lundi 17 août 2020

Le Désert de la Mort ...



Souvenirs de Californie
Juillet -août 2000

Texte :  25 février 2015






 

Ça, je dois le reconnaître, nous l'avions abordé trop tard le Désert de la Mort.
A la porte d'entrée du désert, il y avait d'abord eu  ce panneau routier devant lequel nous nous étions arrêtées pour réfléchir longuement et qui nous avait posé de nombreuses questions :
Vous entrez dans le Désert de la Mort
- Avez-vous une réserve d'eau suffisante ?
- Avez-vous fait votre plein d'essence ?
- Avez-vous vérifié l'eau de votre radiateur ?
- Avez-vous emporté de la nourriture en suffisance ?
La liste était plus longue mais j'en ai oublié une partie.
Ce panneau donnait un peu froid dans le dos mais, qu'à cela ne tienne, si froid il y avait, il était le bienvenu même s'il ne venait vraiment que du panneau. Pour le reste et malgré l'heure, la chaleur était intense.
Un deuxième arrêt nous avait encore retardées : la découverte des arbres de Joshua, ces arbres mythiques immortalisés par la couverture d'un disque de U2.
Ils nous ouvraient la voie vers le désert comme ils avaient ouvert la route vers la Californie aux Mormons.
A leur vue, j'avais freiné, effectuant un arrêt quasi sur place mais, à vrai dire, sans risque d'embouteillage : nous étions vraiment les seules sur cette route.
Hop, j'empoignai mon appareil photo, me précipitai entre les rochers et, malgré les recommandations effrayées de ma sœur, m'avançai dans le désert pour mieux cadrer.
«Fais attention aux serpents à sonnettes, tu n'as que des sandales de marche, si tu te fais mordre qu'est-ce que nous ferons ….»
Ma sœur venait avantageusement de remplacer le prophète et, bon, à force, tous ces présages énoncés d'une voix funeste eurent raison de mon inconscience. Après quelques photos, sur la pointe des pieds cette fois, je fis demi-tour pour rejoindre notre véhicule.
Nous reprîmes la route avec, derrière nous, un soleil rougissant d'aise à l'idée d'aller bientôt se coucher.
C'est alors que, par un pur effet du hasard, nous croisâmes un spectacle hallucinant : la fameuse Badwater Ultramarathon.
Depuis combien de temps ces sportifs couraient-ils ? Il nous fut impossible de le dire mais une constatation fut certaine : ce n'était plus ni des hommes ni des femmes qui arrivaient face à nous mais des carcasses déshydratées à faire peur. Certains titubaient, zigzaguaient et je souhaitai pour eux une ligne d'arrivée toute proche. Seigneur ! Comment pouvait-on être aussi fous ?
Nous continuâmes alors notre route, nous attendant à croiser, à tout moment, un cadavre étalé sur le bitume comme une vieille bouse de vache séchée.
Lorsque l'astre perdit définitivement de sa brillance pour choisir des tons orangés puis rouge sang, je n'y tins plus, il fallait immortaliser cette disparition royale : nouvel arrêt. En long, en large, en diagonale, je pris des photos sur lesquelles son déclin amenuisait le soleil. Lorsque j'eus terminé, en me retournant, je constatai avec horreur que, sur le versant opposé de la route, une équipe de cinéastes professionnels, caméras sur pied, filmait le même spectacle. Cela me fit grincer des dents car, durant plusieurs minutes, j'avais sauté, comme une gerboise en folie, d'un côté à l'autre de la route pour trouver le meilleur cadrage. Mon seul espoir fut qu'aucun membre de cette équipe n'ait pris le temps de m'observer.
Malgré la disparition progressive du soleil, la chaleur ne faiblissait pas. A chaque sortie de la voiture, nous nous mettions à transpirer, les tee shirts s'humidifiaient à une vitesse V prime et la sueur du front nous inondait les yeux et brouillait notre vue.
C'est dans un état second que nous atteignîmes Furnace Creek où nous devions camper. La nuit était tombée depuis belle lurette et, en dehors de l'asphalte de la route et de quelques poteaux indicateurs illuminés par nos phares, autour de nous, c'était le noir absolu dans une chaleur encore plus absolue.
Où se trouvait le camping ? Question cruciale si nous voulions dormir ailleurs que dans notre voiture. A force de tourner dans des sentiers caillouteux, de faire marche arrière, de rebrousser chemin, nous arrivâmes devant une entrée qui semblait être celle d'un camping.
Ce n'était pas le bon. Celui-ci semblait abandonné ou non terminé. Le Désert de la Mort avait eut raison des promoteurs. En tout cas, personne n'y vivait et, comme le fit remarquer Danielle en toute lucidité, seuls les crotales, scorpions et autres joyeusetés du coin avaient installé leurs pénates dans ce coin perdu.
Nouveau demi-tour. L'angoisse commençait à poindre. Vraiment, où allions-nous dormir ?
C'est alors qu'un point lumineux, pas trop éloigné, apparut dans le sombre horizon de nos pensées. Nous avions raté le bon embranchement et étions passées, sans la voir, à côté de l'entrée du camping salvateur.
Deux immenses soupirs de soulagement balayèrent l'air conditionné de notre voiture. Sauvées, nous étions sauvées. Nous allions pouvoir étaler nos fatigues respectives sur des matelas pneumatiques moelleux et accueillants et récupérer des forces en suffisance pour attaquer la journée du lendemain.
Merveilles parmi les merveilles, des tamaris, un espace de douche, des tables et leurs bancs, des petits sentiers, toutes ces choses nous attendaient pour nous offrir le confort d'une mini-civilisation perdue dans cette Vallée où tant de prospecteurs et émigrants étaient venus mourir.
Cela n'allait pas nous arriver, nous en étions maintenant certaines et cette constatation nous fit rire bêtement.
Rire ? Nous aurions dû nous méfier. Dans cette région du monde, c'est une activité qui ne dure jamais longtemps. Nous l'apprîmes vite à nos dépends.
L'emplacement choisi sous un magnifique tamaris aux grosses branches, tout proche du point d'eau, il fut décidé que je monterais la tente et que Danielle, la première, irait prendre une douche paradisiaque.
Ma sœur, trousse de toilette sous le bras, s'en alla en chantonnant tandis que je commençais à dresser les piquets, à placer la toile et à ajuster les tendeurs. Brusquement, un cri terrifiant retentit dans la nuit. Je lâchai mon travail, me redressai et cherchai du regard l'endroit d'où le cri était sorti : les douches ! Je vis alors ma sœur arriver à pas rapides et, comme une prêtresse grecque, hurler son désespoir vers le ciel : «L'eau est bouillante, l'eau est bouillante, il est impossible de prendre une douche !»
-- L'eau est bouillante ? Mais comment est-ce possible ? Ils n'ont pas installé l'eau froide ? 
-- Mais c'est parce que les canalisations sont sous terre ! Elles ont chauffé toute la journée ! ! ! C'est impossible d'avoir de l'eau froide ! ! ! ! ! 
-- Comment va-t-on faire pour se laver ? Nous sommes dégoûtantes de transpiration. 
-- Je ne sais pas, je ne sais pas, gémit ma sœur.
Là-dessus, elle voulut déposer sa trousse dans la tente mais, son désespoir ou peut-être la sueur lui brouillant la vue , elle vint se cogner le front contre la branche maîtresse de notre beau tamaris.
-- Ouille ! Ouille ! Ouille ! Furent les nouveaux cris qu'elle poussa en sautillant sur place.
-- Va vite mettre de l'eau froide, cela calmera la douleur, lui dis-je bêtement.
-- Mais je viens de te dire que l'eau qui sort des robinets est bouillante, hurla-t-elle avec colère.
La chaleur ambiante qui avoisinait toujours les quarante ou cinquante degrés m'avait ramolli le cerveau et fait oublier la chaleur de l'eau des douches. Je restai sans voix non devant son malheur mais devant l'ineptie que je venais d'énoncer.
Sa douleur finit par se calmer et, après avoir gonflé les matelas et fait une rapide toilette à l'évier de la salle d'eau, nous décidâmes de nous coucher.
Et hop ! Deux corps se jetèrent sous la tente, un main se tendit vers les toiles flottantes des portes et les tirettes se fermèrent.
Le bonheur espéré ne dura pas longtemps.
Brusquement, les tirettes se rouvrirent et l'on vit ma sœur s'extraire de la tente.
-- Il est impossible de dormir là-dedans, siffla-t-elle, c'est un étouffoir ! 
-- Dans ce cas, où veux-tu dormir ? lui demandai-je. Dehors, il y a des tas de bêtes dangereuses ! 
-- Je ne sais pas, je vais voir.
Et elle partit, oreiller et sac de couchage sous le bras. Je la perdis de vue parmi les tamaris.
Il était vrai que l'atmosphère, sous la tente, était délétère. Personne ne pouvait survivre à une nuit sous abri de toile dans ce désert. Je sortis aussi et me dirigeai vers la voiture me disant qu'il y ferait plus frais. Seconde réflexion stupide de la nuit. Comment pouvait-il faire moins chaud dans le véhicule alors que la climatisation était coupée ? La chaleur était en train de me décerveler. Dès que la portière se referma sur moi, je suffoquai et ressortis presque aussitôt.
Dormir, dormir, je voulais dormir. Une dernière idée, lumineuse cette fois, se fraya un chemin et je me souvins que de l'eau qui s'évapore rafraîchit toujours l'atmosphère. J'empoignai donc tous les essuies qui se trouvaient à ma portée, et partis les tremper dans un évier de la salle d'eau. Même chauds dans un premier temps, ils finiraient bien par se refroidir. Je revins, essuies dégoulinant à bout de bras, les étaler sur mon matelas pneumatique. Deux essuies mouillés sous le corps, deux essuies mouillés par dessus, foin de toute idée de rhumatismes, c'était parfait. La fraîcheur arriva rapidement et, sans plus penser au sort de ma sœur, je plongeai dans un sommeil profond.
Que devenait Danielle, pendant tout ce temps ? Et bien, son truc à elle fut d'aller dormir sur l'une des tables du camping où une très légère brise lui apporta un peu de fraîcheur en cours de nuit. Elle ne fut d'ailleurs pas la seule à avoir choisi cette solution. Lorsque je partis à sa recherche au petit matin, je constatai que d'autres tables s'étaient garnies, durant les heures nocturnes, de corps éreintés. Et, en tout bien tout honneur, comme il se devait. Chacun sur sa table et Dieu veillant sur son petit monde ronflant ou sifflotant.
Honte, honte, honte sur nous ! Nous eûmes, ce matin-là, le culot d'aller prendre un petit déjeuner au ranch super snob jouxtant le camping. Malgré une tentative de toilette matinale, nous y arrivâmes ….. dans un manque de fraîcheur totale. D'après les regards qui nous suivirent, nous comprîmes qu'il valait mieux aller manger notre bacon et notre omelette dans un coin éloigné du public amidonné qui s'apprêtait à partir jouer au golf...
Car, il faut le savoir, à cet endroit du désert, un parcours de golf avait été construit, des palmiers plantés, des pelouses semées et tondues avec amour; de luxueuses «golfettes» électriques sillonnaient les allées de gravier afin d'éviter toute marche inutile aux nantis de notre planète.
Vous l'avouerai-je ? Ma sœur et moi n'en faisions pas partie et ce fut le miracle du jour si, comme deux crotales indésirables et surveillés de près, nous pûmes obtenir de quoi nous restaurer.


Merci à Jacques pour sa relecture et ses conseils



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