La
voix est plus ahurie qu’effrayée :
– Eh
! Viens voir ça dit le douanier préposé à l’écran à son
collègue. Puis, s’adressant à moi : « Vous avez un couteau dans
votre sac ? »
Je
réfléchis . Horreur ! J’ai oublié mon petit couteau de randonnée
dans la pochette intérieure du sac à main.
–
Oui,
en effet, j’ai dû oublier mon petit couteau. Mais ne vous
tracassez pas, il est tout petit !
–
Madame,
je suis obligé de fouiller votre sac !
Essayant
de caresser l’homme dans le sens du poil, j’approuve :
–
Allez-y,
je vous en prie, c’est normal.
Joignant
le geste à la parole, le second douanier sort mon sac à main de mon
sac à dos et commence la fouille.
–
Attendez,
je sais exactement où il est, je vais vous aider et, ce disant,
j’avance les mains vers mon sac, pleine de bonne volonté.
Crispée,
la voix du douanier est montée d’un ton (même de plusieurs)
–
Tirez
vos mains tout de suite, vous ne pouvez toucher à rien !
–
Mais
je veux vous aider !
–
Enlevez
vos mains immédiatement, s’il--vous--plaît ! ! !
Là,
on atteint des sommets dans le crescendo vocal. Un rien de stress
peut-être ?
–
Ah
? Bon, comme vous voulez. c’était pour vous aider …
–
Je
vais devoir tout fouiller !
–
Mais
ne perdez pas votre temps, le petit couteau est dans la poche
intérieure de mon sac à main. Là, vous voyez, dans la poche avec
une tirette. (J’oublie que les Français ne connaissent pas les
tirettes de sac, mais, bon, je ne vais pas donner un cours de
linguistique belge dans cette douane)
En
parlant, je viens de tendre l’index vers mon sac. Décidément, je
cherche la castagne. Le douanier se redresse et me foudroie du
regard. Ouh là là ! Vite ! Éloignons les mains du sac.
–
Je
vous répète que je vais être obligé de tout fouiller.
La
voix est devenue polaire.
–
Faites,
faites…
La
fouille continue, pochette après pochette pour, enfin, arriver à
l’emplacement où se cache un petit couteau terrorisé quant à son
avenir.
Le
douanier sort la gaine en nylon noir, en extrait le couteau pour
l’observer.
Ah
! qu’il est beau mon petit couteau avec son manche en corne et sa
lame toute propre et brillante. Une vraie merveille espagnole
d’Albacete.
C’est
alors qu’un rugissement retentit …
–
Mais
c’est un couteau à cran d’arrêt !
–
Mais
non, vous voyez bien qu’il est tout petit.
Le
douanier ouvre le couteau brusquement passé du statut de couteau de
rando à celui de dangereux surin.
--
Tout petit ? Mais il fait
plus de cinq doigts !
Je
regarde la lame. En toute honnêteté, je n'aurais jamais cru qu'elle
faisait cinq doigts. Quand je coupe un morceau de saucisson, je ne
calcule pas la mesure d'une lame. C'est une découverte !
Mais
moi ? Suis-je passée du statut de voyageuse tranquille à celui de
malfrat ?
Malfrat,
malfrat-e ? Non, la féminisation du mot n’existe pas encore. Je
garde toutes mes chances.
En
s’ouvrant, le couteau vient d’émettre un clic annonciateur d’un
blocage de lame. Mauvais, mauvais, ce bruit qui, pourtant, ne m’a
jamais alertée lors de mes collations en forêt.
–
C’est
bien un couteau à cran d’arrêt, je suis obligé d’appeler la
gendarmerie, insiste l’homme !
Toujours
calme et souriante, je regarde le douanier et lui dis :
–
Vous
blaguez ou quoi ? Un couteau à cran d’arrêt, c’est un couteau
avec un bouton et quand on appuie dessus, la lame sort d’un coup.
Bon
sang, je ferais bien de la boucler. Je finirai par passer pour une
spécialiste des lames dangereuses.
Un
troisième douanier intervient, pas stressé du tout et tente de
calmer la situation :
–
En
effet, madame, votre couteau est bien à cran d’arrêt. A partir du
moment où la lame se bloque, c’est un--cran-- d’a--rrêt.
–
Comme
les Opinel alors ?
–
S’ils
ont une virole ce sont des crans d’arrêt !
–
Eh
bien ! Ça, je ne le savais pas.
Têtu,
le second douanier reprend :
–
Je
dois confisquer votre couteau et appeler la gendarmerie !
Mon
sang ne fait qu’un tour. Quoi ? Confisquer mon petit couteau ? Mais
ils deviennent fous ici ?
–
Mais
vous n’allez pas me confisquer mon couteau quand même ? C’est un
cadeau ! ! ! Arrêtez de me faire marcher !
Derrière
moi, une voix s’élève :
–
Il
vient de Tunisie ?
Pourquoi
de Tunisie ??? la question est bizarre.
–
Non,
il vient d’Espagne.
Maintenant,
toutes les voix se mélangent autour de moi. Chaque douanier (et ils
sont six) veut en savoir un peu plus.
–
Et
pourquoi l’avez-vous gardé dans votre sac ?
–
Parce
que j’ai oublié qu’il se trouvait là !
Monsieur
Têtu revient à la charge :
–
Couteau
confisqué !
–
Mais
vous pouvez me le rendre plus tard, non ?
–
Confisqué
je vous dis. Vous ne pouvez pas monter dans l’avion avec un
couteau.
…..
S’ensuivent
alors des tractations qui me permettront, un jour proche, de
récupérer mon copain de rando .
…..
Enfin,
je peux avancer dans le hall d’attente où je m’installe pour
lire un sombre roman d’espionnage et de crimes entre Russes et
Américains dans les mers arctiques. Cela va me changer les idées.
Une
page, deux pages, trois pages… quand brusquement les hauts-parleurs
lancent un appel incroyable : « Madame Moreau est invitée à se
présenter…etc ...etc... »
«
Aïe ! Que se passe-t-il encore ? Ils ont peut-être fini par
appeler la gendarmerie ? ? ? » Mentalement, mes meilleurs gros mots
se succèdent.
Je
reviens vers la passage en douane.
Le
tout premier douanier qui me voit arriver s’écrie :
–
Pourquoi
est-ce que vous revenez ?
A
mon avis, son cerveau s’affole. La cinglée avec son histoire de
couteau à cran d’arrêt. C’est LE RETOUR , film non
programmé.
–
Ben,
on m’a appelée !
–
Oui,
intervient un nouvel employé, Madame doit venir pour le contrôle de
sa valise.
–
Ma
valise ? Mais que se passe-t-il avec ma valise ?
–
Il
s’y trouve un objet que nous ne parvenons pas à identifier.
Ça
alors, je n’en reviens pas ! Et dehors de deux pulls, un jean,
quelques paires de chaussettes, mes slips et de vieilles bottines, il
n’y a rien d’autre que des cadeaux et des cadeaux et des cadeaux
bien emballés et ficelés pour la Noël de la famille.
C’est
à ce moment que survient le dénouement du problème «couteau ».
La douanière qui le détenait le tend à son collègue et dit :
–
Puisque
tu vas vers la valise de Madame, places-y ce couteau. Il lui a été
confisqué. Dans sa valise, elle peut le garder.
Yaou
!!! Mon petit couteau me revient. Je tends une main fébrile pour le
récupérer.
–
Non,
pas vous ! C’est mon collègue qui doit le porter.
Le
collègue observe le couteau, le prend entre le pouce et l’index
comme s’il dégoulinait de sang et le tient à bout de bras durant
tout le trajet jusqu’à la valise.
Et
la voilà, ma vieille valise, compagne de tant de voyages. Gueule
ouverte, elle attend mon arrivée, ayant déjà craché la vérité
concernant mes quelques atours. Seuls les cadeaux ont gardé leurs
merveilleux secrets scellés par leurs bolducs d’un rouge festif .
–
Désolée,
me dit la douanière qui me reçoit, mais nous devons vérifier le
contenu de chaque paquet.
–
Oh!
Tant qu’à faire, allez-y, coupez les nœuds. Comment voulez-vous
agir autrement ? Je peux vous dire ce qu’il y a dans chaque paquet
mais vous n’êtes pas obligée de me croire ….
–
Non,
en effet, et je dois donc tout ouvrir.
Et
scritch ! Et scritch ! Et scritch ! C’est la danse des petits
ciseaux. Si ces derniers pouvaient rencontrer mon petit couteau,
quelle surprise party ! Il ne manquerait qu’un rock endiablé.
Mais
j’arrête de rêver.
Chaque
cadeau est débarrassé de son bolduc, ouvert, vérifié. Tout est OK
, c’est le carnage dans ma valise mais l’ordre règne dans le
meilleur des mondes .
Non,
Madame, vous ne trouverez aucune arme, aucune bombe, aucun explosif
dans ma valise. Peut-être, oh, surprise ! un énorme et vieux
téléphone en bakélite noire pour mon fils, mais rien d’autre.
Et
non, je ne serai pas l’héroïne de la chanson de Dalida
«
Les yeux battus
La mine triste et les joues blêmes
Tu ne dors plus
Tu n’es plus que l’ombre de toi-même »
La mine triste et les joues blêmes
Tu ne dors plus
Tu n’es plus que l’ombre de toi-même »
Je
commence quand même, il faut l’admettre, à frôler les voies
impénétrables d’un cerveau très fatigué et, lorsque la
douanière, après avoir refermé ma valise, me souhaite un bon
voyage, je me tourne pour lui souhaiter un bon voyage à elle aussi.
Son regard ébahi me ramène à la réalité.
Et
me voilà de retour au contrôle en douane.
Toute
fière, je dépasse les voyageurs qui forment maintenant la longue
file de ceux qui vont quitter le doux sol de France.
Près
du douanier, je dis :
–Vous
vous souvenez, je suis déjà passée une première fois. Je peux y
aller ?
Son
regard courroucé m’annonce un avenir proche plus sombre que prévu.
–Non,
mettez-vous dans la file, il faut tout recommencer. Votre sac dans le
plateau, votre anorak et votre écharpe aussi. Vous n’avez ni
ceinture ni objet métallique sur vous ?
–
Non
–
Avancez
J’obtempère
sans discuter plus longuement. Ayant gagné une bonne vingtaine de
places dans la file, je ne vais pas me permettre de la bloquer, en
plus …
Et
pourtant …
Alors
que, lors de mon premier passage, aucun bruit n’avait troublé la
sérénité de l’aéroport, lorsque je passe sous l’arceau de
sécurité, j’entends, cette fois, l’alarme se déclencher.
Hop
! un pas rapide en arrière. Ma ceinture ! J’ai une ceinture avec
une boucle métallique. J’avais oublié. En un tour de main, je
l’enlève, priant le ciel (ayant maigri) pour que mon pantalon ne
me tombe pas sur les chevilles devant une foule incrédule.
Le
douanier s’énerve :
–
Je
vous ai demandé si vous aviez une ceinture !
–
J’ai
mal entendu, excusez-moi.
Main
gauche crispée sur le haut du pantalon, nouveau passage sous
l’arceau mais j’ai dû très mal agir dans une autre vie ...
Bardaf
! nouvelle alarme déclenchée.
Cette
fois, il s’agit de mes chaussures et de leurs œillets métalliques.
Hop
! un nouveau pas rapide en arrière.
–
Enlevez
vos chaussure, grince le douanier.
Cette
fois, ses yeux se sont amincis, comme ceux du boa observant sa future
proie.
Enfin,
comme aux Jeux olympiques, le troisième essai au portique est une
réussite certaine mais cependant non applaudie.
Et
revoilà le tout premier douanier, celui qui, face à son écran, ne
laisse passer aucun contrevenant.
L’homme
a une excellente mémoire.
–
Vous
êtes encore là ? me dit-il en me dévisageant.
Eh
oui ! Il faut le savoir, un rien étonne parfois le travailleur en
douanes.
Bon,
maintenant, redevenons sérieux. Je récupère mon sac à dos, mon
anorak, mon écharpe et ensuite… plus rien n’apparaît car
plusieurs voyageurs se sont intercalés entre mes chaussures et moi.
Non que je me prenne pour Bernadette à Lourdes mais, dans une vision
psychédélique, j’aimerais voir surgir mes bottines et pouvoir me
rechausser.
Comme,
indépendamment de ma volonté, je bloque une nouvelle fois la file,
le préposé à l’écran se retourne m’observe et demande :
–
Cette
fois-ci quel est le problème ?
Il
me semble que, chez lui aussi, les yeux sont devenus plus reptiliens.
Si je m’attarde trop, je risque d’entendre le chant de Kaa « aie
confiance, crois en moi...». L’hypnose n’est
plus très loin.
–Mes
chaussures, ce sont mes chaussures qui n’arrivent pas ! Je ne vais
pas prendre l’avion en chaussettes quand même ?
Miracle,
voilà les bottines qui arrivent doucettement sur leur plateau gris.
–Allez,
poursuit monsieur Kaa. Prenez vos chaussures, asseyez-vous là et
mettez-les.
Aussitôt
dit, aussitôt fait. Mais bon, les lacets sont longs et je dois m’y
reprendre à deux fois pour arriver à les serrer. Si j’avais eu
des velcros, j’aurais gagné du temps.
Ce
temps perdu permet à Monsieur Kaa de se retourner une fois encore et
de re-constater ma présence proche.
C’est
plus fort que lui, il éprouve le besoin de continuer notre
attendrissante conversation :
–
Vous
croyez que vous partirez un jour ?
La
musique adoucit les mœurs, dit-on. Je devrais lui
chanter
: "D'être avec vous ce soir J'ai le cœur qui pétille".
En toute simplicité, je réponds :
En toute simplicité, je réponds :
–
Voilà,
voilà, j’y vais.
J’empoigne
mon sac à dos, mon manteau et mon écharpe et je réintègre le
hall d’attente. Ouf ! Sauf malheur, je vais enfin connaître la
suite de mon roman d’espionnage.
En réponse à une excellente amie, ma cousine Brigitte 😘, choquée par l'aventure :
"oh ! tu sais, Brigitte, ils n'ont tous fait que leur boulot ! Je crois que les agents chargés de la protection des lieux publics sont bien plus stressés que nous. En cas de problème, ils sont en première ligne ! Moi, en tant que narratrice, je me permets de mettre de l'humour dans l'aventure mais pour ces douaniers, de l'humour, il n'y en avait pas ... Et je peux te dire qu'ils sont toujours restés très polis à mon égard malgré mes égarements 🙃 🤯 😳 "
"oh ! tu sais, Brigitte, ils n'ont tous fait que leur boulot ! Je crois que les agents chargés de la protection des lieux publics sont bien plus stressés que nous. En cas de problème, ils sont en première ligne ! Moi, en tant que narratrice, je me permets de mettre de l'humour dans l'aventure mais pour ces douaniers, de l'humour, il n'y en avait pas ... Et je peux te dire qu'ils sont toujours restés très polis à mon égard malgré mes égarements 🙃 🤯 😳 "
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