lundi 21 juillet 2014

Souvenirs d'enfance (30) - Le bain de mer (2)

    Il restait maintenant à attendre les premières vagues et leurs assauts destructeurs. Dos au soleil, assis les uns à côté des autres sur l'estran, nous observions la montée des eaux. Dans un premier temps, de longs tentacules liquides s'étaient insinués entre nos châteaux, comblant les fossés d'une écume beige et molle, bientôt chassée, poussée vers l'avant par la force d'une mer toute puissante. Les premiers coups de boutoir arrivaient alors. 
   Petite mais destructrice, avec obstination, l'avant-garde des vaguelettes grignotait les fondations tendres. Un premier pan de sable s'effondrait, venait se tasser au pied du cône pour, enfin, s'aplanir et disparaître sous les eaux. Un second puis un troisième pan suivaient le mouvement descendant.     Élément minuscule narguant l'immensité marine, restait alors une tour fragile encore garnie de son petit drapeau de papier qui vacillait puis penchait dangereusement, inscrivant sur le ciel bleu la chronique d'un effondrement annoncé.
   La première tour à disparaître était bien entendu la mienne. Mon drapeau tombé dans l'eau flottait, suivant les allées et venues du flux, soulevé, retombant, poussé vers l'avant, vers l'arrière,vestige d'un travail acharné mais dérisoire qui provoquait la montée incoercible de l'un des premiers chagrins de la journée. Il n'y avait pas assez d'eau devant nous, il fallait que j'y ajoute mes larmes de mauvaise perdante.


   Mes larmes avaient toujours l'effet escompté. Ma mère venait me consoler et me promettait à voix basse un tour en «cuisse-taxe» ou autre distraction à pédales, je choisirais dès notre retour sur la digue. Promis, juré, je pouvais reprendre mes occupations de plage et arrêter d'ennuyer tous les amis par mes récriminations enfantines.



   Et puis que pouvait-on faire contre l'étendue salée dans son avancée destructrice? Franchement, rien. Il faudrait bien qu'un jour, j'arrive à accepter la puissance des éléments naturels et mes propres faiblesses. Mais ce discours-là, ma mère ne me le tenait pas, c'eut été inutile. Elle savait que mes oreilles se fermaient très facilement aux arguments logiques qui ne me convenaient pas. Que j'aie accepté de ne plus pleurer et de changer d'occupation était pour elle une victoire, fallacieuse peut-être mais victoire quand même. 

   (à suivre)

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