Briançon
L'Hôtel
Sémiond
Que faire dans un hôtel
lorsque, à six ans, vous n'êtes pas scolarisée, que vous vous ennuiez et que vos parents dorment ? Des gaffes, c'est bien connu.
..........................
Mais.... il arrivait aussi que je m'échappe sans
autorisation et que je parte à l'aventure dans l'hôtel.
Dans un premier temps, en
cette fin d'après-midi maussade, j'avais suivi Maria, l'employée d'étage, pour observer
la mise en ordre de la lingerie de l'Hôtel Sémiond. Puis, le vent
de l'aventure soufflant, j'étais partie seule à la découverte des
différents étages. En fait, je ne savais combien il y en avait et
il me sembla urgent de combler cette lacune dans ma connaissance des
lieux.
J'étais d'abord
descendue jusqu'au grand hall d'entrée mais je ne m'y étais pas
attardée. Je savais ne pas y être la bienvenue car, à force
d'avoir traîné dans des recoins inhabités, j'avais parfois plus
l'air d'une souillon que de la fille de la famille Moreau. Cela
faisait mauvais genre dans le hall d'un hôtel étoilé. Après cette
brève incursion en milieu ennemi, j'étais donc remontée vers des étages
plus accueillants.
L'exploration d'un premier
niveau ne m'avait pas permis des découvertes exaltantes. A part
l'ouverture inattendue d'une porte à un endroit où je n'aurais pas
dû me trouver et qui m'avait fait battre le cœur un peu trop vite,
la vie à cet étage était morne.
J'entrepris donc de
continuer à m'élever vers le second étage. A mi-hauteur de la
première volée d'escaliers, j'entendis des conversations très
animées montant du rez-de-chaussée. En vrai fille d'Ève, curieuse
de tout, je voulus savoir le pourquoi de cette animation. Je m'assis
sur le giron d'une marche, passai la tête entre deux des balustres
de la rampe et me penchai le plus fort que je pus. Déception. Rien
de bien intéressant à tirer de cette observation. Trois clients
exubérants se racontaient des histoires amusantes; leurs rires
peu discrets s'étaient élevés à travers la cage d'escaliers.
Il me restait à poursuivre ma montée.
C'est ici qu'un drame
épouvantable éclata. Ma tête, introduite si facilement entre les
deux colonnettes en bois, refusa de prendre le chemin du retour.
Avait-elle gonflé sous un afflux de sang ? Les oreilles, trop
sollicitées par la curiosité, s'étaient-elles décollées ? Le
cou, trop imbu de lui-même, avait-il gonflé ? Je ne sais. Le fait
était que le chef, mon chef, ne passait plus.
Hou, là, là ! Il était
urgent de trouver une solution et vite ! N'importe qui pouvait monter
et j'aurais dû expliquer ma ridicule position. J'empoignai les
balustres entre lesquels je me trouvais emprisonnée et, prenant
appui des deux mains, tentai, mais en vain, de faire revenir la tête
du même côté que le corps. Les oreilles coinçaient. C'était donc
elles les fautives ? J'inclinai alors la tête latéralement.
Tentative inutile. Le nez risquait d'être endommagé. Mes pensées
s'affolèrent. Il fallait absolument que mes parents viennent à mon
secours mais comment les alerter ? Coincée comme je l'étais entre
deux étages, je ne vis aucune possibilité pour y arriver. Je me
mis à pleurer. Les petits sanglots du départ se transformèrent
assez vite en hurlements de désespoir. Pour une fillette qui, au
départ, s'était voulue discrète, c'était réussi.
Une première femme de
ménage fit son apparition au coin du couloir de l'étage inférieur
suivie par une seconde puis par une troisième.... La quatrième fit
le bon poids. Elles commencèrent par calmer mes pleurs, voulurent
connaître les raisons de ma position puis, après mûres réflexions,
trouvèrent la situation très cocasse et se mirent à rire.
L'amusement calmé, elles tentèrent de résoudre ce drame. L'une
appuya sur mes oreilles tandis qu'une autre poussait ma tête par
l'extérieur. Premier échec. La suivante pensa qu'en me mettant sur
le dos, les yeux tournés vers le toit, elles pouvaient réussir le
sauvetage. Ainsi fut fait. Le résultat ne suivit pas. Fatalement ! Ce
n'était pas les yeux qui coinçaient! Perplexes, elles se
consultèrent. La plus âgée ordonna alors à la plus jeune d'aller
chercher Michel, le cuisinier de l'hôtel : «Et qu'il apporte une scie, il faudra couper l'un
des barreaux de la rampe pour dégager la petite». La jeune employée
partit et une attente de plusieurs minutes commença. Chaque femme
profita de la pause pour me prodiguer moult encouragements. Malgré
tous leurs efforts et leur soutien moral, lorsque le cuisinier
arriva, j'étais épuisée de stress.
Michel prit son temps,
furieux d'être dérangé pendant la préparation du repas vespéral.
Il monta les marches sans se presser et, arrivé sur la volée
d'escaliers opposée à la mienne, s'arrêta. D'un seul coup d'œil,
il avait jaugé la situation. Comme un sans-culotte et
Marie-Antoinette avant sa décollation, nous étions face à face.
Nos regards se croisèrent : le mien désespéré, le sien rigolard.
Il prit sa plus grosse voix et se mit à rugir : «Ce n'est pas un
barreau que je vais scier, c'est sa tête !» Croyant bien faire,
pour désamorcer la peur qu'il percevait chez moi, le brave homme
avait pratiqué un humour d'assez mauvais goût. Bravo ! Belle
psychologie ! Le hurlement que je poussai alors dut retentit au-delà
des murs de l'hôtel pour aller se répercuter sur les flancs des
montagnes environnantes et, d'écho en écho, rouler jusque dans les
vallées italiennes. Toutes les personnes qui m'entouraient
arrêtèrent de respirer. Vite ! Vite ! Il fallait trouver une solution
pour atténuer la sirène continue qui maintenant sortait de mes
poumons et prévenait tous les clients de l'hôtel qu'il fallait
évacuer le plus rapidement possible.
Cette sirène eut un effet
positif, elle alerta Maria qui arriva au pas de course. Elle monta
jusqu'à moi, observa, réfléchit une fraction de seconde puis, me
soulevant avec précaution, remonta ma tête et mon cou dans la
partie supérieure des balustres. L'espace plus large à cet endroit
lui permit de me tirer vers l'arrière sans problème. Ma tête fut
dégagée. Elle ne serait pas séparée du corps, j'étais sauvée.
Peut-on le croire ? Mes
parents, si bien installés dans les bras de Morphée, n'avaient même
pas évacué et dormaient encore comme des bébés. A se demander ce
qui avait pu tant les fatiguer durant mon absence.
Merci à Jacques pour sa relecture et ses conseils
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