jeudi 27 novembre 2014

Souvenirs d'enfance (34) - Trudy

Trudy (prononcez Troudy)


Je pensais en avoir terminé avec les souvenirs de mes jeux d'enfant. Eh bien, non !
Les visages d'une poupée me sont revenus ce matin.

Trudy. Elle s'appelait Trudy. Du moins c'est ce que ma mère me déclara lorsqu'elle me l'offrit. Trrrudy !
Désolée pour les personnes qui portent encore ce prénom germanique mais je dois avouer que celui-ci me fit horreur dès le départ. Non que ce choix m'ait gêné en tant que tel mais parce qu'il était associé à la plus vilaine des poupées que je reçus durant mon enfance.
Un corps rose et mou en tissu, des vêtements peu seyants dans des tons bruns, un double bonnet, un visage d'une matière rigide. Voilà comment l'on pourrait décrire Trudy en peu de mots.
Ce cadeau avait dû coûter une petite fortune mais la poupée me révulsa dès que son mécanisme d'être hybride me fut expliqué : un bouton recouvert de tissu était caché sous la coiffe intérieure du bébé et, lorsque ma mère le fit tourner, tout le visage tourna lui aussi et disparut pour faire place à une seconde puis à une troisième figure. Ainsi, suivant les circonstances, j'aurais pu jouer avec un bébé qui dormait, qui riait ou qui pleurait.
Cette découverte me fit immédiatement horreur : comment était-il possible de posséder trois visages sans être complètement monstrueux ?
En quelques secondes, le plaisir d'un nouveau jouet se transforma en un dégoût profond. Cette poupée, à mes yeux, devint aussitôt répugnante.
La déception de ma mère dut être vive. Alors qu'elle avait espéré me faire un cadeau royal, elle se retrouva avec une fillette en larmes qui refusait de tendre les bras pour prendre possession de la nouvelle poupée.
Et ce qui devait arriver arriva : dès le départ, la poupée fut livrée à elle-même, abandonnée dans un coin de la maison. Elle ne se laissa pourtant pas oublier et chaque fois que je passais auprès d'elle, l'une des trois figures me narguait et le même haut-le-cœur me prenait.
Dieu merci, plus abjecte que celle-là, il n'y en eut pas par la suite. Je pense d'ailleurs que c'eut été impossible.
Mon malaise face à cette créature aux trois figures fut terrible et m'imprégna en profondeur. Bien des années plus tard, alors que, devenue adulte et mère, je dus me rendre avec l'un de mes fils chez un   pédiatre liégeois, je découvris une vieille Trudy installée sur la cheminée en marbre de son cabinet. Une fois de plus, à travers plus de deux décennies, elle recommença à me fixer de ses yeux d'extraterrestre.

La répugnance reprit le dessus et, après cette première consultation, le médecin ne me revit jamais plus.  

 

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