temps jadis, couchés aujourd'hui dans la vase, les bras allongés sur les galets pour s'y accrocher une dernière fois avant d'être emportés par un fougueux sursaut du courant imprévisible

    L'Aygues coule, passe, indifférente au Mistral qui par bonds et par claques aimerait recevoir un peu plus de respect de cette rivière si peu attentive à sa force de vieux briscard. Il s'emploie à le faire savoir, secouant chaque arbre de ses charges furieuses, ployant les canisses qui s'inclinent avec souplesse devant ce dieu fou avant de se redresser en un bruissement moqueur.

    En véritable parangon de la démesure, dans un rebond inattendu, le vent enjambe les haies de cyprès et décharge sa hargne sur les vignes environnantes. Les doigts crochus dressés vers les nuages, celles-ci résistent, imperturbables. Ce dément du jour ne leur fera pas plier l'échine.

    Le maître des plaines provençales repart alors vers la rivière, crêpe l'onde d'innombrables vaguelettes irisées qui n'attendent qu'une accalmie pour s'aplanir et disparaître au sein de la masse liquide.

 

 

 

    A chaque arrêt du souffle insolent, les peupliers de la rive, encouragés par la chaleur du soleil, exhalent leur dépit en de longues senteurs tièdes et amères qui enveloppent le paysage, si douces à respirer mais si vite balayées par un nouveau coup de boutoir d'un Mistral de plus en plus enragé.

    On ne sait qui de l'eau ou du vent aura le dernier mot. Les deux forces en présence s'observeront encore longtemps, se jaugeront, s'accompagneront jusqu'au fleuve qui les attend. Parfois se caressant, parfois se hérissant mais toujours compagnons enlacés et entraînés vers un même but, le retour à la mer.

 

 

Janvier 2014

 

 

 

 

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