Il restait maintenant à
attendre les premières vagues et leurs assauts destructeurs. Dos au
soleil, assis les uns à côté des autres sur l'estran, nous
observions la montée des eaux. Dans un premier temps, de longs
tentacules liquides s'étaient insinués entre nos châteaux,
comblant les fossés d'une écume beige et molle, bientôt chassée,
poussée vers l'avant par la force d'une mer toute puissante. Les
premiers coups de boutoir arrivaient alors.
Petite mais destructrice, avec obstination, l'avant-garde des vaguelettes grignotait les
fondations tendres. Un premier pan de sable s'effondrait, venait se
tasser au pied du cône pour, enfin, s'aplanir et disparaître sous
les eaux. Un second puis un troisième pan suivaient le mouvement
descendant. Élément minuscule narguant l'immensité marine, restait
alors une tour fragile encore garnie de son petit drapeau de papier
qui vacillait puis penchait dangereusement, inscrivant sur le ciel
bleu la chronique d'un effondrement annoncé.
La première tour à
disparaître était bien entendu la mienne. Mon drapeau tombé dans
l'eau flottait, suivant les allées et venues du flux, soulevé,
retombant, poussé vers l'avant, vers l'arrière,vestige d'un travail
acharné mais dérisoire qui provoquait la montée incoercible de
l'un des premiers chagrins de la journée. Il n'y avait pas assez
d'eau devant nous, il fallait que j'y ajoute mes larmes de mauvaise
perdante.
Mes
larmes avaient toujours l'effet escompté. Ma mère venait me
consoler et me promettait à voix basse un tour en «cuisse-taxe» ou
autre distraction à pédales, je choisirais dès notre retour sur la
digue. Promis, juré, je pouvais reprendre mes occupations de plage
et arrêter d'ennuyer tous les amis par mes récriminations
enfantines.
Et puis que pouvait-on faire
contre l'étendue salée dans son avancée destructrice?
Franchement, rien. Il faudrait bien qu'un jour, j'arrive à accepter
la puissance des éléments naturels et mes propres faiblesses. Mais
ce discours-là, ma mère ne me le tenait pas, c'eut été inutile.
Elle savait que mes oreilles se fermaient très facilement aux
arguments logiques qui ne me convenaient pas. Que j'aie accepté de
ne plus pleurer et de changer d'occupation était pour elle une
victoire, fallacieuse peut-être mais victoire quand même.
(à suivre)
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