Les deux courageux qui volaient à notre secours après chaque catastrophe |
Val d'Isère (Suite et fin)
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Lorsque mes compagnons
habituels arrivèrent en courant pour m'entraîner vers de nouvelles
aventures, cela me dérangea. Ma construction n'était pas terminée
et je comptais bien m'employer à son achèvement même s'il fallait
pour cela perdre l'occasion d'une course échevelée.
Pour une fois, Michel
avait abandonné les amis de son âge pour prendre la tête de notre
groupe de plus jeunes et tous se mirent à effectuer une sarabande
infernale autour de moi. Leur insistance à me vouloir dans leur jeu
du moment m'énerva, des paroles peu amènes furent échangées et,
finalement, voyant mon entêtement, ils se tournèrent vers Kazan, le
berger allemand des Killy qui se dorait au soleil et qui, comme moi,
en cet instant, ne désirait que la paix des braves.
Les tournoiements, les
cris, les rires l'agacèrent au plus haut point. Il se dressa,
s'ébroua et pour bien marquer son désaccord, se mit à aboyer en
direction des importuns. Les aboiements ne calmèrent pas la folie
enfantine qui commençait à influencer et à augmenter l'
agressivité endormie du chien. Il recula légèrement et montra les
dents. Un sourd grondement sortait maintenant du fond de sa gorge et
ce bruit dangereux finit par mettre en fuite tous les écervelés.
Ils partirent au pas de course, mettant ainsi une belle distance
entre les crocs puissants et leurs fesses qui échappèrent au
massacre. Les leurs oui, pas l'une des miennes ! N'ayant pas
participé à l'excitation générale , je ne me méfiai pas de
l'animal et continuai à creuser le sable. Pour mon malheur, le
chien, lui, ne parvint pas à isoler le bon grain de l'ivraie ni à
retrouver son calme et, pris d'une envie subite de vengeance sur la
personne la plus proche, il se rua sur mes fesses si bien moulées
dans leur petit short écarlate et mordit à pleines dents.
La douleur fut
fulgurante. Je ne sais si je me mis d'abord à hurler ou si je me
redressai pour chercher du secours au plus vite. Peu importe. La
fuite m'amena au chalet, braillant comme un goret égorgé mais
aucun mot, aucune explication cohérente n'arrivait à sortir de
ma bouche. Trompés par la couleur de mon short, mes parents alertés
ne parvenaient pas à situer la cause de mes cafouillis verbaux
incompréhensibles.
Bien sûr, ils finirent
par découvrir la déchirure du short et le trou béant dans ma fesse
. Les hurlements sortirent alors d'autres gorges que de la mienne.
Leurs cordes vocales prirent le relais des miennes avides de repos.
Alertés par tant de
clameurs, tous les enfants des environs rappliquèrent à la vitesse
V prime et, sans autre raison que le plaisir de participer, se
joignirent à notre groupe familiale. Commença alors une course au
finish pour atteindre au plus vite le cabinet médical du village où
toute la famille s'engouffra comme une tornade sous les regards
médusés de la secrétaire. La longue cohorte des aficionados en
herbe fut refoulée avec fermeté et chacun, sans savoir de quoi il
retournait vraiment, supputa sur la raison d'une telle course à
travers un Val d'Isère d'habitude plus calme. La tornade belge
avait encore frappé mais, cette fois, pour quelle raison ?
Déculottée, étendue à
plat ventre, geignant sans discontinuer, j'eus encore assez de force
pour entendre les constatations du médecin : «Bon, il n'a pas raté
son coup, ce chien. Il a même enlevé un morceau de chair.» Pensif,
il ajouta : «Je suppose qu'il a dû l'avaler... A cause de cela, je
ne pourrai pas recoudre, il va falloir mettre des agrafes.»
Au mot agrafe, même
prononcé avec beaucoup de compassion, ma terreur reprit de plus
belle et mes hurlements recommencèrent à envahir l'espace médical.
Mes parents, découragés, incapables d'encore réagir, laissèrent
toute nouvelle initiative au médecin. Surpris de constater qu'un si
petit corps pût faire autant de bruit, celui-ci s'empressa de calmer la
situation par un humour que je fus incapable d'apprécier : « Le
trou est un avantage, me dit-il, je vais pouvoir y verser
l'antibiotique directement. » En toute honnêteté, qui aurait
trouvé cette réflexion rigolote ?
Les choses de la vie
suivirent leur cours. La plaie fut désinfectée, les agrafes
clipsées malgré mes derniers glapissements, le pansement collé
avec soin. Toute la famille, entourée de ses supporters, put enfin
entamer, avec bien plus de calme, le retour vers le chalet.
Notre premier passage
avait sorti les plus indifférents de leur logis; les questions
fusaient de gauche et de droite. Mes parents n'hésitaient plus à
s'arrêter, expliquaient le drame, les soins, les conseils médicaux
et chaque voisin y allait de suggestions supplémentaires et de
souvenirs d'autres accidents qui... que.... J'étais entrée dans
une bouderie noire et ne désirais plus qu'une chose, l'arrivée au
chalet. Mais là, m'attendait un nouveau calvaire : l'impossibilité
de m'asseoir. Ma grand-mère prépara donc l'oreiller le plus
moelleux qu'elle pût trouver et les jours qui suivirent me virent
plus surélevée que d'habitude pour mieux régenter mon petit monde
du haut de l'oreiller salvateur.
Dieu merci, cet accident
fut le dernier de notre séjour et nos parents purent enfin souffler.
Quant aux amis qui s'étaient joints à nous pour des vacances
idylliques, plus jamais aucun ne tenta de rejouer à la vie
communautaire.
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