La gymnastique ? Trop terrifiante !
Par
ruses et cadeaux multiples, mes grands-parents parvinrent cependant à
me renvoyer une fois encore à l'école. Ils m'avaient expliqué
qu'un cours de gymnastique venait d'être instauré pour les élèves
de maternelle. Ma grand-mère m'avait acheté un petit short bleu
marine, un tee shirt blanc et des sandalettes de sport ainsi qu'un
petit sac en toile pour y placer le tout. Elle me fit entrevoir tout
le plaisir que j'allais tirer de ce cours et, de fil en aiguille,
j'acceptai de retourner à l'école.
Miroir
aux alouettes que ce cours de gymnastique et, en le faisant tourner
et briller, personne n'avait tenu compte de ma grande crédulité enfantine qui
s'avéra désastreuse.
Ce
jour-là, la vie à l'école me parut agréable. Pas de pipi, pas de
punition, des activités manuelles intéressantes et une institutrice
de bonne humeur. Le temps passa vite dans l'attente du sport qui
serait pratiqué l'après-midi. Le cours arriva enfin, situé à la
dernière heure de la journée, juste avant le retour à la maison.
Premier
étonnement : le professeur qui vint nous chercher était un homme.
Je n'avais, à aucun moment, imaginé que le sexe fort put entrer
dans notre école en dehors des pisseurs de quatre et cinq ans.
Deuxième
étonnement : la salle de gymnastique, située dans le bâtiment des
classes primaires, nous obligea à traverser la cour pour
rejoindre le lieu d'activités sportives. Cela n'aurait pas dû
m'inquiéter. Cependant, l'éloignement de cette salle par rapport à
notre classe provoqua chez moi un sentiment d'insécurité.
Dans
le local de sport, il faisait froid. Un froid aussi bien physique dû
au manque de chauffage que psychologique dû, lui, à la nudité de
la salle. Une véritable salle monacale. Des murs ayant pour seules
décorations trois espaliers, des fenêtres donnant sur un jardin
dépouillé par l'automne sur un ciel d'un gris sale; au sol, quelques
longs bancs en bois vernis. Rien d'autre.
Lorsque
nous eûmes revêtu notre tenue de gymnastique, le professeur nous
expliqua que nous allions faire un «tour du monde». Mais,
attention, pas n'importe quel «tour du monde». Il y aurait des
dangers, un méchant brigand essayerait de nous attraper et nous
devrions faire de notre mieux pour respecter les directives et ne pas
être emprisonnés.
Toutes
les explications, je les gobai avec une grande naïveté, surtout
celle du brigand qui allait arriver, nous prendre et nous emmener
loin de notre famille. Je fus, une fois de plus, terrorisée par ce
qui se passait dans cette école. Sans aucun doute, le brigand
existait. Il se trouvait dans le jardin gris, j'en étais sûre; il
arriverait par l'une des hautes fenêtres et prendrait celui ou celle
d'entre nous qui ne lui plairait pas.
Jamais
je ne mis une telle volonté à me fondre dans la couleur des murs, à
ramper en gardant mon ventre collé au sol et à équilibrer mes
mouvements lors de la traversée des bancs retournés qui étaient
des ponts suspendus au-dessus de gouffres vertigineux. A chaque
instant, je m'attendais à voir surgir le bandit qui allait
m'emporter.
Lorsque
ce cours prit fin, qu'aucun d'entre nous n'eut disparu et que le
chemin de la maison se dessina à la sortie de l'école, je sentis un
poids réel quitter mes épaules. J'allais pouvoir retourner jouer
sur le terril du Brûle.
Mon
Dieu! Combien moins dangereux était ce terril que nous escaladions à
quatre pattes et sur lequel nous glissions comme des sauvages, aidés
dans nos descentes par une platine à tarte dérobée dans la cuisine
familiale. Nous en revenions sans doute noirs comme des mineurs mais
au moins, là, personne n'avait jamais tenté de nous kidnapper !
Cette
première leçon d'éducation physique me découragea pour longtemps
de retourner à l'école.
Lorsque,
le lendemain matin, mon grand-père entra dans la cuisine avec la
ferme intention de m'y renvoyer, je me réfugiai sous son lourd
fauteuil Voltaire et refusai de bouger de cet abri. Il voulut me
déloger de ma retraite et s'approcha pour me saisir. Bien mal lui
en prit. Tel un serpent qui se détend, je lançai le haut de mon
corps en avant et le mordis cruellement au mollet. Il hurla de
douleur et de colère mais ensuite ne tenta plus jamais de m'imposer
une fréquentation scolaire quelconque.
De
toute façon, à ses yeux, j'étais peu éducable. Une fois encore,
je lui étais apparue sous les traits de l'indisciplinée Sophie de
Réan.
La
morale de cette histoire ? Le cours de gymnastique ne fut pas
totalement perdu pour moi; grâce à une heure d'entraînement, ma
souplesse s'en était trouvée bien accrue pour jouer au serpent.
Encore un beau récit de plus. J'attends le suivant avec impatience.
RépondreSupprimerAu plaisir de vous lire.
A bientôt.
André Pondant
merci, André, à plus tard.
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