mardi 14 mars 2023

Premier printemps en Provence

 

 

 

 Printemps 2013

 

 

    Cette matinée fut chaude en événements divers. Dès ma sortie du logis pour aller promener ma chienne, une voisine m’appela pour me montrer une longue cohorte de chenilles processionnaires qui terminaient leur traversée de la route. Cette dame me raconta qu'elle avait déjà fait abattre l’un des pins de son jardin car, tous les ans, ces chenilles y faisaient leurs nids en formes d’énormes boules cotonneuses. Elle ajouta que, l’un de ses chiens s’étant trop approché de l’un de ces exodes poilus, ce fut la course vers le cabinet vétérinaire le plus proche pour enrayer l’inflammation de la gueule et de la langue provoqué par le volettement des poils urticants. La suite des ses explications fut plus effrayante encore : « Certains chiens en meurent car si l’on ne s’aperçoit pas immédiatement des dégâts par contact, il faut couper un morceau de la langue ou faire euthanasier le chien qui ne pourrait plus se nourrir ». Au fur et à mesure de l’avancée de son récit, je sentait la sueur perler sur mon front…. Mais où donc était partie ma chienne et où mes chats se baguenaudaient-ils encore ? 

 

© FTV


 

 

 

  

 

 

 

Enfin, reprenant courage, je me dis que l’on ne pouvait pas tout avoir : le soleil de Provence et le repos de l’âme. C’eut été trop beau ! 

 

    Ayant récupéré ma Belle Brune et les quatre matous, je continuai alors ma route vers les vignes sous un ciel bleu vif illuminé par le large sourire du soleil .

 


 

    La belle Brune marchait en tête suivie de sa maîtresse, elle-même suivie des quatre chats marchant chacun queue dressée, sérieux comme des papes partis à la reconquête d'Avignon. 

 

   Dans les vignes, je découvris plusieurs cerisiers porteurs d'une incroyable quantité de petites drupes vertes, grosses comme un ongle. Plus loin, un figuier adolescent dressait ses jeunes fruits de la taille d'un pouce charnu. Cette région, c'était Byzance à n'en pas douter. La fin du printemps et l'automne ne seraient qu'une explosion de saveurs.

   Concernant le figuier, une question m'avait turlupiné plusieurs jours de suite : à quel moment avait-il fleuri ? Je le longeais régulièrement et je n'avais rien remarqué. M'étant inquiétée du phénomène auprès d'un pépiniériste, j'avais enfin compris : « C'est normal, la fleur est à l'intérieur du fruit » m'avait-il expliqué, moqueur. Ce mystère éclairci me permettait de continuer à surveiller le grossissement des figues sans avoir à m'inquiéter d'une radioactivité quelconque ou d'une modification génétique inconnue.

 

   Je continuai alors ma promenade, écrasant avec allégresse les humbles calaments qui dégagent un superbe arôme de menthe poivrée, laissant derrière moi une longue traînée de senteurs tièdes et piquantes. Tous ces petits plaisirs, pour arriver devant deux orchis que j'avais découverts quelques jours auparavant. 


 

Observer ces fleurs et leur évolution me procure un réel plaisir ! J'aime rendre hommage à leur beauté époustouflante. Il faut voir les fleurs à l'aide de l'objectif macro de l'appareil photo : chaque tête est formée d'un petit calot arrondi de couleur lie de vin. Sous le calot avance une lèvre colorée de tons rose pâle et crème sur laquelle de minuscules perles nacrées brillent au soleil. Une pure merveille.



   Près des orchis, une forte odeur sucrée proche de celle des fleurs d'oranger ou de jasmin : c'était les genêts scorpions qui n'en finissaient pas d'envoyer leurs messages odorants vers une multitude d'abeilles charpentières plus bleues les unes que les autres. C'est ainsi que je me suis retrouvée prise dans les fins rais bleus zigzaguant jusqu'à la folie, filant des genêts vers le ciel et du ciel vers les vignes. Un tissage intangible. 


 


    Tout à mon bonheur, entourée par tant de beautés naturelles, dans l'immédiat, je ne vis pas, presque à mes pieds, un grand lézard vert vif mesurant une trentaine de centimètres. Il fut surpris, mais bien moins que moi. Pris de panique, il s'orienta de travers et fonça dans ma direction. Courant de droite et de gauche, l'animal finit par me passer entre les jambes. Horrifiée par sa longueur, l'embonpoint de son dos perlé mais surtout par la rapidité et la vivacité de son approche, je fis un immense bond en hurlant à pleins poumons car, une fraction de seconde, je crus qu'il allait se faufiler dans la jambe de mon jean. Je ne sais si un lézard a des oreilles ni si celui-ci ressentit les vibrations de mon cri mais un fait est certain, ma panique augmenta la sienne. Au lieu de filer dans les broussailles, il perdit la raison, fit demi-tour et revint vers moi, véloce comme pas deux. Prise d'une danse de Saint-Guy incontrôlable, me voilà, sautant d'un pied sur l'autre, au milieu des vignes, espérant une seule chose : ne pas retomber sur la verte bête. Le reptile, en fin de compte, réussit à rassembler ses idées bien avant moi et se faufila dans les herbes sèches pour disparaître sur le versant ensoleillé des orchis, au grand désespoir de ma Belle Brune qui, arrivée à la rescousse, en aurait volontiers fait son petit déjeuner.

   

  Il fallut ensuite vérifier d'un œil honteux qu'aucun vigneron cultivant les terres environnantes n'avait pu assister, même de loin, à cette scène digne d'une caméra cachée car alors, mon honneur s'en serait relevé avec difficulté. Heureusement, aucun Provençal à l'horizon. Seul le hurlement avait pu être entendu de très loin. Et tant que personne ne comprendra que c'est moi qui hurle dans les vignes à la vue d'un petit saurien…  il n'y aura jamais de lézard.


Elle était grasse et longue quand même cette bête ! ! ! 

 

   Mais aussi, il faut que je raconte ce qu'une autre voisine m'avait susurré quelques jours auparavant. Il paraît, d'après cette dame, que ces grands lézards verts ont une bouche pleine de petites dents aiguës tournées vers l'intérieur et que, quand ils vous mordent pour se défendre, il est impossible de les détacher de la chair attaquée tant ils serrent les mâchoires. Il faut alors couper le morceau de chair pour se débarrasser de la bête. Bon, nous ne vivons pas très loin de Marseille mais les légendes comportent toujours en elles une part de vérité. Cette explication peut aider à comprendre ma panique face au reptile vert qui, par ailleurs, était d'une beauté à tomber. Certaines coquettes portent avec ostentation leurs grands colliers de perles autour du cou, lui il portait sa multitude de perles vertes sur tout le corps et en toute simplicité.

Évidemment, si l'histoire de cette dame est une galéjade, pour le coup, j'aurai été ridicule deux fois... 

 

 


La Belle Brune et les quatre compagnons


La Belle Brune


Barthélémy
Patchaï

Gros Émile

Lucas



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