Regardé
par transparence, le noir de notre palet se transformait en une
teinte allant du mauve foncé dans les parties bombées au lilas plus
clair dans les fines rainures. Ce jouet en verre était une
merveille et c'était lui qui embellissait nos parties de marelle.
Ce matin, sous le soleil printanier, abandonné négligemment sur la
case du Paradis suite à une querelle enfantine, il brillait,
solitaire, et attendait notre retour avec la patience de celui qui a
déjà assisté à une multitude de disputes futiles.
Quelques
minutes auparavant, ma sœur avait prétendu m'avoir vu toucher du
pied droit l'une des lignes de la marelle incrustée dans la terre
battue de notre cour. «Tu mens» avais-je répondu, colérique à
mon habitude. Je savais qu'elle avait raison et ce fait augmentait ma
colère. Elle, s'était obstinée : «Mais si, tu l'as touchée, tu
as perdu, c'est à mon tour de jouer». Quant à ça, il n'en avait
pas été question. J'avais voulu continuer à sautiller d'une case
à l'autre, poussant le palet du pied et je n'aurais cédé pour
rien au monde. Mon aînée avait alors voulu s'emparer du palet pour
interrompre mon avancée et cela avait été la goutte qui faisait
habituellement déborder le vase de nos relations sororales.
Poussée
par ma mauvaise foi, j'avais tapé le palet d'un coup de pied rageur,
l'avais envoyé valdinguer loin du quadrillage du jeu puis, la
figure crispée par la bouderie , étais partie chercher notre petite
balle rouge pour jouer seule à «la balle au mur». Mon aînée,
adoptant l'attitude de celle qui possède tout son self-contrôle,
était allée rechercher le jouet maltraité. Grande dame, elle
l'avait déposé sur la cinquième case du jeu puis s'était dirigée
vers le vieux tilleul. Avec la souplesse d'un chat sauvage, elle
avait entrepris son escalade jusqu'aux plus hautes branches pour
mieux dominer le monde du regard et prendre du recul par rapport à
moi.
Jouer
seule, j'en avais l'habitude mais, quand ma sœur se trouvait dans
les environs, cela me pesait. Décidée à faire un premier pas,
mine de rien, j'étais venue m'asseoir sur la balançoire installée
sous le tilleul et, chantonnant une comptine, j'attendais maintenant
que mon aînée daigne redescendre de sa cime privée.
Elle
aussi pouvait faire preuve d'entêtement surtout quand elle savait
que cela me faisait enrager. L'attente avait été longue.
Finalement, l'arrêt du chant des tourterelles dans le tilleul et un
faible frémissement du feuillage m'avait prévenue de sa venue
condescendante. Nous allions enfin pouvoir recommencer à jouer.
Le
palet fut repris, jeté dans la première case, poussé du pied et,
après avoir marqué son temps d'arrêt au Paradis, avait terminé
son voyage en sortant par le huitième rectangle sans la moindre
anicroche. Vraiment, ma sœur était forte! Ce constat ne m'avait
pas plu mais j'avais bien dû admettre la réalité du fait.
(à suivre)
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