"L'Histoire est un mensonge que personne ne conteste"
Film "Monsier N"
Le point de vue de Léon Tolstoï concernant la retraite de Russie et le passage de la Bérézina.
Suivant que vous lirez le récit des guerres de Russie fait par un Français ou fait par un Russe, les points de vue seront totalement différents !
Les Français prétendent à une victoire de Napoléon (ce grand homme !😲) tandis que les Russes parlent de la défaite d'un homme peu recommandable ...
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" ... S'étant engouffrés dans Smolensk qui leur apparaissait comme la terre promise, les Français s'entre-tuèrent en s'arrachant les vivres, pillèrent leurs propres magasins et, quand tout fut pillé, s'enfuirent plus loin.
Tous marchaient sans savoir où ils allaient ni pourquoi. Moins que tous le savait Napoléon, lui et son entourage continuaient de suivre leurs vieilles habitudes : on rédigeait des instructions, des lettres, des rapports, des ordres du jour ; on se traitait de "Sire, Mon Cousin, Prince d'Eckmühl, Roi de Naples", etc. Mais ordres et rapports n'existaient que sur le papier car ils étaient inexécutables, et malgré les titres de Majesté et d'Altesse et de cousins qu'ils se donnaient, ils sentaient tous qu'ils étaient des hommes pitoyables et vils qui avaient fait beaucoup de mal pour lequel ils devaient maintenant payer. Et tous en affectant de s'occuper de l'armée, chacun ne pensait qu'à soi, à la possibilité de s'en aller et de sauver sa peau au plus vite."
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... les Français fuyaient en s'étirant et en laissant derrière eux des intervalles de vingt-quatre heures de marche. En tête de tous fuyait l'empereur, puis les rois, puis les ducs.
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Découvrant l'ennemi à l'improviste, les Français perdirent leur sang-froid, s'arrêtèrent, saisis d'une panique soudaine, mais ensuite reprirent leur fuite, abandonnant leurs camarades qui les suivaient. ... Ils s'abandonnèrent les uns les autres, abandonnèrent tous leurs bagages, l'artillerie, la moitié des hommes, et ils s'enfuyaient en contournant les Russes, de nuit seulement, sur la droite.
Ney, qui fermait la marche parce que (en dépit de leur malheureuse situation, ou précisément à cause d'elle, ils avaient envie de punir le plancher sur lequel ils s'étaient fait mal en tombant) il s'était attardé à faire sauter les murs de Smolensk qui ne gênaient personne, Ney, qui fermait la marche avec son corps de dix mille hommes, accourut à Orcha auprès de Napoléon avec mille hommes seulement, après avoir abandonné ses troupes et ses canons et s'être faufilé en tapinois, la nuit, à travers bois pour franchir le Dnieper.
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A la Bérézina, de nouveau, ce fut le désarroi; beaucoup se noyèrent, beaucoup se rendirent, mais ceux qui avaient pu traverser la rivière reprirent leur course en avant.
Leur chef suprême endossa une pelisse et montant dans un traîneau, partit seul à fond de train, abandonnant ses compagnons. Ceux qui le purent partirent aussi, ceux qui ne le purent pas se rendirent ou moururent.
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Il semblerait que précisément pour cette fuite des Français, alors qu'ils faisaient tout ce qui pouvait les perdre, alors qu'aucun des mouvements de cette foule, depuis le détour sur la route de Kalouga jusqu'à la fuite du chef de l'armée, n'avait le moindre sens - il semblerait que, pour cette période de la campagne tout au moins, il est impossible aux historiens qui attribuent l'action des masses à la volonté d'un seul homme, de rester fidèle à leurs conceptions en décrivant cette retraite. Mais non. Des montagnes de livres ont été écrits par des historiens sur cette campagne et partout on fait valoir les ordres de Napoléon et la profondeur de ses plans, les manœuvres de son armée et les directives géniales de ses maréchaux.
La retraite à partir de Malo Iaroslavetz, alors qu'on lui laisse l'accès libre vers une contrée aux ressources abondantes et que lui est ouverte cette route parallèle par laquelle Koutouzov le poursuivit plus tard, cette retraite inutile le long d'une route dévastée nous est expliquée par diverses considérations profondes. C'est sur la foi de considérations tout aussi profondes qu'on nous décrit sa retraite de Smolensk à Orcha. Puis on nous décrit son héroïsme à Krasnoïe où, dit-on, il se prépare à accepter la bataille et à la diriger lui-même, et où il se promène avec un bâton de bouleau et dit :
-- J'ai assez fait l'empereur, il est temps de faire le général, et malgré cela, aussitôt après, il reprend sa fuite en abandonnant à leur sort les fragments disloqués de son armée qui se trouve derrière lui.
Puis on nous décrit la grandeur d'âme des maréchaux, surtout celle de Ney, grandeur d'âme qui consista à faire la nuit un détour par la forêt pour franchir le Dnieper et à accourir à Orcha sans drapeaux, sans artillerie et sans les neuf dixièmes de ses hommes.
Et enfin l'ultime départ du grand empereur quittant son héroïque armée nous est représenté par les historiens comme un trait de grandeur et de génie. Même ce dernier acte, la fuite, qui, dans le langage humain, s'appelle la dernière des infamies, cet acte dont on apprend à chaque enfant à avoir honte, trouve aussi sa justification dans le langage des historiens.
Lorsqu'il n'est plus possible de tendre davantage le fil si élastique des raisonnements historiques, lorsque l'acte est en opposition par trop flagrante avec tout ce que l'humanité nomme le bien et même la justice, les historiens font appel à la notion de la grandeur qui sauve tout. La grandeur semble exclure le critère du bien et du mal. Pour celui qui est grand il n'est pas de mal. Il n'est aucune horreur qui puisse être imputée à crime à celui qui est grand.
"C'est grand !" disent les historiens et, dès lors, il n'y a plus ni bien ni mal, il y a ce qui est grand et ce qui n'est pas grand. Ce qui est grand est bien, ce qui n'est pas grand est mal. Être grand c'est, d'après eux, le propre de ces êtres d'exception qu'ils appellent des héros. Et Napoléon s'enfuyant dans sa chaude pelisse pour rentrer chez lui en abandonnant à leur perte non seulement ses compagnons mais (de son propre aveu) des hommes qu'il a entraîné là, sent que c'est grand et son âme est en paix.
"Du sublime (il voit quelque chose de sublime en lui-même) au ridicule il n'y a qu'un pas", dit-il. Et le monde entier répète pendant cinquante ans : Sublime ! Grand ! Napoléon le grand ! Du sublime au ridicule il n'y a qu'un pas.
Et il ne vient à l'idée de personne que reconnaître pour grand ce qui échappe à la mesure du bien et du mal, c'est seulement reconnaître son propre néant et son incommensurable petitesse.
Pour nous à qui le Christ a donné la mesure du bien et du mal, rien ne peut échapper à cette mesure. Et il n'est pas de grandeur là où il n'y a pas de simplicité, de bonté et de vérité.
LA GUERRE ET LA PAIX Léon Tolstoï
Traduction par Elisabeth Guertik
Tome quatrième - Troisième partie -
Chapitres 16, 17 et 18
Toutes les images sont extraites des deux vidéos ci-dessous
BILAN
Au départ : 600 000 soldats
Soldats rescapés avant l'hiver : 150 000
Morts : 200 000
Prisonniers : 200 000
Décembre 1812, lors de la retraversée du Niémen : il reste
30 000 hommes...
https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/articles/la-retraite-de-russie/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Retraite_de_Russie
http://www.histoire-en-questions.fr/premier-empire/retraite-russie-temoignage.html
http://www.histoire-en-questions.fr/premier-empire/retraite-russie-berezina.html
💗💗💗 https://www.youtube.com/watch?v=PnbzSP7YRWU
💗💗💗 https://www.youtube.com/watch?v=OSMmHDDxq-o&list=RDCMUCqMMC5g3WBuc3LmxIgqIsRw&index=2
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