A la poursuite DU papillon

 

 

 

 

le citron de Provence

A la poursuite DU papillon

    Un éclair jaune  vient de passer devant vos yeux émerveillés. Votre cœur se met à battre. Aujourd'hui vous allez enfin pouvoir saisir la grâce du petit lépidoptère et la chatoyante harmonie de ses différents jaunes. Celui-là vous l'attendiez depuis l'arrivée du printemps. Vous l'aviez déjà aperçu de temps à autre mais toujours trop éloigné que pour pouvoir capter son image. Une seule donnée n'avait pas été prise en compte : la vivacité de cet esprit de la nature.

     D'une fleur à l'autre, le papillon vous invite à le poursuivre. Assez vite, vous enragez. Impossible de photographier ce feu follet jaune vif ? Bon, il faut l'admettre, vous avez rencontré l'un des merveilleux fous volants de cette région. Il se pose, repart aussitôt, se dirige vers une touffe de lilas d'Espagne. L'espoir vous revient. Devant une telle abondance de fleurs, il ne pourra que se laisser tenter quelques secondes.

     Par pitié ! Quelques longues secondes et vous pourrez faire une rapide mise au point.

     Que nenni, ma brave dame, si vous voulez fixer son image pour l'éternité, vous n'êtes pas au bout de vos peines. Et hop ! Il s'envole, effectue une vrille par dessus les vignes, repique vers l'horizon dans le sens contraire de la marche et se dirige maintenant vers un magnifique massif de genêts plus jaunes que lui.

    Vos oreilles perçoivent mille ricanements, une immense clameur amusée qui sort des buissons environnants, une moquerie concertée lancée de l'arrière de chaque brin d'herbe, de chaque feuille de vigne, de chaque ramille d'amandier. Pour les grillons et les cigales, ce sont vos pas désordonnés et en zigzags qui forment le spectacle de la journée. Votre crédulité attise leurs réflexions piquantes : « Ah ! La bonne blague ! Jaune sur jaune, allez-y pour le retrouver. Si vous y parvenez, chapeau, la promeneuse ! »

    Chapeau de papillon ? Qu'est-ce que cela peut vouloir dire ? 

  Bien entendu, si vous pouviez vous approcher suffisamment, zoomer et déclencher, vous finiriez par le voir ce minuscule chapeau, ce toupet poilu, ce couvre-chef insolite d'où pointent les antennes rayées de cet adepte du vol incontrôlé.

 

    

   Mais le petit monstre a déjà repris ses circonvolutions insaisissables sur fond d'azur foncé et, à force de suivre de haut en bas et de gauche à droite ses loopings infernaux, votre vue se brouille, vos yeux ne répondent plus et vous finissez par loucher et par attrapez le tournis. Bel exemple de self-contrôle au beau milieu des vignes, vraiment !

     Enfin, le dément se dirige vers un champ de lavandes. Là, vous êtes assurée de votre coup. Il est impossible qu'une telle source de nectar ne parvienne pas à le retenir. Vous approchez sur la pointe des pieds; vous évitez au maximum de remuer les branches de lavande; le souffle court, vous avancez l'appareil photo à bout de bras pour cadrer au mieux et au moment où vous déclenchez, vous voyez la tache jaune s'envoler, tenant, suprême moquerie, ses ailes entre ses pattes en une gracieuse révérence ironique.

     Là, vous n'en pouvez plus, votre patience a disparu et ce ne sont plus que des spasmes de colère qui vous font déclencher l'objectif dans toutes les directions : même floue, une photo aura pu saisir le rire du papillon en vol, non ?

     Pendant ce temps, le petit lépidoptère, lassé de vos avances trop insistantes a franchi la rivière proche. Son bref avenir l'appelle maintenant vers les valérianes et les liserons situés sur l'autre rive.

     De loin, vous continuez à l'observer et vous le voyez, minuscule point jaune, jouer à trampoline d'une fleur à l'autre, comme pour vous narguer une dernière fois. 

 

   Bel inconnu il était, magnifique inconnu il restera. Pour vous, en tout cas et durant quelques temps encore !

 

 

le souci