"Sois gentil, mon petit, fais un sourire à la dame" |
mercredi 27 février 2013
mardi 26 février 2013
samedi 23 février 2013
Les histoires d'Alexandra (1)
Canards
à l'eau de vie
Le
printemps, bien entamé déjà, avait vu fleurir les cerisiers du
verger. Des pinceaux d'étamines légères formaient de minuscules
couronnes dorées au centre des fleurs qui, semblables à une neige
de vie déposée sur les branches, s'étaient épanouies en bouquets
arrondis, prometteurs d'une belle récolte.
Peu
à peu, les pétales, fatigués de se chauffer au doux soleil de
Crimée, avaient fini par étoiler l'herbe des pelouses, cédant la
place à une multitude de petites drupes vertes qui, au fil des jours
puis des semaines, passèrent du rose tendre au rouge incarnat pour
enfin atteindre ce bordeaux brillant, signe d'une maturité parfaite.
Lors
de ses promenades quotidiennes, Nioura Prokhoroff surveillait
l'évolution de chaque fruit du verger. Le corsage de dentelle
légèrement blousant, la longue jupe blanche balayant l'herbe, elle
évoluait entre les arbres, passant de l'un à l'autre, portée par
le vent tiède. Elle avançait, tête levée, regard attentif,
comparant les fruits de tel arbre avec ceux de tel autre. Un bon
ensoleillement avait-il favorisé les cerisiers du fond du domaine ?
Cette greffe apporterait-elle une meilleure récolte dans les années
à venir ? Et les merles, oiseaux détestés par les amateurs de
fruits rouges et charnus, n'avaient-ils pas trop abusé de cette
provende si gracieusement fournie ? Rien n'échappait à sa
vigilance.
Un
matin, la couleur, la grosseur et le goût des cerises lui
annoncèrent que la période de la cueillette était arrivée. Aussi
appela-t-elle le jardinier, prit courtoisement son avis et tous deux
décidèrent du jour de la récolte.
Comme
chaque année, une partie des cerises allait être consacrée à la
fabrication d'un alcool dont la maîtresse de maison gardait le
secret avec jalousie. Mais avant tout, il fallait vérifier l'état
des tonnelets encore disponibles pour recevoir l'eau-de-vie nouvelle.
Elle partit donc inspecter les réserves familiales et constata, qu'à
ce jour, aucun récipient ne se trouvait vide. Par chance, deux
petits fûts des récoltes précédentes avaient été entamés
simultanément et n'en faire qu'un seul en réunissant le contenu des
deux ne présenterait aucune difficulté.
Décision
prise, ordre donné. Nioura fit venir un domestique et lui expliqua
la nécessité de récupérer l'un des petits tonneaux puis le
chargea du travail. L'homme, chapska en main, avait écouté les
explications d'une oreille distraite et avait retenu deux mots
seulement : tonnelet et vider.
Désireux
de faire plaisir à sa barynia, il prit donc l'un des tonnelets sous
le bras, le transporta jusqu'à la ferme jouxtant la demeure
familiale et le déposa au centre de la cour, près du tas de fumier.
Puis, sans aucun remord, il vida les fruits gorgés d'alcool au
sommet du monceau peu odorant.
Ces
cerises perdues ne le furent pas pour tout le monde. Rondes,
luisantes, appétissantes à souhait, elles trônaient en un beau tas
brillant, comme cerises sur le gâteau. Les mille rayons du soleil
matinal vinrent se réverbérer sur les petits fruits juteux offerts
à la convoitise
d'une
escouade de canards paradant ce matin-là dans la cour.
Les
reflets rouges des fruits allumèrent une étincelle de concupiscence
dans les yeux de tous ces volatiles. Le dandinement des oiseaux se
transforma en course au trésor : ailes déployées, palmes moulinant
à qui mieux mieux, ce fut la ruée. Le tas de fumier ne fut plus, en
quelques secondes, qu'un amas d'ailes moirées, de croupions dressés
et de becs gourmands. Et je t'en attrape une et je t'en engloutis
trois et je m'étouffe faute de pouvoir en faire passer tant à la
fois. Ce fut une kermesse de can-can, de coin-coin, de gloup-gloup,
chaque canard se goinfrant jusqu'à plus soif et jusqu'à plus faim.
Las,
tout bonheur a une fin. Alourdis par un estomac plus que repus, les
canards commencèrent à se retirer du tas de fumier. L'œil vitreux,
la tête planant dans les vapeurs de Bacchus, la palme instable, ils
s'effondrèrent les uns après les autres aux quatre coins de la
cour, qui sur le ventre, les ailes éployées, le croupion avachi,
qui sur le dos, les pattes en l'air, qui encore sur le flanc, le bec
entrouvert sur un dernier hoquet alcoolisé. Le ridicule ne tue pas,
dit-on, mais, dans ce cas-ci, il faillit tuer une bonne partie de la
basse-cour familiale.
(à suivre)
jeudi 21 février 2013
mercredi 20 février 2013
lundi 18 février 2013
Le rouge-gorge
Une visite de semi-courtoisie, ce matin.
Sans aucune frayeur, le petit rouge-gorge m'a fixée d'un regard accusateur.
"Et quoi ? Plus de nourriture dans cette mangeoire ? Négligence ou étourderie ?"
Incroyable ! Il m'a laissé approcher suffisamment pour que je puisse faire ce cliché.
Ce sera ma plus belle photo de la journée.
(lundi , 18 février 2013)
dimanche 17 février 2013
Les yeux de la forêt (4)
Forêt des châtaigniers - Châteauneuf de Bordette (17 février 2013)
Derrière chaque arbre, une surveillance discrète.
Cette forêt est peuplée d'êtres silencieux, immobiles, attentifs.
N'allez pas y cueillir une fleur ou y casser une branche. A la seconde même, une pierre roulera sous vos pieds, une mousse deviendra glissante, une souche ancienne surgira de nulle part pour vous heurter le genou et vous faire tomber.
Sereine votre promenade ? Oui, si vous respectez chaque brindille, chaque feuille, chaque chant d'oiseau.
samedi 16 février 2013
Souvenirs d'enfance (7) Dans les bois
Dans
les bois
Crédit photo : Fond d'écran HP
En
quittant l'allée qui menait chez les Marbaix, sur la gauche des
bois, nous nous enfoncions dans une zone assez touffue. Fougères,
ronces et taillis de noisetiers se mélangeaient là allègrement.
Une
cinquantaine de mètres d'avancée sauvage nous amenait près d'une
grotte située au bord d'un étang. Construite de main d'homme,
faite d'épais silex assemblés par un mortier grossier, cette
grotte n'avait rien de bien esthétique. La nature aurait fait
mieux.
Nul
n'aurait pu dire à qui cet assemblage de gros silex avait été
dédié. Des amours romantiques s'y étaient-ils abrités ? Des
amants fous y avaient-ils caché leurs ébats ? Une croyance
maladive y avait-elle placé une vierge bleue ou une quelconque
sainte disparue aujourd'hui ? Mystère.
Il
est vrai que le mystère régnait là. Ce lieu, abandonné depuis
belle lurette, était alors envahi par une végétation luxuriante.
Épaisse chevelure de lierre, fougères scolopendres, et ronces
sournoises avaient pris d'assaut les pierres, leur apportant ce vert
glauque et cette atmosphère lugubre des lieux humides et sombre.
Je
ne sais pour ma sœur, mais, personnellement, je me méfiais de cet
endroit dans lequel notre imagination débridée avait situé la mort
d'une belle inconnue et, même quand le soleil chaleureux de l'été
chauffait le cœur du bois, il y flottait un voile de tristesse.
C'était toujours avec précaution que je m'y rendais.
Une
mélancolie latente s'étendait aussi à l'étang qui, lui-même
repris par la nature dominante, ne respirait plus qu'entre quelques
trouées de roseaux, d'iris jaunes et de lentilles d'eau.
Le
danger était là, bien présent. L'humus humide du sol et l'étang
se confondaient en nombre d'endroits et il fallait une attention
soutenue pour ne pas quitter l'un et se perdre dans l'autre.
Cependant,
la beauté des iris et le brun velouté des massettes étaient trop
attirants pour que nous y résistions longtemps. De temps à autre,
nous nous en approchions dans l'espoir d'y cueillir un haut bouquet
soufre et chocolat. Le plus souvent, nous ne pouvions atteindre que
les myosotis bleus qui, eux, n'avaient pas eu l'intelligence
d'enfoncer leurs racines assez loin du bord de l'étang pour s'y
protéger de nos mains destructrices.
Parfois,
alertées par le craquement lointain de branches sèches, quittant à
toute vitesse le bord de l'étang, nous montions sur le toit de la
grotte pour nous aplatir au milieu des lierres et des herbes hautes :
le garde forestier arrivait. A ses oreilles entraînées à
reconnaître le moindre bruit de son domaine, nos bavardages et nos
rires d'enfants n'avaient pu échapper. Il détestait nous
rencontrer, divaguant de droite et de gauche, effrayant son gibier ou
maraudant sous les pommiers privés. Mais surtout, conscient du
danger de l'étang, il ne tolérait pas nous y trouver.
Il
arrivait que, trop affairées à la surveillance des têtards ou des
grenouilles, nous ne l'entendions pas venir et c'était alors
l'engueulade assurée. D'autre fois, lorsque notre attention n'avait
pas été prise en défaut, couchées en hauteur, nous ne bougions
plus. Il passait, tournait autour de la grotte, s'arrêtait,
attentif au moindre bruit, longeait le bord de l'étang puis
s'éloignait, certain que nous nous trouvions dans les environs
proches. Il nous cherchait au sol, nous étions en hauteur. Après
son passage, nous redescendions silencieusement par les silex qui, à
l'arrière de la grotte, formaient une pente plus douce. Après quoi,
prenant nos jambes à notre cou, nous rejoignions l'allée principale
où, si le temps ne nous était pas compté, ma sœur organisait une
incursion dans une autre partie du bois ou dans le parc de l'une des
propriétés privées incrustées dans nos terrains de liberté.
Crédit
photo : inconnu
Le
groupe des coureurs des bois : à l'extrême gauche, Danielle
Moreau, à l'extrême droite, Odette Blomart, au
centre Anne Moreau. L'aîné du groupe, Henri Jouveneau (?) et les
sœurs d'Henri. Notre chien Boy faisait souvent partie des aventures
vendredi 15 février 2013
jeudi 14 février 2013
lundi 11 février 2013
dimanche 10 février 2013
Après l'orage... l'Ouvèze en folie
samedi 9 février 2013
jeudi 7 février 2013
Les yeux de la forêt (3)
Forêt des châtaigniers - Châteauneuf de Bordette (août 2012)
Un matin, nous nous lèverons et, dans notre salle de bain,
voilà ce que notre miroir nous renverra comme image.
Nous pourrons alors lever les bras en signe de joie et crier :
"MERCI MON SAN TO , MERCI POUR MA SANTE"
m.....ci pour ma beauté, m....ci pour une si belle mort, m... , m... , m..."
mercredi 6 février 2013
Les yeux de la forêt (1) et (2)
Photo : Anne Moreau
Photo : Danielle Moreau
Forêt des châtaigniers - Châteauneuf de Bordette (mars 2012)
Souvenirs d'enfance (6) "La petite sait lire"
« La petite sait lire ! »
Aussi stupide que puisse paraître, actuellement, le syllabaire que j'utilisais à six ans pour apprendre à lire, il provoquait chez moi un pur enchantement chaque fois que je l'ouvrais. Ma sœur m'avait offert l'accès à la lecture par le jeu et, ce fut l'un des plus beaux cadeaux reçu dans mon jeune âge.
L'utilisation
de la couleur rouge pour chaque nouvelle lettre ou chaque son nouveau
apportait une grande facilité à cet apprentissage et, au fur et à
mesure que les jours puis les semaines passèrent, je découvris
avec horreur que «le lapin
de Firmin»
allait passer à la casserole, avec tristesse que «Yves
était myope»
ou avec émerveillement que «les œufs de Pâques étaient garnis
d'un nœud rose».
Tout
cela était d'une grande simplicité mais aussi d'une extrême
efficacité et, grâce à ces deux qualités de la méthode de
lecture utilisée par ma sœur,
j'appris à lire dans la joie et l'amusement.
Parfois, l'exercice était trop difficile et je devais retourner aux
renseignements dans la cuisine où ma mère officiait. Il arrivait
que, affairée autour de ses fourneaux, elle fût énervée par mes
allers et retours répétés, il fallait alors attendre l'arrivée de
Danielle pour approfondir les connaissances. Dans cette attente, je
revenais à des textes plus faciles et leur fixation se faisait sans
douleur.
Un
jour, mon père, passant près de moi dans la salle à manger,
s'intéressa à mon activité du moment. Je déchiffrais le fameux
syllabaire que nous utilisions chaque fois que nous jouions «à
l'école».
Peut-être
crut-il que je faisais semblant de lire pour imiter les adultes de la
famille et cela l'amusa jusqu'à ce qu'il réalisa que je lisais
réellement : «Annie
va à Ninove. A Ninove Annie a vu une avenue».
Rarement,
mes activités avaient éveillé une attention soutenue chez mes
parents. Dans leur esprit, je n'étais pas censée pouvoir lire,
n'allant quasi jamais à l'école et, lorsque, ce jour-là, mon père
voulut vérifier s'il avait la berlue ou pas, il resta abasourdi par
la confirmation de sa découverte. Il posa devant moi , sur la
grande table brune de la salle à manger, la méthode de lecture
Thiry, me fit lire à voix haute et constata que mon activité était
réalité et non simulation.
«
La petite sait lire ! »
Cette exclamation résonna jusqu'à la cuisine où elle atteignit
les oreilles de ma mère qui arriva aux nouvelles. Il était assez
inhabituel que mon père élevât la voix et cette animation vocale
méritait peut-être le déplacement. Elle fut bien sûr étonnée
de constater qu'elle s'était dérangée pour si peu. La petite
savait lire : "Eh bien oui ! Quoi ?" cela faisait des semaines que je
déboulais régulièrement dans son antre culinaire pour quémander
l'un ou l'autre renseignement. Elle était au courant depuis
longtemps mais n'avait pas accordé grand intérêt à cette
évolution intellectuelle. Allons, rien n'obligeait à en faire une
histoire d'état ! Elle acquiesça avec la patience de l'adulte face
à ses enfants turbulents puis retourna à ses cuissons.
«
La petite sait lire ! » Pour moi, par contre, ce cri résonne
encore à mes oreilles tant il fut lancé avec force et
l'ahurissement premier n'eut d'égal que l'émerveillement qui le
suivit. Ce second sentiment m'imprégna d'une noble fierté durant
de longues heures et me fit comprendre à quel point la lecture
pouvait être importante dans une vie. De plus.... pour cet
apprentissage...il n'avait pas fallu de longues heures de souffrances sur les bancs en chêne de l'école communale mais, en toute
simplicité, de jeux et d'une sœur de cinq ans plus âgée.
«
La petite sait lire ! » Eh oui ! malgré mon manque réel de
scolarisation, j'avais appris à lire et même, je lisais assez
correctement. Mon père cria non au miracle mais à l'intelligence
supérieure de sa cadette. Cet émerveillement laisse rêveur.
Croyait-il que ce que l'humanité avait mis des siècles à acquérir
sa fillette de six ans l'avait découvert en quelques années de vie
sauvage ? J'en doute mais, ce dont je me souviens, c'est qu'il ne
m'a jamais demandé comment j'avais appris à lire.
En
dehors de mon père qui fut ébloui durant quelques jours par mes
nouveaux acquis, ma sœur, institutrice bénévole, fut bien souvent
la seule à s'intéresser à mon instruction. Et encore, pas dans
tous les domaines. Excellente en lecture, elle s'était
exclusivement spécialisée dans cet apprentissage. Les autres
matières la voyaient moins apte à faire passer des messages.
Lors
d'une leçon, écrivant
la
souri
sur
notre petit tableau, je ne mis pas le s final puisqu'il n'y en avait
qu'une. Ma sœur intervint et me fit remarquer que j'avais fait une
faute. Cela me sembla impossible et je voulus connaître le pourquoi
de cet affront gratuit. :
- Parce
qu'il faut toujours s au bout de souris, me répondit-elle.
- Pourquoi?
- Parce
que, c'est comme ça.
Alors,
là, son enseignement ne m' allait plus du tout. J'aurais voulu une
explication plus logique mais elle ne vint pas. Ce jour-là, je
n'eus plus envie de jouer à l'école. Malgré les récriminations
de ma sœur qui venait de perdre sa seule élève, je déposai la
craie avec colère et je partis jouer à la marelle. Quand même, il
ne fallait pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards
sauvages. Si l'on voulait me faire admettre l'orthographe, il
fallait en premier lieu y faire entrer la logique. Na!
Avec
ma mère, je n'eus pas plus de chance. Le jour où, passant derrière
moi alors que j'écrivais le mot
fleure
,
m'appliquant
à ne pas oublier le e puisque c'était féminin, elle me dit qu'il
ne fallait pas de e au bout de fleur. Son rire amusé me vexa
profondément et l'expression « parce que c'est comme ça »
commença à me sortir par tous les pores. Pourquoi fallait-il que
tout le monde sache mieux que moi comment on orthographiait les mots?
Chacun, dans cette famille, semblait écrire sans faute mais sans
logique alors que, malgré tous mes efforts de cohérence, je
traînais les fautes derrière moi comme un véritable chapelet de
casseroles....
Pour
mon plus grand malheur, mon aînée était une littéraire et elle ne
semblait pas accorder grand crédit aux matières scientifiques. Ce
n'est qu'à de rares occasions que notre petit tableau vit s'aligner
des exercices mathématiques et ainsi je pus lire longtemps avant que
de pouvoir calculer. Ce fut bien dommage ! Dans la mathématique,
j'aurais peut-être trouvé la logique qui me manqua tellement dans
la compréhension de l'orthographe.
L'une
des seules personnes qui sembla s'inquiéter de mes grandes
méconnaissances scolaires fut notre tante Myre. Institutrice de son
état, institutrice en chef par surcroît, elle ne ratait pas une
occasion de me tester. Chaque fois que nous allions passer quelques
jours de vacances chez elle, dès le premier soir, elle plantait ses
banderilles. Le supplice commençait à la fin du repas vespéral.
Debout devant elle et devant toute la famille gênée, j'étais
canardée de questions : « Que font trois fois deux ? »... « Et
quatre fois trois ? »... « Ou deux fois cinq ?»... « Comment
écrit-on le mot tarte ? »... « Le mot lièvre ? »... Aucune
réponse ne venait à mon secours. Si encore elle m'avait interrogé
sur la multiplication par un j'aurais eu du répondant mais là ! A
croire qu'elle voulait me couler. En tout cas, si c'était son
intention, elle réussissait au delà de tout espoir. Je me sentais
devant elle comme un poireau flétri qui attend d'être jeté à la
poubelle.
Pourquoi
mon père n'intervenait-il jamais ? Lui qui avait été si fier de
crier « La petite sait lire » ne pipait mot devant Tante Myre. Et
pour cause ! Après mon supplice venait le sien. « Mais Franz, te
rends-tu compte que la petite ne connaît pas ses tables ? Qu'elle
n'a aucune orthographe ? Quand allez-vous l'envoyer à l'école ?
Il faut l'obliger à étudier ! Seigneur ! Vous ne pouvez pas
continuer à agir ainsi ! Et blablabla et blablabla.» J'étais
soulagée, c'était enfin un autre qui en prenait pour son grade.
Ma
mère essayait bien d'argumenter en parlant du fait que j'étais
fragile, que les otites étaient monnaie courante, que notre domicile
était très éloigné de l'école, que sais-je encore ? Devant
Palmyre outrée, aucune excuse n'était valable et le peu d'affection
que les deux femmes se portaient mutuellement ne permettait pas
l'établissement d'un dialogue constructif.
Nous
finissions par aller nous coucher, ma sœur et moi. Après notre
départ, les discussions continuaient. Nous n'en attrapions que des
bribes par-ci par-là mais le ton impératif de Tante Myre laissait
deviner que cela bardait pour nos parents trop laxistes à son goût.
En
vérité, je crois que ce qui mettait ma tante le plus en colère
était l'idée que cet homme brillant dans tous les domaines, son
neveu préféré, mon père, pouvait avoir engendré une enfant aussi
inculte.
Ce
dont vous n'aviez pas idée, ma tante, c'est que, moi, j'étais la
petite qui savait lire et qui aimait cela !
Aux
yeux de mon père, cela valait peut-être tous les manquements
scolaires et tous les pardons du monde.
Mon
père en classe
(Photos prise par un élève)
Passage entre les deux cours de récréation
de
l'école communale d'Anderlues dirigée par Tante Myre
(Photo : Franz Moreau)
(Photo : Franz Moreau)
Ma sœur et moi
dans le verger de l'école de Tante Myre
(Photo : Franz Moreau)
Merci à Jacques pour sa relecture et ses conseils
mardi 5 février 2013
lundi 4 février 2013
samedi 2 février 2013
Coucher de soleil à Mérindol, ce 02 février 2013
Impossible de se lasser de ces couchers de soleil.
Jour après jour, je les photographie et j'en éprouve chaque fois un immense plaisir.
Tant pis pour ceux qui se disent : "Oh ! Encore un. Elle en a combien comme ça sous la manche ?"
Des dizaines. Courage !
vendredi 1 février 2013
Souvenirs d'enfance (5) Recyclage
Recyclage
Chez mes grand-parents, la vie quotidienne était
composée d'une multitude de petites restrictions qui leur
permettaient de faire face, mois après mois, aux aléas d'un budget
mensuel plus que minime. Tous les restes étaient récupérés.
Rien, jamais, n'était abandonné sans qu'au préalable une longue
réflexion n'ait cherché une utilisation de seconde main à tel ou
tel objet. Ma grand-mère était passée maître dans l'art du
recyclage à tout vent.
Ainsi, le papier de toilette provenait des journaux
d'abord lus et relus par mon grand-père. En soirée, mon aïeule
s'installait et, parfois à la faible lumière d'une petite lampe à
pétrole, pliait les grandes feuilles en quatre, en seize, puis, à
l'aide de son petit couteau à éplucher, avec un soin minutieux,
elle les découpait au format estimé le plus efficace.
Parfois, elle suspendait son travail, lisait les actualités durant quelques secondes et ponctuait sa lecture de commentaires naïfs concernant l'un ou l'autre fait divers du jour.
Le découpage terminé, à l'aide d'une grosse
aiguille à matelas, elle enfilait les feuillets sur un morceau de
corde récupéré lui aussi lors d' un arrivage postal quelconque. Le
tout était alors suspendu à un grand clou planté dans le mur des
toilettes vétustes mais combien propres.
En effet, plusieurs fois par an, ma grand-mère
passait à l'attaque de toute trace suspecte. Les toilettes étaient
chaulées et «rechaulées» régulièrement et à ces mêmes
époques, les émanations goudronneuses de carbonyle nous prenaient à
la gorge. C'était l'une de ses nombreuses petites fiertés. En
plus de la chasse aux gaspis, elle pratiquait de main de maître la
chasse aux microbes.
Aller aux toilettes devenait, grâce au recyclage
ingénieux des journaux, un moyen comme un autre de glaner quelques
informations sur la politique du jour ou sur les grands événements
qui bouleversaient notre planète. De toute évidence, ces
informations ne pouvaient être que chaotiques suite au découpage et
au mélange des feuillets. Avec un peu de chance, deux d'entre eux,
qui se suivaient, pouvaient se compléter. Nous apprenions ainsi
que l'Annapurna avait été vaincu mais le nom de Maurice Herzog, se
situant cinq ou six feuillets plus en arrière, n'apparaissait pas
comme faisant partie de l'information. Peut-être avait-il été
rapproché du nom d'un coquillage en voie de disparition. Cela ne
nous inquiétait pas. Pas plus que de savoir que la petite Laïka
avait eu un grand avenir qui figurait maintenant dans le passé, sans
autre commentaire concernant la conquête de l'espace. Foin de toute
conquête quand on est aux toilettes. En fait, cette approche des
actualités quotidiennes était intéressante tout en restant
intellectuellement peu fatigante. Le lieu, d'ailleurs, ne se prêtait
pas à de trop profondes réflexions philosophiques.
Pour en venir, maintenant, à la douceur du papier
informatif utilisé dans ce lieu, il y aurait beaucoup à en dire
mais certainement pas qu'il nous procurait des moments d'intenses
félicités scatologiques. Ni non plus que nos fesses apprenaient à
son contact le feutré Moltonel. Ce papier, reconnaissons-le, était
loin d'avoir les propriétés émollientes des papiers actuels.
Il fallait d'abord chiffonner chaque feuillet avec
soin pour en casser la rigidité, le rouler en boule, le dérouler
sans le déchirer et, quand enfin il avait pris un aspect de petite
loque l'utiliser au mieux des possibilités. Parfois, une cassure
restait un peu saillante et dure, le temps de le réaliser, il était
trop tard, le coup de griffe journalistique était donné au point
le plus sensible de notre anatomie. Malgré leur jeunesse, nos
fesses avaient appris à s'accommoder de cette pression médiatique
hors du commun.
Je ne m'étendrai pas sur l'état de nos mains, à
la sortie du lieu de lecture. Couvertes parfois d'encre
d'imprimerie, elles avaient bien besoin d'un brossage soigneux au
savon de Marseille. Nul besoin de recommandations d'hygiène
réitérées. Le nettoyage tombait sous le sens.
Lors de ses nombreux séjours chez mes
grands-parents, ma sœur avait découvert que les grandes feuilles du
tabac cultivé par mon grand-père dans son jardinet étaient bien
plus agréable que du papier. Régulièrement, elle tenta d'aller
s'accroupir dans ces drogues vertes plutôt que de suivre le penchant
du commun des mortels qui consistait à passer une porte trouée d'un
cœur pour se soulager dans le lieu ad hoc.
Quand on se souvient du prix à payer aux accises
belges pour chaque plan de tabac cultivé, on comprend alors la
colère qui saisissait mon grand-père découvrant la tête de sa
petite-fille qui émergeait, béate, au milieu de ses cultures si
précieuses. Pour elle, la transformation de sa tête en fleur de
tabac ne fut jamais une réussite totale et cela la fit souvent
repérer. Comme il lui fut difficile, dans ces moments de détente
écolo-scatologique, d'échapper à l'œil vigilant et soupçonneux
de son aïeul !
Plantée sur le chemin dallé qui courait de la
cuisine à l'atelier de Chonchon, j'observais ces scènes de
défécations burlesques avec l'immense plaisir qui envahit tout
enfant confronté à l'aventure excrémentielle. J'admirais, au
passage, le courage magnifique de mon aînée qui, sans peur mais pas
sans reproche, attaquait, sous le soleil matinal, les cultures
sacrées. Malgré l'envie que j'en avais, jamais je n'ai osé suivre
les sentiers tracés par elle parmi les plans de tabac. Mon
grand-père n'aurait pas pardonné ce sacrilège à celle qu'il
appelait Sophie.
Trop jeunes et sans humour, ni ma sœur ni moi
n'avons jamais pensé à demander à Gaston quel était le goût de
son tabac après la récolte de la fin de l'été. Ce tabac, ce
n'était bien sûr pas du tabac de la Semois ni du tabac de Virginie,
c'était tout simplement le tabac du petit jardin de Quaregnon mais
quels soins bénévoles ma sœur lui avait apportés
par ses fumures matinales ! Et comme son arôme avait dû en être
amélioré ! Mon grand-père fut un ingrat et ne le reconnut jamais.
D'aucuns firent un grand pas en avant en atteignant
la lune, ma sœur, elle, fit un grand pas en arrière en revenant
aux feuilles offertes par la nature quant à ma grand-mère, elle
avait fait le pas intermédiaire entre la nature et Moltonel.
Mes grands-parents : Alexandra Prokhoroff (Mimi)
et Gaston Godart (Chonchon)
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