Trudy
(prononcez Troudy)
Je
pensais en avoir terminé avec les souvenirs de mes jeux d'enfant. Eh
bien, non !
Les
visages d'une poupée me sont revenus ce matin.
Trudy. Elle s'appelait Trudy. Du moins c'est ce que ma mère me déclara
lorsqu'elle me l'offrit. Trrrudy !
Désolée
pour les personnes qui portent encore ce prénom germanique mais je
dois avouer que celui-ci me fit horreur dès le départ. Non que ce
choix m'ait gêné en tant que tel mais parce qu'il était associé à
la plus vilaine des poupées que je reçus durant mon enfance.
Un
corps rose et mou en tissu, des vêtements peu seyants dans des tons
bruns, un double bonnet, un visage d'une matière rigide. Voilà
comment l'on pourrait décrire Trudy en peu de mots.
Ce
cadeau avait dû coûter une petite fortune mais la poupée me
révulsa dès que son mécanisme d'être hybride me fut expliqué :
un bouton recouvert de tissu était caché sous la coiffe intérieure
du bébé et, lorsque ma mère le fit tourner, tout le visage tourna
lui aussi et disparut pour faire place à une seconde puis à une
troisième figure. Ainsi, suivant les circonstances, j'aurais pu
jouer avec un bébé qui dormait, qui riait ou qui pleurait.
Cette
découverte me fit immédiatement horreur : comment était-il
possible de posséder trois visages sans être complètement
monstrueux ?
En
quelques secondes, le plaisir d'un nouveau jouet se transforma en un
dégoût profond. Cette poupée, à mes yeux, devint aussitôt
répugnante.
La
déception de ma mère dut être vive. Alors qu'elle avait espéré
me faire un cadeau royal, elle se retrouva avec une fillette en
larmes qui refusait de tendre les bras pour prendre possession de la
nouvelle poupée.
Et
ce qui devait arriver arriva : dès le départ, la poupée fut livrée
à elle-même, abandonnée dans un coin de la maison. Elle ne se
laissa pourtant pas oublier et chaque fois que je passais auprès
d'elle, l'une des trois figures me narguait et le même haut-le-cœur
me prenait.
Dieu
merci, plus abjecte que celle-là, il n'y en eut pas par la suite. Je
pense d'ailleurs que c'eut été impossible.
Mon
malaise face à cette créature aux trois figures fut terrible et
m'imprégna en profondeur. Bien des années plus tard, alors que,
devenue adulte et mère, je dus me rendre avec l'un de mes fils chez
un pédiatre liégeois, je découvris une vieille Trudy
installée sur la cheminée en marbre de son cabinet. Une fois de
plus, à travers plus de deux décennies, elle recommença à me fixer de ses
yeux d'extraterrestre.
La
répugnance reprit le dessus et, après cette première consultation,
le médecin ne me revit jamais plus.
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