Le cornouiller Crédit photo : Marcel Lefrancq* |
"Parmi les plus belles, quelle image de votre enfance émerge avant les autres ?"
Entendue à la radio, cette question m'a laissée perplexe et mise en difficulté quant à une réponse objective. Difficile à dire, n'est-ce pas ! Il peut y en avoir tant de ces images issues des multiples petits bonheurs de notre jeunesse !
Pour ma part, la première image qui me vient à l'esprit est celle de notre jardin à Maisières** (Camp de Casteau).
Je peux dire notre jardin et ajouter "à ma sœur et à moi" , nos parents n'ayant aucune fibre "espace vert".
Jardin, jardin quand tu nous tiens ! En tout cas, le nôtre ne tenait qu'à lui même et menait sa vie en toute liberté. Il n'était ni ordonné ni même un rien entretenu : aucun parterre, aucun sentier de gravier blanc, aucune pelouse rase, pas de haies ni d'arbres taillés, pas de massifs tuteurés. Un tel jardin ne fut jamais le nôtre. Chez nous, ce fut toujours, comme le diraient les Canadiens, "la sauvagerie".
Herbes folles parmi lesquelles nous pouvions disparaître en une seconde, rosiers délirants, bouleaux tordus, transformés en trampoline par nos indélicates interventions, buddléia aux proportions gigantesques, pêcher perdu entre mille graminées... rien n'était domestiqué en dehors d'un carré de terre, sauvé à grande peine à l'arrière du buddléia, et sur lequel ma grand-mère cultivait ses fraisiers.
Des sentiers ? oui mais tracés par les multiples allers-retours que Danielle et moi effectuions à travers notre domaine.
Sur la gauche, l'un d'eux menait à la balançoire accrochée à la branche la plus basse d'un immense tilleul, arbre frontière entre le parc voisin et notre jardin.
L'autre sentier, le plus important, traversait le centre du jardin dans la quasi totalité de sa longueur. Il partait de la gloriette de rosiers grimpants, longeait une rangée de groseilliers pour aboutir au vieux cornouiller, terminal de nos galopades quotidiennes.
Comment le souvenir pourrait-il ne pas s'attarder sur la beauté de la gloriette ? Durant tout l'été, cette ancienne plantation explosait en mille et un petits bouquets de roses rouge vermillon. Les rameaux, partis à l'assaut des arceaux rouillés qui les soutenaient, croulaient littéralement sous le poids de leurs fleurs et, au fil des semaines, formaient un parasol floral pour abriter certains de nos jeux.
Crédit photo : Marcel Lefrancq* |
Cet espace adorablement parfumé était devenu notre coin privé. C'est là que, par beau temps, nous installions notre magasin. Entraînées par notre imagination, nous approvisionnions notre table-présentoir de divers fruits et légumes récoltés dans "la sauvagerie" : faux épinards, plantains, fleurs de tilleul, groseilles rouges ou à maquereau, tout faisait farine au moulin quand il s'agissait de jouer "à la marchande". Cailloux ou feuilles d'arbres nous servaient de monnaie.
Une année, ma sœur, ayant découvert au bord de la route les éclats d'un pare-brise explosé, en fit une monnaie des plus précieuses. Un éclat valait à lui seul cinq feuilles de bouleau ou dix feuilles de troène. Cet été-là, les transactions allèrent bon train quant à la valeur d'un bâton de rhubarbe ou d'une poignée de groseilles.
Crédit photo : Marcel Lefrancq* |
C'est aussi derrière cette gloriette que Danielle réunissait ses aficionados des jeux interdits pour leur faire découvrir les charmes de la rhubarbe enrobée de sucre et ... de fourmis qu'elle dégustait sous leurs yeux exorbités.
Personnellement, j'ai toujours gardé mes distances en ce qui concernait la dégustation des fourmis de notre jardin. Je lui préférais, et de loin, le goût plus acidulé des cornouilles ou des groseilles et celui, tellement doux, des pêches et des fraises de ma grand-mère.
Certains jours, ayant répertorié tous les atouts de notre paradis privé, nous nous mettions à rêver d'aventures plus fantastiques. Nous rejoignions alors le fond du jardin et le bosquet de bouleaux qui nous dissimulait aux regards maternels. De là, c'était l'escapade vers les bois, le ruisseau ou la clairière à la recherche d'autres trésors : fougères royales, lapins de garenne, chant du coucou, gerris, mûres, larmes de résineux .... rien ne semblait suffisant pour étancher nos soifs de découvertes ......
Crédit photo : Marcel Lefrancq* |
* https://fr.wikipedia.org/wiki/Marcel_Lefrancq
* http://www.lefrancq.be/MGL/Photo-som%201.html
** https://www.mons.be/vivre-a-mons/mons-et-son-histoire/villages-de-mons/maisieres
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire