Souvenirs
de Californie
Juillet -août 2000
Texte : 25 février 2015
Ça,
je dois le reconnaître, nous l'avions abordé trop tard le Désert
de la Mort.
A la porte d'entrée du désert, il
y avait d'abord eu ce panneau
routier devant lequel nous nous étions arrêtées pour réfléchir
longuement et qui nous avait posé de nombreuses questions :
Vous entrez dans le
Désert de la Mort
-
Avez-vous une réserve d'eau suffisante ?
-
Avez-vous fait votre plein d'essence ?
-
Avez-vous vérifié l'eau de votre radiateur ?
-
Avez-vous emporté de la nourriture en suffisance ?
…
La
liste était plus longue mais j'en ai oublié une partie.
Ce
panneau donnait un peu froid dans le dos mais, qu'à cela ne tienne,
si froid il y avait, il était le bienvenu même s'il ne venait
vraiment que du panneau. Pour le reste et malgré l'heure, la chaleur
était intense.
Un
deuxième arrêt nous avait encore retardées : la découverte des
arbres de Joshua, ces arbres mythiques immortalisés par la
couverture d'un disque de U2.
Ils
nous ouvraient la voie vers le désert comme ils avaient ouvert la
route vers la Californie aux Mormons.
A
leur vue, j'avais freiné, effectuant un arrêt quasi sur place mais,
à vrai dire, sans risque d'embouteillage : nous étions vraiment les
seules sur cette route.
Hop,
j'empoignai mon appareil photo, me précipitai entre les rochers et,
malgré les recommandations effrayées de ma sœur, m'avançai dans
le désert pour mieux cadrer.
«Fais
attention aux serpents à sonnettes, tu n'as que des sandales de
marche, si tu te fais mordre qu'est-ce que nous ferons ….»
Ma
sœur venait avantageusement de remplacer le prophète et, bon, à
force, tous ces présages énoncés d'une voix funeste eurent raison
de mon inconscience. Après quelques photos, sur la pointe des pieds
cette fois, je fis demi-tour pour rejoindre notre véhicule.
Nous
reprîmes la route avec, derrière nous, un soleil rougissant d'aise
à l'idée d'aller bientôt se coucher.
C'est
alors que, par un pur effet du hasard, nous croisâmes un spectacle
hallucinant : la fameuse Badwater Ultramarathon.
Depuis
combien de temps ces sportifs couraient-ils ? Il nous fut impossible
de le dire mais une constatation fut certaine : ce n'était plus ni
des hommes ni des femmes qui arrivaient face à nous mais des
carcasses déshydratées à faire peur. Certains titubaient,
zigzaguaient et je souhaitai pour eux une ligne d'arrivée toute
proche. Seigneur ! Comment pouvait-on être aussi fous ?
Nous
continuâmes alors notre route, nous attendant à croiser, à tout
moment, un cadavre étalé sur le bitume comme une vieille bouse de
vache séchée.
Lorsque
l'astre perdit définitivement de sa brillance pour choisir des tons
orangés puis rouge sang, je n'y tins plus, il fallait immortaliser
cette disparition royale : nouvel arrêt. En long, en large, en
diagonale, je pris des photos sur lesquelles son déclin amenuisait
le soleil. Lorsque j'eus terminé, en me retournant, je constatai
avec horreur que, sur le versant opposé de la route, une équipe de
cinéastes professionnels, caméras sur pied, filmait le même
spectacle. Cela me fit grincer des dents car, durant plusieurs
minutes, j'avais sauté, comme une gerboise en folie, d'un côté à
l'autre de la route pour trouver le meilleur cadrage. Mon seul
espoir fut qu'aucun membre de cette équipe n'ait pris le temps de
m'observer.
Malgré
la disparition progressive du soleil, la chaleur ne faiblissait pas.
A chaque sortie de la voiture, nous nous mettions à transpirer, les
tee shirts s'humidifiaient à une vitesse V prime et la sueur du
front nous inondait les yeux et brouillait notre vue.
C'est
dans un état second que nous atteignîmes Furnace Creek où nous
devions camper. La nuit était tombée depuis belle lurette et, en
dehors de l'asphalte de la route et de quelques poteaux indicateurs
illuminés par nos phares, autour de nous, c'était le noir absolu
dans une chaleur encore plus absolue.
Où
se trouvait le camping ? Question cruciale si nous voulions dormir
ailleurs que dans notre voiture. A force de tourner dans des sentiers
caillouteux, de faire marche arrière, de rebrousser chemin, nous
arrivâmes devant une entrée qui semblait être celle d'un camping.
Ce
n'était pas le bon. Celui-ci semblait abandonné ou non terminé. Le
Désert de la Mort avait eut raison des promoteurs. En tout cas,
personne n'y vivait et, comme le fit remarquer Danielle en toute
lucidité, seuls les crotales, scorpions et autres joyeusetés du
coin avaient installé leurs pénates dans ce coin perdu.
Nouveau
demi-tour. L'angoisse commençait à poindre. Vraiment, où
allions-nous dormir ?
C'est
alors qu'un point lumineux, pas trop éloigné, apparut dans le
sombre horizon de nos pensées. Nous avions raté le bon
embranchement et étions passées, sans la voir, à côté de
l'entrée du camping salvateur.
Deux
immenses soupirs de soulagement balayèrent l'air conditionné de
notre voiture. Sauvées, nous étions sauvées. Nous allions pouvoir
étaler nos fatigues respectives sur des matelas pneumatiques
moelleux et accueillants et récupérer des forces en suffisance pour
attaquer la journée du lendemain.
Merveilles
parmi les merveilles, des tamaris, un espace de douche, des tables
et leurs bancs, des petits sentiers, toutes ces choses nous
attendaient pour nous offrir le confort d'une mini-civilisation
perdue dans cette Vallée où tant de prospecteurs et émigrants
étaient venus mourir.
Cela
n'allait pas nous arriver, nous en étions maintenant certaines et
cette constatation nous fit rire bêtement.
Rire
? Nous aurions dû nous méfier. Dans cette région du monde, c'est
une activité qui ne dure jamais longtemps. Nous l'apprîmes vite à
nos dépends.
L'emplacement
choisi sous un magnifique tamaris aux grosses branches, tout proche
du point d'eau, il fut décidé que je monterais la tente et que
Danielle, la première, irait prendre une douche paradisiaque.
Ma
sœur, trousse de toilette sous le bras, s'en alla en chantonnant
tandis que je commençais à dresser les piquets, à placer la toile
et à ajuster les tendeurs. Brusquement, un cri terrifiant retentit
dans la nuit. Je lâchai mon travail, me redressai et cherchai du
regard l'endroit d'où le cri était sorti : les douches ! Je vis
alors ma sœur arriver à pas rapides et, comme une prêtresse
grecque, hurler son désespoir vers le ciel : «L'eau est bouillante,
l'eau est bouillante, il est impossible de prendre une douche !»
-- L'eau
est bouillante ? Mais comment est-ce possible ? Ils n'ont pas
installé l'eau froide ?
-- Mais
c'est parce que les canalisations sont sous terre ! Elles ont
chauffé toute la journée ! ! ! C'est impossible d'avoir de l'eau
froide ! ! ! ! !
-- Comment
va-t-on faire pour se laver ? Nous sommes dégoûtantes de
transpiration.
-- Je
ne sais pas, je ne sais pas, gémit ma sœur.
Là-dessus,
elle voulut déposer sa trousse dans la tente mais, son désespoir ou peut-être la sueur lui brouillant la vue , elle vint se cogner
le front contre la branche maîtresse de notre beau tamaris.
-- Ouille
! Ouille ! Ouille ! Furent les nouveaux cris qu'elle poussa en
sautillant sur place.
-- Va vite mettre de
l'eau froide, cela calmera la douleur, lui dis-je bêtement.
-- Mais
je viens de te dire que l'eau qui sort des robinets est bouillante,
hurla-t-elle avec colère.
La
chaleur ambiante qui avoisinait toujours les quarante ou cinquante
degrés m'avait ramolli le cerveau et fait oublier la chaleur de
l'eau des douches. Je restai sans voix non devant son malheur mais
devant l'ineptie que je venais d'énoncer.
Sa
douleur finit par se calmer et, après avoir gonflé les matelas et
fait une rapide toilette à l'évier de la salle d'eau, nous
décidâmes de nous coucher.
Et
hop ! Deux corps se jetèrent sous la tente, un main se tendit vers
les toiles flottantes des portes et les tirettes se fermèrent.
Le
bonheur espéré ne dura pas longtemps.
Brusquement,
les tirettes se rouvrirent et l'on vit ma sœur s'extraire de la
tente.
-- Il
est impossible de dormir là-dedans, siffla-t-elle, c'est un
étouffoir !
-- Dans
ce cas, où veux-tu dormir ? lui demandai-je. Dehors, il y a des tas
de bêtes dangereuses !
-- Je
ne sais pas, je vais voir.
Et
elle partit, oreiller et sac de couchage sous le bras. Je la perdis
de vue parmi les tamaris.
Il
était vrai que l'atmosphère, sous la tente, était délétère.
Personne ne pouvait survivre à une nuit sous abri de toile dans ce
désert. Je sortis aussi et me dirigeai vers la voiture me disant
qu'il y ferait plus frais. Seconde réflexion stupide de la nuit.
Comment pouvait-il faire moins chaud dans le véhicule alors que la
climatisation était coupée ? La chaleur était en train de me
décerveler. Dès que la portière se referma sur moi, je suffoquai
et ressortis presque aussitôt.
Dormir,
dormir, je voulais dormir. Une dernière idée, lumineuse cette fois,
se fraya un chemin et je me souvins que de l'eau qui s'évapore
rafraîchit toujours l'atmosphère. J'empoignai donc tous les essuies
qui se trouvaient à ma portée, et partis les tremper dans un évier
de la salle d'eau. Même chauds dans un premier temps, ils finiraient
bien par se refroidir. Je revins, essuies dégoulinant à bout de
bras, les étaler sur mon matelas pneumatique. Deux essuies mouillés
sous le corps, deux essuies mouillés par dessus, foin de toute idée
de rhumatismes, c'était parfait. La fraîcheur arriva rapidement et,
sans plus penser au sort de ma sœur, je plongeai dans un sommeil
profond.
Que
devenait Danielle, pendant tout ce temps ? Et bien, son truc à elle
fut d'aller dormir sur l'une des tables du camping où une très
légère brise lui apporta un peu de fraîcheur en cours de nuit.
Elle ne fut d'ailleurs pas la seule à avoir choisi cette solution.
Lorsque je partis à sa recherche au petit matin, je constatai que
d'autres tables s'étaient garnies, durant les heures nocturnes, de
corps éreintés. Et, en tout bien tout honneur, comme il se devait.
Chacun sur sa table et Dieu veillant sur son petit monde ronflant
ou sifflotant.
Honte,
honte, honte sur nous ! Nous eûmes, ce matin-là, le culot d'aller
prendre un petit déjeuner au ranch super snob jouxtant le camping.
Malgré une tentative de toilette matinale, nous y arrivâmes …..
dans un manque de fraîcheur totale. D'après les regards qui nous
suivirent, nous comprîmes qu'il valait mieux aller manger notre
bacon et notre omelette dans un coin éloigné du public amidonné
qui s'apprêtait à partir jouer au golf...
Car,
il faut le savoir, à cet endroit du désert, un parcours de golf
avait été construit, des palmiers plantés, des pelouses semées et
tondues avec amour; de luxueuses «golfettes» électriques
sillonnaient les allées de gravier afin d'éviter toute marche
inutile aux nantis de notre planète.
Vous
l'avouerai-je ? Ma sœur et moi n'en faisions pas partie et ce fut le
miracle du jour si, comme deux crotales indésirables et surveillés
de près, nous pûmes obtenir de quoi nous restaurer.
Merci
à Jacques pour sa relecture et ses conseils