Les souvenirs que je raconte ici sont véridiques mais, pour une enseignante sadique qui passa durant quelques jours dans ma vie, combien ont été bien plus à la hauteur de leur tâche ! Comme dans tous les métiers, les personnes les plus nombreuses ont une pratique de leur métier tout à fait correcte mais quelques unes, malheureusement, sont des brebis galeuses. Mademoiselle Danièle en était une.
Et, si l'on tient compte de l'époque (1948), les punitions corporelles étaient, sinon admises, du moins tolérées et les humiliations faisaient souvent partie du système éducatif.
En classe
La
première matinée ne me parut pas insurmontable. Un modelage en
«plasticine», quelques essais avec les crayons de couleur et des
gommettes à coller firent partie des activités importantes. Le
bémol fut l'odeur si typique d'une classe de jeunes enfants :
mélange de papier neuf, de craie, mais, par dessus tout, d'urine
vieillie véhiculée par les plus malpropres. Des malpropres et des
incontinents, j'eus l'occasion, par la suite, de découvrir qu'il y
en avait quelques uns dans la classe.
Après le dîner,
accompagnée par ma sœur, je revins à l'école mais la fin de la
journée d'école fut loin d'être aussi calme que la matinée.
Le cours commença
par du dessin. J'aimais dessiner et je m'appliquai de mon mieux. A
ma gauche, un garçonnet s'appliquait autant que moi mais, après
quelques minutes, fatigué d'utiliser sa main droite, il fit passer
le crayon dans l'autre main pour continuer le coloriage de sa
feuille. Quand Mademoiselle Danièle aperçut le changement de main,
elle sortit une cordelette de l'un des tiroirs de son bureau et vint
lier le bras gauche du fautif au dossier du banc. Nul ne devait
s'imaginer une seconde que la révolte des gauchers allait venir
contaminer notre classe. C'est ainsi que je me retrouvai assise sur
le banc de tortures où l'on mettait à mort le grave défaut des
cerveaux qui fonctionnaient en sens contraire. Je découvrais que,
dans cet univers enfantin, la chasse aux sorcières avait cours. Dieu
merci, j'étais droitière. Pour moi, le monde continuerait à
tourner sans douleur.
Un peu avant la
récréation, un autre petit garçon demanda l'autorisation d'aller
aux toilettes. La réponse fut négative. Cette révolution
urinaire ne passerait pas non plus. Où serions-nous allés, dans
cette classe, si Tatie Danièle n'avait été là pour maintenir
l'ordre ?
Taraudé par son
besoin urgent, l'enfant s'oublia sous son banc. Peut-être que
l'incident serait passé inaperçu si, pour son malheur,
reconnaissant ouvertement ce méfait involontaire, il ne s'était mis
à «braire» comme un âne.
Tous les regards
convergèrent vers lui mais surtout ceux de Mademoiselle Danièle qui
n'allait pas laisser son autorité être battue en brèche par un
gamin malpropre. Elle traversa la classe au pas de charge, empoigna
le fauteur de trouble par le bras et, l'ayant extrait de son banc,
alla le coller contre l'un des murs de la classe. Avec horreur,
j'assistai à la punition du fautif. Le slip sali et jaunâtre fut
retiré d'une main experte et placé sur la tête du coupable qui dut
rester, ainsi coiffé, jusqu'à la fin du cours. Ni ses sanglots ni
ses gémissements ne firent fléchir le Cerbère qui nous servait
d'enseignante.
La crainte qui
venait de m'envahir m'interdit alors le moindre mouvement capable
d'amener Mademoiselle Danièle à s'occuper de moi. Lors de
l'hérésie urinaire, j'étais occupée à tisser des bandelettes de
papier glacé de couleurs vives. Mes regards ne quittèrent plus mon
travail jusqu'à la récréation. Bandelette après bandelette, je
tissai, je tissai, je tissai, osant à peine respirer. Il faut dire
que l'odeur qui flottait dans la classe n'incitait pas à des
exercices respiratoires capables de développer le volume
pulmonaire.
Enfin, la cloche
tinta et annonça la récréation. Nous nous précipitâmes à
l'extérieur avec un soulagement certain et les jeux s'organisèrent
dans une explosion de joie.
(à suivre)
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