Il est des naïvetés qui vous rendent pur(e)s de toute pensée critique ou mesquine et font qu'une amitié ne peut être rompue.
A cette époque, je devais avoir 12 ou 13 ans et, oui, j'étais encore d'une telle naïveté ! Incurable semblait-il. Ma mère dans son souci d'hyper protection m'ayant souvent fait gober les plus incroyables bobards.
Nous occupions alors, à Mons, un appartement situé à la Rampe Sainte-Waudru qui longeait la collégiale du même nom.
Notre propriétaire était père de deux fils : Bob, né d'un premier mariage, avait mon âge; Pascal, lui, né de la seconde union, n'était encore qu'un bébé mais était le seigneur de sa famille.
Lorsque Bob venait passer quelques jours chez son père, il n'était pas le bienvenu auprès de la mère de Pascal...
Parfois, il montait chez nous pour partager mes jeux ou tout simplement discuter de choses et d'autres.
J'avais conçu à son égard une amitié sincère, d'autant plus chaleureuse que j'avais très tôt remarqué le rejet de sa belle-mère à son égard. La moindre de ses actions était sujette à critiques acerbes ou humiliantes.
Oh ! Bob avait bien quelques gros défauts mais qui, à l'entrée de l'adolescence, n'en a pas?
Gourmand, il l'était, jusqu'à avoir atteint un fameux surpoids qu'il portait comme une carapace face aux injustices de la vie.
Menteur, il l'était aussi. Pour ce défaut, il m'était impossible de ne pas parfois m'en rendre compte tant, lorsqu'il me racontait sa vie, des inventions plus qu'absurdes venaient tarabiscoter la plupart de ses récits. En fait, il s'inventait un monde idéal dans lequel, en toute probabilité, il se sentait plus heureux.
Mais son plus gros défaut, celui qui ne pouvait pas lui être pardonné, était d'être le fils d'une autre femme...
Un jour, il commit un petit vol qui fut rapidement découvert par sa marâtre : où avait-il dérobé ce billet de 20 francs (aujourd'hui, 50 centimes d'euros) ? Je n'en ai jamais rien su. Mais cette découverte provoqua un drame énorme.
Mis en demeure de justifier la provenance de ce billet, Bob se lança dans une explication des plus stupides. Ce qui ne fit qu'accroître le mépris de sa belle-mère à son égard.
Connaissant l'amitié que je portais à Bob, Madame L. m'appela pour me faire connaître le méfait et me mettre en garde : je ne devais plus accorder le moindre intérêt à son beau-fils, c'était un voleur ni plus ni moins, me dit-elle.
Après avoir demandé s'il était possible que ce billet ne fut pas la preuve d'un vol, sans avoir pu me faire entendre, je remontai chez nous, ulcérée par les propos de la belle-mère, bien persuadée qu'il y avait maldonne.
Une amitié d'adolescence ne se détruit pas en quelques mots.
Dans la soirée, éprouvant le besoin de se sentir réconforté dans son humiliation, Bob vint me trouver pour se justifier et me fit un récit identique mais tout à fait absurde quant à la provenance du billet (il fallut voir passer bien de l'eau sous les ponts pour que je réalise l'impossibilité de cette explication).
Il m'expliqua donc que ces 20 francs, il les avait trouvés en se promenant autour de la collégiale. Par hasard, mais oui, vraiment par hasard, il avait remarqué une pierre descellée sur la margelle d'un puits ancien jouxtant Sainte-Waudru. S'en étant approché, il avait soulevé la pierre et, miracle ! sous celle-ci se trouvait le billet caché.
Face à mon étonnement, Bob m'invita à le suivre de l'autre côté de la collégiale.
En catimini, nous sortîmes de la maison, contournâmes le lieu saint et arrivâmes au puits.
Effectivement, une pierre y était descellée. A cette vue, il ne m'en fallut pas plus pour rendre ma confiance à mon ami et, par mes paroles de compréhension, pour le soulager d'une partie de son humiliation. Enfin, quelqu'un le croyait !
Revenue dans notre appartement, j'expliquai en long et en large à ma mère que ce billet de 20 francs pouvait fort bien provenir de sous cette pierre .... puisqu'elle était DESCELLÉE comme Bob l'avait expliqué.
Ma mère tenta de contrer ma naïveté tant qu'elle put. Elle me fit comprendre toute l'absurdité de cette explication par des propos bien plus rationnels. Rien n'y fit. J'avais rendu mon amitié à Bob et je conclus qu'une fois encore sa belle-mère avait frappé bas.
Bob repartit chez sa mère et ses visites se firent de plus en plus rares. Je ne le revis plus.
J'appris quelques années plus tard qu'il était décédé d'un cancer du cerveau alors qu'il n'avait pas trente ans. C'est alors que me revint en mémoire l'incident des 20 francs dérobés et que je réalisai à quel point j'avais été rendue crédule à cause de l'amitié accordée à Bob.
Collégiale Sainte-Waudru, Mons - Aquarelle (ou gouache ?) de Gérard Noirfalise |
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