Comme souvent, c'est en écoutant une émission à la radio que je me suis tournée vers internet pour obtenir des précisions supplémentaires. Ce matin-là, il s'agissait d'une émission consacrée à la vie et aux films de Jean Renoir.
Et comme souvent aussi, quelques mots, une phrase, une explication me firent plonger tête la première dans mes souvenirs de jeunesse.
Celui qui émergea me fait encore rire.
Je devais avoir treize ans et durant cet été-là, ma mère avait trouvé un travail à Bruxelles et ne voulait pas nous laisser seules toute la journée ma sœur et moi. Elle nous inscrivit donc en colonie de vacances à Coxyde (mer du nord) . L'établissement s'appelait "Le Lys Rouge" et était géré par les Mutualités Socialistes. Plus rouge que cela, tu mourais.
Rien à dire, nous y mangions bien, nous nous amusions, les distractions étaient variées et les moniteurs et monitrices étaient très correct(e)s.
C'est ici que l'aventure devient amusante : chaque matin nous assistions au salut au drapeau ... rouge bien entendu, et toutes et tous, réunis en cercle au pied du mât, nous chantions l'Internationale à pleine voix, le cœur enflammé par ces paroles révolutionnaires.
"Debout, les damnés de la terre
Debout, les forçats de la faim
La raison tonne en son cratère
C'est l'éruption de la fin......
Du passé faisons table rase
Foule esclave, debout, debout"
Bien entendu, à treize ans, il n'est pas difficile de faire table rase du passé ni de se sentir esclave brisant ses chaînes et c'est avec un grand plaisir que chaque matin, je mêlais ma voix fluette à celles déjà plus graves des fils et filles des mineurs du Borinage.
Quelques-uns parmi les camarades avaient même amélioré le chant, y ayant ajouté à la fin du refrain un vers de leur composition : "A bas les calotins, ça n'vaut rien". Mais pour cet ajout, je ne porterai pas de jugement ni poétique ni autre.
Après quinze jours de drill intensif, la tête farcie d'égalité parmi les hommes, de rejet de la calotte, de regroupement universel, nous partîmes passer le reste de nos vacances chez mes grands-parents maternels.
Difficile de déconditionner rapidement et du jour au lendemain un entraînement musical bien rodé...
Plusieurs matins de suite donc, en pleine forme dès mon lever, je faisais retentir le chant révolutionnaire à travers les pièces du logis.
Mon grand-père faillit en faire une attaque...
Lui qui avait effectué ses études chez les jésuites, qui avait échappé de justesse aux bolcheviks lors de la révolution russe put difficilement accepter une petite-fille qui venait lui chanter l'Internationale à tue-tête chaque matin.
Il prit sa plus belle plume et envoya une missive scandalisée à sa fille (ma mère). Les termes ne durent pas être d'une grande tendresse car dès réception, Tamara prit le premier train pour venir apaiser l'aïeul.
Je fus sommée d'arrêter mes chants malséants et de privilégier, si possible, le Magnificat ou un Kyrie Eleison... à la limite la "Souris Verte" et "Malbrough s'en va-t-en guerre" étaient acceptés.
J'en pris mon parti et c'est sur les terrils, en fonçant dans les anciens trous de bombes avec mon vélo que je pus faire retentir l'Internationale car là, oui, vraiment, il y avait lutte finale en cas de ratage de la manœuvre...
Debout ! les damnés de la terre !
Debout ! les forçats de la faim !
La raison tonne en son cratère,
C’est l’éruption de la fin.
Du passé faisons table rase,
Foule esclave, debout ! debout !
Le monde va changer de base :
Nous ne sommes rien, soyons tout !
Refrain : (2 fois sur deux airs différents)
C’est la lutte finale
Groupons-nous, et demain,
L’Internationale,
Sera le genre humain.
Couplet 2 :
Il n’est pas de sauveurs suprêmes,
Ni Dieu, ni César, ni tribun,
Producteurs sauvons-nous nous-mêmes !
Décrétons le salut commun !
Pour que le voleur rende gorge,
Pour tirer l’esprit du cachot,
Soufflons nous-mêmes notre forge,
Battons le fer quand il est chaud !
Refrain
Couplet 3 :
L’État comprime et la loi triche,
L’impôt saigne le malheureux ;
Nul devoir ne s’impose au riche,
Le droit du pauvre est un mot creux.
C’est assez languir en tutelle,
L’égalité veut d’autres lois :
« Pas de droits sans devoirs, dit-elle,
Égaux, pas de devoirs sans droits ! »
Refrain
Couplet 4 :
Hideux dans leur apothéose,
Les rois de la mine et du rail,
Ont-ils jamais fait autre chose,
Que dévaliser le travail ?
Dans les coffres-forts de la bande,
Ce qu’il a créé s’est fondu.
En décrétant qu’on le lui rende,
Le peuple ne veut que son dû.
Refrain
Couplet 5 :
Les Rois nous saoulaient de fumées,
Paix entre nous, guerre aux tyrans !
Appliquons la grève aux armées,
Crosse en l’air et rompons les rangs !
S’ils s’obstinent, ces cannibales,
À faire de nous des héros,
Ils sauront bientôt que nos balles
Sont pour nos propres généraux.
Refrain
Couplet 6 :
Ouvriers, Paysans, nous sommes
Le grand parti des travailleurs ;
La terre n’appartient qu’aux hommes,
L'oisif ira loger ailleurs.
Combien de nos chairs se repaissent !
Mais si les corbeaux, les vautours,
Un de ces matins disparaissent,
Le soleil brillera toujours !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire