La cueillette du muguet.
Crédit photos : Gino Marcolini
Mai
arrivait chaque année avec une ponctualité très honnête. Jamais
un jour d'avance, jamais un jour de retard. L'élève parfait dans
la suite des douze mois.
Par
contre, la floraison du muguet n'était pas aussi sérieuse. Pour
elle, tout dépendait d'un hiver plus rigoureux ou d'un printemps mal
ensoleillé pour qu'un retard intervînt dans l'apparition des
clochettes blanches.
Quoi
qu'il en soit, ces fleurs odorantes finissaient toujours par s'étaler
en minuscules taches claires au milieu des fougères, des anémones
ou des jacinthes. Du centre de la clairière, nous pouvions partir
dans n'importe quelle direction et nous en trouvions. Moins vers
notre maison, plus vers les cimenteries d'Obourg, mais, peu importait
l'abondance, il y en avait.
C'était
alors que notre mère entrait en transe. Le muguet avait cette
caractéristique : sur son esprit, il produisait l'effet d'une drogue
douce qui, une fois respirée, ne lâchait plus sa victime. Le
cannabis n'avait pas encore fait ses ravages dans la population jeune
et, chez ma mère, le muguet le remplaçait avantageusement.
Encore,
encore, plus, toujours plus, les bouquets que nous lui rapportions
n'étaient jamais assez gros.
Pour
Danielle et moi, la mi-mai se transformait en mini-bagne. Mais au
lieu de casser des cailloux, nous devions cueillir des fleurs. Plus
le temps de courir sur les sentiers pommelés de soleil ni d'aller
observer les lapins plongeant dans les terriers de la clairière et
encore moins, de trucider les méchants blancs attachés au poteau de
torture au centre des genêts du Camp de Casteau. Nous avions le
droit de nous évaporer dans la nature à la condition qu'au retour,
nos mains fussent celles de fleuristes revenant des halles aux
fleurs.
Les
jeudis après-midi et les dimanches nous voyaient, courbées au
milieu des bois, à la recherche des habitats les plus fleuris où
nous n'aurions qu'à nous agenouiller pour cueillir sans trop de
fatigue. A petits pas, le regard rivé au sol, nous cherchions dans
l'ombre des grands arbres. Parfois, c'était l'odeur suave qui
attirait notre attention, parfois, c'était les tiges garnies des
clochettes blanches qui, avec imprudence, s'étaient dressées,
dépassant leurs propres feuilles pour atteindre la lumière des
sous-bois.
Il
arrivait que le bruit du pivert chassant des insectes sur un tronc,
le chant d'un coucou lointain ou le passage d'un papillon nous
détournât de notre cueillette pour quelques minutes et notre esprit
vagabond rejoignait l'un ou l'autre de ces animaux, participant à
leur bonheur à la cime des chênes et des hêtres.
Étant
la plus jeune, je pouvais me permettre de rapporter de petits
bouquets peu fournis. Cinq ou six brins enfouis au centre d'un gros
paquet de feuilles suffisaient parfois à sauver la mise. Le tout,
pour moi, était de prouver que j'avais fait l'effort de chercher.
Tamara
ne descendait jamais jusqu'à la clairière pour nous surveiller sans
quoi, elle aurait pu constater que je ne lâchais pas mes
observations d'insectes dans la rivière ou qu'un sentier bien
ensoleillé m'avait tendu ses bras tièdes pour aller plus loin
cueillir les jacinthes qui étaient cent fois plus faciles à
trouver.
Les
jacinthes aussi sentaient très bon et il y en avait tant ! Lorsqu'on
en trouvait une, on en trouvait vingt. De plus, l'épaisseur de
leurs tiges permettait d'obtenir un bouquet en cinq minutes. Quel
reproche pouvait bien leur faire notre mère qui ne désirait que les
muguets ? A mon avis, dans les bois aussi, elle avait établi des
classes sociales : Les muguets formaient l'aristocratie tandis que
les tout aussi belles jacinthes se trouvaient former le petit peuple.
Et que dire des anémones, des dames de onze heures ou de l'ail des
ours ? Il ne fallait même pas imaginer que ces fleurs simples et
moins odorantes pussent un jour franchir le seuil de la maison pour
venir mourir dans un vase en cristal. Vanité des vanités...
Ma
sœur, elle, plus obstinée que moi, plus volontaire dans son désir
de faire plaisir à notre mère, ne quittait le bois que si la
cueillette terminée en valait la peine. Les mains encerclant les
fleurs dans leur nid de feuilles, elle rentrait à la maison,
certaine du plaisir que son cadeau provoquerait. Et c'était vrai
qu'à la vue de ses magnifiques bouquets blancs, ma mère se pâmait.
Vite, elle partait chercher un petit vase joufflu, d'un cristal
brillant et elle y installait les muguets avec des soupirs de
satisfaction profonde. Parfois, Danielle avait mis un tel cœur à
sa cueillette qu'il fallait un deuxième ou un troisième vase pour
recevoir toutes les fleurs.
Le
plus beau des bouquets trônait souvent sur la commode qui meublait
le hall d'entrée. Là, son reflet dans le miroir mural qui
surplombait le meuble, doublait la beauté des fleurs. Au fil des
jour, les clochettes encore verdâtres s'ouvraient, s'épanouissaient
et embaumaient de plus en plus au grand émerveillement de chaque ami
en visite. Les autres fleurs prenaient place dans la salle à manger
où elles amenaient un très agréable raffinement aux réunions
familiales du soir.
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Crédit photos : Gino Marcolini
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