mercredi 1 octobre 2014

Souvenirs d'enfance (32) Rentrée scolaire (5ème et dernière partie)

  La gymnastique ? Trop terrifiante !


     Par ruses et cadeaux multiples, mes grands-parents parvinrent cependant à me renvoyer une fois encore à l'école. Ils m'avaient expliqué qu'un cours de gymnastique venait d'être instauré pour les élèves de maternelle. Ma grand-mère m'avait acheté un petit short bleu marine, un tee shirt blanc et des sandalettes de sport ainsi qu'un petit sac en toile pour y placer le tout. Elle me fit entrevoir tout le plaisir que j'allais tirer de ce cours et, de fil en aiguille, j'acceptai de retourner à l'école.
      Miroir aux alouettes que ce cours de gymnastique et, en le faisant tourner et briller, personne n'avait tenu compte de ma grande crédulité enfantine qui s'avéra désastreuse.
     Ce jour-là, la vie à l'école me parut agréable. Pas de pipi, pas de punition, des activités manuelles intéressantes et une institutrice de bonne humeur. Le temps passa vite dans l'attente du sport qui serait pratiqué l'après-midi. Le cours arriva enfin, situé à la dernière heure de la journée, juste avant le retour à la maison.
    Premier étonnement : le professeur qui vint nous chercher était un homme. Je n'avais, à aucun moment, imaginé que le sexe fort put entrer dans notre école en dehors des pisseurs de quatre et cinq ans.
     Deuxième étonnement : la salle de gymnastique, située dans le bâtiment des classes primaires, nous obligea à traverser la cour pour rejoindre le lieu d'activités sportives. Cela n'aurait pas dû m'inquiéter. Cependant, l'éloignement de cette salle par rapport à notre classe provoqua chez moi un sentiment d'insécurité.
     Dans le local de sport, il faisait froid. Un froid aussi bien physique dû au manque de chauffage que psychologique dû, lui, à la nudité de la salle. Une véritable salle monacale. Des murs ayant pour seules décorations trois espaliers, des fenêtres donnant sur un jardin dépouillé par l'automne  sur un ciel d'un gris sale; au sol, quelques longs bancs en bois vernis. Rien d'autre.
     Lorsque nous eûmes revêtu notre tenue de gymnastique, le professeur nous expliqua que nous allions faire un «tour du monde». Mais, attention, pas n'importe quel «tour du monde». Il y aurait des dangers, un méchant brigand essayerait de nous attraper et nous devrions faire de notre mieux pour respecter les directives et ne pas être emprisonnés.
   Toutes les explications, je les gobai avec une grande naïveté, surtout celle du brigand qui allait arriver, nous prendre et nous emmener loin de notre famille. Je fus, une fois de plus, terrorisée par ce qui se passait dans cette école. Sans aucun doute, le brigand existait. Il se trouvait dans le jardin gris, j'en étais sûre; il arriverait par l'une des hautes fenêtres et prendrait celui ou celle d'entre nous qui ne lui plairait pas.
     Jamais je ne mis une telle volonté à me fondre dans la couleur des murs, à ramper en gardant mon ventre collé au sol et à équilibrer mes mouvements lors de la traversée des bancs retournés qui étaient des ponts suspendus au-dessus de gouffres vertigineux. A chaque instant, je m'attendais à voir surgir le bandit qui allait m'emporter.
     Lorsque ce cours prit fin, qu'aucun d'entre nous n'eut disparu et que le chemin de la maison se dessina à la sortie de l'école, je sentis un poids réel quitter mes épaules. J'allais pouvoir retourner jouer sur le terril du Brûle.
      Mon Dieu! Combien moins dangereux était ce terril que nous escaladions à quatre pattes et sur lequel nous glissions comme des sauvages, aidés dans nos descentes par une platine à tarte dérobée dans la cuisine familiale. Nous en revenions sans doute noirs comme des mineurs mais au moins, là, personne n'avait jamais tenté de nous kidnapper !
Cette première leçon d'éducation physique me découragea pour longtemps de retourner à l'école.
     Lorsque, le lendemain matin, mon grand-père entra dans la cuisine avec la ferme intention de m'y renvoyer, je me réfugiai sous son lourd fauteuil Voltaire et refusai de bouger de cet abri. Il voulut me déloger de ma retraite et s'approcha pour me saisir. Bien mal lui en prit. Tel un serpent qui se détend, je lançai le haut de mon corps en avant et le mordis cruellement au mollet. Il hurla de douleur et de colère mais ensuite ne tenta plus jamais de m'imposer une fréquentation scolaire quelconque.
     De toute façon, à ses yeux, j'étais peu éducable. Une fois encore, je lui étais apparue sous les traits de l'indisciplinée Sophie de Réan.

     La morale de cette histoire ? Le cours de gymnastique ne fut pas totalement perdu pour moi; grâce à une heure d'entraînement, ma souplesse s'en était trouvée bien accrue pour jouer au serpent.

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